Nouvelles d’ailleurs : Identités...

24 March, 2016 - 03:38

Quand on fait d'une langue une psychothérapie pour « identités en crise » c'est que toute la construction par rapport à soi, à son rapport avec le monde, à sa perception de sa place dans le concert mondial, à ce que l'on désire pour bâtir un État Nation, etc, n'en sont même pas au début du tout début.

La Semaine de la Francophonie vient de se terminer. Pas le concert habituel de critiques à l'encontre du français.

Comme si nous ne pouvions, tout englués que nous sommes dans une orthodoxie intellectuelle, ne concevoir notre rapport aux langues, donc à nous mêmes, autrement que via le prisme politique, donc idéologique, donc doxa, donc artificiel...

Comme si, aussi, le seul regard que nous puissions porter sur la place et le rôle d'une langue ne puisse se faire que dans le conflit, dans l'opposition systématique entre deux langues, l'une étant, automatiquement, « l'ennemie », l'autre , la seule permise et acceptable.

Peut-on, doit-on faire d'une langue une construction réduite à la seule identité ?

Le français est -il seulement identité ? Quand une partie du monde s'est appropriée cette langue, véhicule-t-il, de fait, une identité « française » ?

L'arabe est-il seulement, là encore, identité ? Entre le fantasme de la Nation Arabe, l'usage d'une langue arabe littéraire réservée aux élites et les langues pratiquées par les citoyens de ce monde dit arabe, où est l'identité ?

Quelles identités pour quelles langues ? Ou, plutôt, quelles langues pour quelles identités ?

Et qu'est ce que l'identité ? Une langue ? Une manière de vivre ? Un ensemble de valeurs communes autour desquelles s’agglomèrent des cultures différentes ou semblables ? Une perception du monde ?

Une langue est-elle religion ?

Une langue, en dehors de tout ce dont on la charge, est un peu tout cela. Elle est, d'abord, phonèmes afin de communiquer. Elle est outil de communication, premier lien entre les hommes. Elle permet de nommer le monde, de codifier, de mettre en sons et, plus tard, en mots et/ou écritures (toutes les langues ne sont pas écrites), ce qu'une culture, à un moment donné, dans un espace défini, perçoit comme étant son rapport au monde qui l'entoure. Elle est celui qui donne et celui qui reçoit ce langage.

Quand les ultra nationalistes arabes de chez nous crient au scandale face au français, quand ils ne réduisent cette langue française qu'à des considérations politiques, ils font preuve d'étroitesse intellectuelle, de misérabilisme, de sécheresse, d'aveuglement.

Ils sont dans la posture « complexés » d'une arabité mal comprise, mal pensée, mal véhiculée.

Et, à force de ne réduire l'arabe qu'à un fantasme de Nation Arabe, ils en viennent à rendre cette langue arabe quasi hideuse. Alors qu'elle est langue magnifique, langue de culture, langue des savants, langue de la poésie.

Elle n'est pas qu'instrument politique afin de bâtir ce que personne, jusqu'à aujourd'hui, n'a encore réussi à construire, nonobstant les réflexions des intellectuels du monde arabe, à savoir un « monde arabe ».

Monter une langue contre une autre, opposer farouchement deux langues, vouloir en éradiquer une coûte que coûte afin de n'apposer sur une société qu'une vision d'une seule langue parlée, formatant ainsi la pensée, est d'une stupidité terrible.

Et dangereuse...

Laminer le métissage, penser que l'on peut effacer le passé par le biais du massacre systématique d'une langue dite étrangère, rend la langue des détracteurs du français franchement odieuse.

Car instrument politique et idéologique.

Nul ne nie que le français est langue des colons. Comme l'arabe le fut il y a quelques siècles, apporté dans les bagages des Hassan. Ce qui ne l'a pas empêché d'être absorbé par les populations berbères qui vivaient ici. Le fait que c'est la langue du Coran a facilité cette appropriation de l'arabe  par les populations vaincues.

L'arabe n'appartient pas aux élites nationalistes. Le français n'appartient pas aux francophiles.

Ces deux langues sont mémoires communes, quoi que l'on dise, quoi que l'on détricote au niveau de l'Histoire et de la mémoire.

Nous n'avons pas, nous ne devrions pas, avoir à rougir de ces deux langues. Et surtout pas de la langue française.

Une nation qui ne se crée que dans une identité partiale n'a aucun avenir. Une nation qui n'utilise sa langue que comme instrument d'opposition par rapport à une ou plusieurs autres langues est appelée à atteindre très vite ses limites.

Nous ne pouvons plus n'employer que le « JE » réducteur et oublier le « NOUS » qui est le propre de l'ouverture aux autres.

Faire d'une langue un instrument de domination idéologique rend cette propre langue infâme et vidée de son sens, de sa beauté, de ses particularités.

Le chauvinisme linguistique n'est pas avenir. Il est assemblage hétéroclite de fantasmes d'un passé que l'on brode à la hauteur des soubresauts actuels.

Une identité qui « tue » la diversité linguistique, qui fait d'une langue son bras armé pour justifier des positionnements politiques est une identité étroite, repliée, sclérosée...

Je reste persuadée que l'arabe et le français sont langues nationales chez nous, par le fait de l'Histoire.

Je reste intimement convaincue que ces deux langues racontent nos histoires communes, qu'elles sont sœurs et qu'elles ne peuvent que nous enrichir et s'enrichir.

L'arabe est une langue si belle, si riche, si profonde, si fascinante. Il n'appartient pas aux ultras nationalistes arabes. Il n'appartient pas à ceux qui le réduisent à sa forme la plus xénophobe.

Le français nous enrichit de sa diversité, de ses concepts, de sa « mondialité ». Il nous ouvre au monde. Il nous permet de penser « Nous », en communiquant et en vivant aux côtés de l'arabe.

 

Amin MAALOUF : «   A l’ère de la mondialisation, avec ce brassage accéléré, vertigineux, qui nous enveloppe tous, une nouvelle conception de l’identité s’impose – d’urgence ! Nous ne pouvons nous contenter d’imposer aux milliards d’humains désemparés le choix entre l’affirmation outrancière de leur identité et la perte de toute identité, entre l’intégrisme et la désintégration. Or, c’est bien cela qu’implique la conception qui prévaut encore dans ce domaine. Si nos contemporains ne sont pas encouragés à assumer leurs appartenances multiples, s’ils ne peuvent concilier leur besoin d’identité avec une ouverture franche et décomplexée aux cultures différentes, s’ils se sentent contraints de choisir entre la négation de soi et la négation de l’autre, nous serons en train de former des légions de fous sanguinaires, des légions d’égarés.  »

( Extrait de « Les identités meurtrières »)

 

Salut.

Mariem mint DERWICH