Dans une tribune publiée sur CRIDEM, monsieur Mohamed Yeslem Yarba Beïhatt s'insurge, dans un « droit de réponse » contre ma chronique « Identités » au sujet de l'arabe et du français dans notre pays. Voici le mien, de droit de réponse… Monsieur, Avant toute chose, je vous remercie pour la maîtrise du français dont vous faites preuve, manière, pour moi, de dire que ce français si décrié dans votre droit de réponse est bien utile, quant à l'usage d'une langue de communication et de… partages. Faisant partie de ce que vous appelez les « franco-fans- philes-phones-fous » je ne peux qu'admirer votre prose et votre impeccable grammaire. Bien que je ne comprenne pas trop l’appellation ci-dessus... Mais vous devez savoir ce que vous voulez exprimer, ce qui est d'importance. J'ai bien relu votre droit de réponse à ma chronique « Identités ». Du coup, j'ai bien relu, aussi, cette même chronique, des fois que, dans mon « enthousiasme » présupposé francophile, je ne me sois pas bien comprise moi-même et ait écrit des choses qui m'auraient échappée. Comme vous le savez, cela arrive, parfois, même à ceux qui se pensent très intelligents. Ne sachant pas trop comment répondre à votre longue longue diatribe, j'ai décidé de vous répondre point par point. J'aime la facilité... Semaine de la Francophonie : je vous cite : « Semaine de la honte, pour les aliénés fantoches qui, chaque année, sur cette terre de "Bilad Chinguitt", nous offensent, nous outragent, nous blessent dans ce que nous avons de plus précieux, à savoir notre identité ». Rien que ça ! Si, dans cette Semaine de la Francophonie, vous n'avez vu qu'agitations « d'aliénés », je pense, avec tout mon respect, que vous vous êtes trompé de débat et d'époque. Et de participants. D'une pseudo-aliénation à la langue française à une crise d'urticaire pseudo-identitaire, les lignes sont parfois floues. Êtes-vous si peu sûr de votre (notre) identité que vous vous estimiez insulté par ma modeste chronique ? Apparemment oui, donnant ainsi raison à mes dires : vous n'enfermez la langue arabe que dans le prisme identitaire, carte d'identité du monde « arabo-musulman » (je vous cite)... De quel monde « arabo-musulman » parlons-nous ? De quelle identité parlons-nous ? Quand les iraniens, persans indo-européens, transcrivent leur langue en caractères arabes, cela fait-il d'eux des « arabo- musulmans » ? Vous nous dites, avec raison, que dans toutes nos communautés, la langue arabe fut langue d'études. Parmi les plus grands grammairiens de la langue arabe de notre pays, on compte des soninkés et des halpulaars. Mais il y a un fossé, entre cette maîtrise, cette culture arabophone et le ressenti des membres de ces mêmes communautés. Tous les Soninkés, tous les Halpulaars, tous les Wolofs ne parlaient pas arabe, loin de là. Vous mélangez l'usage de l'arabe comme langue du Coran, donc langue sacrée, et l'arabe, véhicule identitaire. Parlons-nous de la religion comme ciment identitaire ou de langues comme identités ? Vous traitez les francophiles de « suppôts, aliénés et vendus aux colons ». Mazette... Vous n'y allez pas avec le dos de la cuillère, tout bon français que vous utilisiez. Libre à vous de refaire l'histoire de notre pays et de la construction d'un État-Nation où se reconnaîtrait tout mauritanien. Qui pense, une seconde, que les « aliénés et vendus aux colons » aient refusé l'arabe ? Au passage je vous fais remarquer que, dans votre enthousiasme à nous étriller « identitairement », vous en oubliez le hassaniya... A force de vouloir faire, de l'arabe, une identité fragile, on en oublie la langue que les gens, hors érudits, parlaient, comprenaient dans leur quotidien : le hassaniya, du moins en milieu bidhan... Et qu'ils continuent à parler et à comprendre. Vous dites que nous devons imposer une seule langue, l'arabe. Quitte à être incompréhensibles pour une partie des hassanophones. Je vous invite à aller dans les adwabas, par exemple, et vous me direz si les gens, devant leur télé ou leur radio, comprennent cette langue châtiée qu'est l'arabe littéraire. Pour étayer votre argumentation, vous revenez sur le débat « serpent de mer », débat stérile et inutile s'il en est, à savoir que l'arabe serait la langue de Dieu, puisque langue du Coran... Je ne possède pas de connaissances médiumniques et scientifiques assez profondes pour savoir en quelle langue parle Dieu... Je n'ai absolument pas la prétention de penser que je peux interroger Dieu sur sa langue préférée ni qu'Il me répondrait... Il me faudrait faire appel à ma mémoire et à mes cours de mes années d'étudiantes et parler, ici, de l'araméen, de l'hébreu, des prophètes juifs, de Babel, etc., etc. Je préfère m'en tenir au fait que Dieu a créé toutes les langues et toutes les cultures et n'a préféré personne à personne. Je pourrais aussi parler de ces Corans, magnifiquement enluminés en Chine (pays d'Islam aussi et ce dès une époque où nous n'étions même pas encore musulmans nous-mêmes), avec, sur la page de droite, le texte en arabe et, sur la page de gauche, le texte en