La première hypothèse serait celle d’une injonction venant du haut qui aurait pour but d’envoyer des ballons d’essai en vue de tester et de mesurer l’ampleur autant que l’étendue de la réaction de l’opinion publique nationale. Est-il pertinent de parler d’une opinion publique nationale réellement existante, solide, consciencieuse et disposée à mobiliser les masses contre toute manipulation porteuse de risques existentiels.
Au détour de ce jeu sordide aux conséquences incertaines, les responsables de la majorité auraient conclu un objectif fondamental qui serait celui de déterminer dans quelle mesure les membres de la classe politique sont malléables et corvéables à merci pour servir de caisse de résonance en vue de faire avaler au peuple les projets en cours d’échafaudage. Ce faisant, elle aurait également décelé les signes précurseurs d’une réceptivité qui ne serait pas sans rapport avec l’esprit de résignation et de capitulation des citoyens devant le fait accompli. Auquel cas de figure, nos militaires et nos civils seraient revenues à leurs secondes natures et auraient confirmé leur déloyauté à l’égard des réformes constitutionnelles qu’ils avaient, eux-mêmes, initiées et faisaient voter par le peuple mauritanien en juin 2006. Que dire de cette infamie, si ce n’est que cette République est peuplée d’opportunistes malhonnêtes et de voyous qui sacrifient l’intérêt collectif sur l’autel de calculs mercantiles sans aucune prise en compte de la moindre règle morale, religieuse ou philosophique.
Doctrines à géométrie variable
Autrement dit, ni les lois, ni les actes, ni les textes juridiques, ni les règles morales et les bonnes mœurs politiques n’ont et n’auront droit de cité dans ce pays naguère berceau de civilisations et de brassages culturels. Pire encore, est-on tenté de dire que tout est permis dans ce pays, que rien n’est impossible dans cette République, que les règles et les actes ne sont posés que par pur conformisme et les réglementations ne sont instituées que pour répondre aux impératifs des prescriptions formalistes d’un Etat fantoche sans âme et sans essence. En tout état de cause, la classe politique, tous bords confondus, est rompue à faire de la figuration dans un jeu de spectacle fade qui ne renvoie à rien d’essentiel dans l’imaginaire et l’inconscient de l’individu mauritanien. Ceux qui se considèrent, à tort ou à raison, comme les dépositaires de la légitimité constitutionnelle sont ceux-là même qui violent, bafouent et dédaignent les règles élémentaires d’un Etat de droit. Ceux qui combattent les injustices, contestent les aberrations de toutes sortes, se considèrent, à tort ou à raison, comme des porteurs de la voix populaire et se livrent à des surenchères subjectives sans rapport évident avec les vrais soucis du citoyen. Parfois, ils vont même jusqu’à épouser des doctrines à géométrie variable pour se justifier et motiver des attitudes surannées.
C’est ainsi que notre histoire politique est faite depuis le 10 juillet 1978 ; des coups d’Etat à répétition, des militaires qui promettent des réformes et des transformations, des élites civiles qui cautionnent, des jeux de scènes similaires où des alternances de rôles se produisent dans une similitude qui laisse transparaître une certaine complicité. C’est toujours la même matrice qui produit les mêmes monstres, lesquels refusent toute transformation et toute concession en vue de mettre en place les conditions favorables à une alternance politique pacifique.
Dans cette hypothèse, la complicité entre le patron et ses subordonnés, entre le patron et sa majorité aurait été compréhensible dans la mesure où le contexte s’y prêterait à merveille. Pourquoi ne serait-il pas ainsi quand on sait que le ressort profond dans la psychologie des nomades, que nous étions il n’y a pas longtemps, a toujours été l’allégeance, la compromission et la versatilité. En dépit de tentatives de dissimulations, ces valeurs ressurgissaient avec d’autant plus de vigueur qu’elles étaient devenues des maîtres-mots ou plutôt l’incarnation des comportements déloyaux qui ont dominé l’imaginaire collectif, même avec l’émergence de l’Etat-Nation. Ne dit-on souvent pas que le coté vide est à abandonner (Latammar Ezzer Elkhali), le camp vaincu ou faible ne mérite pas le soutien, qu’il faut courir derrière ses intérêts quitte à fouler au pied ses valeurs morales.
Jamais les convictions politiques et les croyances en valeurs suprêmes n’ont été aussi ébranlées et fugaces dans cette République qui se réclame de l’Islam.
Discours anachroniques
La victime, dans tout ce spectacle humiliant, est l’Etat mauritanien, ses générations futures, son développement économique, sa crédibilité et son rayonnement sur les deux mondes arabe et africain dont elle constitue le trait d’union. Cela ne serait pas, non plus, sans conséquence sur les chances de notre arrimage au concert des Nations démocratiques.
Autant il faut marquer une rupture avec cette mentalité et cet héritage, autant il faut impliquer et responsabiliser notre élite religieuse dans l’œuvre de rénovation, de correction et de construction de nouvelles valeurs. Ces nouvelles valeurs doivent être corrélées avec des principes référentiels qui se fondent sur notre sainte religion, mais aussi, sur ceux de la morale universelle.
Nous sommes à la croisée de chemins dans une période de l’Histoire où la pensée universelle semble privilégier un système de gouvernance dont les fondements sont soumis à des tests de plus en plus rigoureux dans des contextes et des milieux socioculturels de plus en plus disparates. Plus ces fondements subissent des tests dans des milieux variés, plus ils sont améliorés et, plus également, ils résistent à la raison humaine.
Comment se fait-il que dans des pays comme le nôtre - qui n’est à l’origine d’aucune innovation pertinente en matière de gouvernance – certains hauts responsables politiques puissent tenir des discours anachroniques aux antipodes des règles élémentaires de la gestion du pouvoir ? Est-il compréhensible qu’ils prônent un mode de gouvernance où l’autoritarisme, le culte de la personnalité seront prédominants ?
Ne nous étions-nous pas, nous-mêmes, rebellés contre ce mode de pouvoir monotone et tyrannique d’Ould Taya, il y a 10 dix ans ? Le chef de l’Etat actuel n’était-il pas le principal auteur du coup de force de 2005 ? N’avait-il pas motivé son coup de force par un blocage politique dû, entre autres, à la mauvaise gestion politique et à la volonté du président de s’éterniser au pouvoir avec tout ce que cela comporte comme risques de déviations et de dérives autoritaires ?
Autant de questions qui devraient interpeller la conscience du Maître du moment, celle de ses courtisans et de ses acolytes qui s’apprêteraient à se lancer dans une aventure dont l’issue ne pourrait être autre que des coups de force, des instabilités et pourquoi pas une guerre civile douloureuse.
Dans ce sens, répéter des lapalissades à un personnel politique sans scrupule ne sert à rien. Il semble clairement qu’il soit obnubilé par l’accaparement du pouvoir qui le rend inaccessible à tout raisonnement rationnel, tant ce personnel est enivré par les privilèges indus.
A ceux-là même qui mènent la cadence dans ce projet destructeur, je confirme que rien ne justifie la remise en cause du destin de notre Etat et de ses acquis et que l’alternance pacifique au pouvoir demeure le seul moyen de garantir et de consolider la stabilité institutionnelle d’un Etat. Dans le même ordre d’idées, les articles 26 et 28 représentent, à nos yeux, les seuls et grands acquis du processus de transition de 2005-2007. Donc revenir sur ces acquis-là 11 ans après, et retomber dans les mêmes travers que nos prédécesseurs serait le fruit d’une cécité politique doublée d’un égoïsme incommensurable
A suivre