Depuis quelques jours, tout le monde ne parle que de ça. La langue française. La belle langue française. C’était la mode que de parler français. Bonjour. Bonsoir. Ça va. Comment ça va. Bien. Comme faisaient les maîtres, les anciens maîtres, pour enseigner la belle langue française. Monsieur, je me plains de Mamadou, il a insulté mon père. Madame, j’ai un besoin. Comment t’appelles-tu ? Je m’appelle Sidi. Et toi ? Moi je m’appelle Fatma. Impossible de ne pas me marrer, quand je me souviens de mon voisin du CP2 (cours primaire 2ème année, pour ceux qui ne le savent pas) à qui le maître demanda : « Comment t’appelles-tu ? – T’appelle t’à Yeseilem », répondit-il. Il n’en fallut pas moins de dix à quinze minutes, à l’entêté instituteur, de faire corriger cette imparable dyslexie, aggravée par une « cravache de Damoclès » qui pesait, lourdement, sur la tête de l’enfant. Ou de ne pas me rappeler ce chef d’œuvre d’un ami d’enfance qui voulait interdire, à ses compères, l’usage de ses « outils », en écrivant, au charbon, sur son mur (en ciment, pas Facebook) : « Interdi à tou ce qui sont des tabatières de fumer dans ma tabatière ». Interdiction très formelle. C’est, vous diront les anciens, quelqu’un qui « cassait » le français. Les belles règles françaises. Du temps de l’analyse logique et grammaticale. Des compléments circonstanciels de ceci ou de cela. Des subordonnées conjonctives et relatives. Du subjonctif ou du conditionnel. Des par quatre. Des tables de multiplication. Le français maîtrisé en six ans. Entre le CP1 (cours primaire 1ère année, toujours pour ceux qui ne savent pas) et le CM2 (cours moyen 2ème année), tout passait. De la dictée de contrôle la plus difficile à l’analyse la plus solide. Un sans faute, pour n’importe quel élève moyen. La pluie tombait drue, inlassable, obstinée : dictée classique. A la parfaite rédaction. Sans faute. Sans redondance. Sans pléonasme. Pas comme maintenant où les gens retournent en arrière. Montent en haut. Descendent en bas. Où un homme décapité peut marcher, quand même, à pied jusqu’à l’hôpital. Tout le monde parlait français. « Son » français. Les anciens civils et militaires. Les bandits cochons fusaient de partout. Imbécile ! « Hé, mes p’tits zinzins (enfants) ! », disait un très ancien de chez moi. Spécialiste de la traduction directe. Genre « chaque fois que deux calebasses se touchent » ou « je ne suis pas le petit mur » disait l’autre dont les « chameaux de ses chaussures sont coupés ». C’est beau, le parler français hassanya. Comme le fait, brillamment, cet ancien adjudant-chef de l’armée française, reversé à l’armée mauritanienne et responsable de l’ordinaire de la caserne. Un soldat vient lui emprunter un petit plat de cuisine. Ok. Quand le soldat revient le lui rendre, le vieil adjudant ne trouve pas mieux que de lui dire : « Mets-le avec ses amis ». C’est beau, puisque, si les sens sont compris, rien à foutre des termes. Dorénavant ou désormais n’a rien de plus qu’à partir de désormais. Que faut-il comprendre, quand une TV normalement respectable légende la photo d’un avocat comme « avocat de la cours » ou qu’une autre écrive « portes-feuilles » de ministres. Bonjour, la nouvelle orthographe ! Toute la splendeur de la situation résumée par le planton en chef du Calame. Lorsqu’il est dans tous ses états, il sort « son » français : « Hé ! Y a des problèmes ! Le tardement [pour dire retard], pas de ciblicité [publicité] ni de bonnement [abonnements] et nous sommes des « fers » de famille [pères de famille] ». Sacré Alioune ! Grand admirateur de feu Habib ould Mahfoud. Le français les unit. Vivement. Ici, Restouran. Reparataire oto. Koiffeur de l’islam. Cavé cho. Boutik lix. Mais, hé, faut pas casser le français ! C’est pas acceptable. Enfin, ce n’était pas acceptable. Maintenant, ce n’est plus rien. Un pensionnaire de l’Ecole Normale supérieure peut bien dire : « c’est moi qui a » et aller enseigner le français, SVP. Un instituteur titulaire de maîtrise conjuguer le verbe bondir au futur, en toutes lettres sur son tableau noir : ils bondisseront, elles bondisseront, même. Comme ça écrit. C’est très permis. Salut.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».