mandarin. Laissons donc ce débat qui ne fait pas avancer la chose. Vous nous dites aussi que, même à Paris, plus personne ne parle français. Je me ferai un plaisir de vous emmener vous promener dans cette belle ville, à la rencontre du français quotidien, langue vivante et en constante évolution. Vous parlez des rouages de l'éducation. En ce domaine je ne peux que vous conseiller d'aller faire un tour à l'ENS. Les francisants sont orientés en études littéraires, les arabisants en études scientifiques... Je n'invente rien. Et ces étudiants-là sont les futurs professeurs de collège et de lycée de notre pays ! Vous dites aussi aimer ces métis que nous sommes, à partir du moment où leur mauritanité ne passe que par les « valeurs et l'identité mauritanienne ». Encore faut-il savoir ce que vous entendez par valeurs et identités...Qu'est-ce qui fait la mauritanité de tout un chacun ? En quoi le fait d'aimer aussi le français, aux côtés de l'arabe, ferait-il, de nous, de « mauvais » mauritaniens, de mauvais patriotes ? Si je vous résume : la Mauritanie est arabe, sa langue est l'arabe. Très réducteur. Là aussi je ne peux que vous conseiller de vous promener dans le monde dit « arabe » (car réduit à une langue)... Nos amis Marocains viennent de remettre le français pour les études scientifiques.... Cela fait- il d'eux de mauvais « Union du Maghreb Arabe » ? Allez donc dans les universités du Golfe et vous verrez que ce n'est pas l'arabe qui est utilisé pour l'enseignement des matières technologiques mais l'anglais. A moins que vous ne vouliez sacrifier toutes les générations futures, en ne leur offrant qu'une seule langue, je ne peux que vous inciter à réfléchir à ces faits. Je pense, sincèrement, que vous n'avez pas très bien lu ma chronique. Je n'ai jamais fait, de l'arabe, une langue cantonnée à la poésie. Elle est bien autre chose que cela, ce fantasme que vous, ardents défenseurs de cette langue, fabriquez. L'arabe est langue riche, complexe. Elle fut langue des sciences, de la philosophie, de la littérature. Les philosophes grecs et latins furent d'abord traduits par les arabes, avant d'être transmis aux monastères européens. Vous voyez que je connais mon histoire, aussi... Savez-vous que les premiers moines qui voulaient accéder aux philosophes de l'Antiquité devaient savoir parler et écrire l'arabe ? A force de vouloir faire de l'arabe la seule langue valable et riche de ce monde, vous faites exactement le contraire de ce que je fais. Je n'oppose pas une langue contre une autre. Je ne cherche pas à savoir laquelle est la plus riche. Je tente de les faire cohabiter, comme chance redoublée, comme ouverture multiculturelle au monde qui nous entoure. Je persiste et je signe : nous ne pouvons effacer le passé. Seules les dictatures les plus sanglantes ont tenté ceci, la construction d'une identité falsifiée. Je n'ose vous rappeler l'exemple de la doctrine nazie et des conséquences innommables qui en ont découlées. Ne me faites pas dire, dans votre enthousiasme, ce que je n'ai pas écrit... Quand vous écrivez que notre sous-développement est dû au fait que nous n'employons pas l'arabe comme seule et unique langue, vous faites preuve soit d'une mauvaise foi avérée, soit d'une ignorance des rouages économiques qui font ou non la vitalité économique d'un pays. A cela, je ne peux rien... Je n'ai pas, en tant que francophile, de problème avec mon identité ou, plutôt, mes identités. Je n'ai jamais, contrairement à vous, utilisé une langue comme bras politique d'une recherche d'identité complexée et complexe. Je ne fais pas du français une langue prééminente, comme je ne le fais pas de l'arabe. Je me contente d'aimer les deux langues, comme socles d'une construction intellectuelle. La richesse de l'une n’enlève rien à la richesse de l'autre. Je persiste et je signe : ces deux langues, aux histoires et parcours différents (si l’on occulte toutes les passerelles entre elles) sont langues nationales, parce que l'Histoire n'est pas seulement une réécriture. Nous n'effacerons pas le passé. Nous devons l'utiliser comme tremplin, comme richesse. Mais je comprends votre réaction épidermique. Dans notre pays qui se cherche, quoiqu'on veuille bien dire, dans notre pays où la posture « complexe » est, pour le moment, la seule qui existe, il n'est jamais facile de se positionner. Mais cela n’autorise pas un nationalisme linguistique réducteur. C'est bien vous, monsieur, qui montez une langue contre une autre, pas moi. C'est bien vous qui réduisez l'identité à une seule lecture historique. C'est bien vous qui réduisez, aussi, l'arabe à la seule religion musulmane, ignorant ainsi les millions d'arabophones dans le monde qui ne sont pas musulmans mais chrétiens. Cordialement, Mariem mint Derwich
Faites un petit tour à Nouakchott : allez de la plage des pêcheurs au Port de l’Amitié ou de cette infrastructure vers le carrefour dit Bamako ; partez d’Atak El Kheir 2 en direction de l’Est ; promenez-vous en divers quartiers de la capitale… Rassurez-vous, il ne s’agit pas de villégiature !