Le Conseil Représentatif des Associations Noires (CRAN) de France avait, on s’en souvient, entrepris en 2013 – trois jours, du 23 au 26 Septembre – une visite d’information sur les réalités de l’esclavage en Mauritanie. Dans un rapport de vingt pages, son vice président a essayé d’en cerner le phénomène, via de banales anecdotes et autres savantes analyses sur la base de divers points de vue officiels et, plus ponctuels et informels, de quelques acteurs de la Société civile impliqués dans la lutte pour son éradication. La mission du CRAN disait avoir rencontré tout le monde : du Président aux activistes, en passant par les responsables des structures étatiques en charge de la problématique, les conseils d’oulémas et certains grands responsables d’organisations de la Société civile qui travaillent dans le domaine des droits de l’homme, en général, et de l’esclavage, en particulier.
Selon le rapport, l’esclavage est très visible en Mauritanie. Dans les bureaux et sur les lieux d’occupation comme au marché, la servitude semble être l’apanage des Noirs. « Il y a trop de racisme en Mauritanie, même entre les Négro-africains », faisait remarquer un vendeur ambulant à l’un des membres de la mission. Selon Boubacar Messaoud, « il y a, tous les jours en Mauritanie, des contrôles de faciès. Certains sont contrôlés pour leur boubou maure. Il y a des discriminations. L’habit maure protège des discriminations du quotidien ». Selon le rapport, en Mauritanie, la complexité de la question de l’esclavage relève du « déni d’existence d’un phénomène partout visible mais continuellement banalisé, quotidiennement disqualifié et politiquement occulté ». La pratique de l’esclavage s’est, à la fois, sédimentée et cristallisée avec le temps. Elle fait partie intégrante du quotidien des us et des coutumes, voire de la structuration traditionnelle même de la société. Pour le rapport, les révoltes d’esclaves sont souvent réprimées par les régimes successifs, via « l’ostracisation », le massacre et les procès. La gêne et le silence des structures officielles, à l’évocation des pratiques esclavagistes, dénotent leur incapacité à assumer un « passé présent » douloureux et dévalorisant, doublée d’une volonté, manifeste, de faire croire à l’opinion internationale qu’il n’existe que des séquelles de cet esclavage. Le rapport mentionne que la société civile est formelle : « l’esclavage existe encore en Mauritanie ». Les avancées juridiques sont indéniables : vote des lois criminalisant l’esclavage et son érection en crime contre l’humanité. Selon le rapport, l’éradication de l’esclavage équivaudrait à une véritable secousse sismique, puisque les colons ont raffermi les rapports de dépendance et de propriété, entre les esclaves et leurs maîtres, au sein de toutes les communautés nationales, en ce sens que la colonisation a maintenu le statu quo sur la pratique esclavagiste. La France a ainsi adopté une attitude passive, face aux souffrances des esclaves et à la préservation des privilèges des maîtres. Elle a préféré mettre en avant des considérations géostratégiques, au détriment des principes humanistes de justice, d’égalité et de dignité. En Mauritanie, le statut de servitude des esclaves est « transgénérationnel » : il se transmettant de génération en génération. Les pratiques esclavagistes sont léguées, enseignées par la tribu, le clan et la féodalité. Le mode opératoire des esclavagistes est partout identique, aussi bien chez les Arabo-berbères que chez les Négro-africains, et le pouvoir n’a cessé de persévérer dans la même démarche, de l’indépendance à aujourd’hui : « prendre des décisions à résonnance conforme aux attentes de l’opinion internationale, pour n’accomplir, ensuite, aucune des mesures envisagées ; nier systématiquement toute discrimination, via la manipulation de quelques harratines à qui l’on octroie postes et privilèges afférents, pour justifier une cohésion sociale tronquée », explique un grand responsable harratine. Or le maintien d’un équilibre instable d’une mosaïque sans repères démographiques, faute de recensement fiable, est tout simplement aléatoire. Les esclaves dépendent matériellement, économiquement, physiquement, spirituellement et charnellement de leurs maîtres. Ils sont des « possessions » et des « propriétés », des « servants et des servantes », des personnes corvéables à souhait, plus ou moins consentantes. L’auteur du rapport déclare avoir attiré l’attention, en 2013, sur le péril social que courait la Mauritanie, en entérinant l’héritage esclavagiste béni par la France. « En Mauritanie, l’esclavage est à la fois une pratique culturelle et une fatalité de l’histoire », note le rapport. Admettre son existence est un impératif catégorique qui marquera la rupture avec le marasme identitaire et sonnera le glas de l’indifférence, face à la misère morale absurde d’être, dés sa naissance, apatride en son pays et privé de citoyenneté effective, durant toute son existence. Selon le rapport, le talon d’Achille de l’esclavage en Mauritanie réside dans ses racines anthropologiques et culturelles, encouragées et légitimées par les « principes » religieux d’un islamisme conservateur. Selon le rapport, la subtilité du gouvernement réside dans le fait de vouloir combattre la pauvreté, sans reconnaître l’existence formelle de l’esclavage, « phénomène structurel et non pas ponctuel », comme aime à le souligner Boubacar ould Messaoud. Le drame étant qu’en Mauritanie, les décideurs sont victimes d’une cécité séculairement entretenue, culturellement admise, politiquement et administrativement tolérée. Le rapport établit des recommandations qui pourraient contribuer à l’éradication de l’esclavage. Selon lui, il est impératif de dépolitiser la question de l’esclavage et de procéder à l’application, impérieuse, de la loi 0048/2007.L’esclavage est, tout simplement, un crime qui doit être éradiqué. Pour cela, le rapport formule la nécessité de la refonder les politiques éducatives et économiques. Mais, aussi, la nécessité de concevoir un plan d’urgence de lutte contre l’esclavage. Et de proposer l’organisation d’un maillage de centres ad hoc d’établissement d’état-civil, consacrés aux mauritaniens sans filiation établie, essentiellement des anciens esclaves. Le rapport propose aussi la fondation d’un Observatoire de lutte contre l’esclavage et ses formes contemporaines, rattaché directement à la Présidence, en plus d’une commission de suivi des mesures programmées et des activités proposées, ainsi que l’instauration d’une Journée nationale de lutte contre l’esclavage.
Synthèse Sneïba El Kory
TRAGEDIE MUETTE DE L’ESCLAVAGE EN MAURITANIE : L’ANALYSE DE GUY SAMUEL NYOUMSI : http://lecalame.info/?q=node/3906