Coups d’État militaires en Afrique : déclin et regain occasionnel / par Giovanni Carbone*

17 March, 2016 - 00:56

S’agissant de prise du pouvoir par l’armée, le nouveau millénaire a vu les États africains en avoir plus que leur dû, l’exemple du Burkina Faso étant le dernier en date. Pas moins d’un sur deux des coups d’État militaires enregistrés dans le monde depuis l’an 2000 se sont produits en Afrique subsaharienne. Serait-ce donc que plus ça change, plus c’est la même chose ? Le coup d’État militaire ferait-il partie du paysage politique africain autant qu’il l’a toujours été  – et même davantage peut-être ? Voici l’analyse qu’en fait Giovanni Carbone, responsable du programme Afrique à l’Institut italien des études politiques internationales (ISPI).

Les militaires ont toujours eu un penchant pour le pouvoir. Au cours des quinze dernières années, des interventions militaires ont chassé du pouvoir des gouvernements civils élus dans des contrées aussi éloignées que le Honduras en Amérique latine, l’Égypte en Afrique du nord, la Thaïlande et les Îles Fidji en Asie. À première vue, l’utilisation des armes à feu ou la menace de les utiliser par des officiers de l’armée désireux de prendre le contrôle d’un palais présidentiel ne connaît aucune limite. Pourtant, en ce millénaire nouveau, les États africains ont souffert plus qu’il n’en faut des prises du pouvoir par l’armée, l’exemple du Burkina Faso étant le dernier en date. Pas moins d’un sur deux des coups d’État militaires enregistrés dans le monde depuis l’an 2000 se sont produits en Afrique subsaharienne. Serait-ce donc que plus ça change plus c’est la même chose ? Le coup d’État militaire ferait-il partie du paysage politique africain autant qu’il l’a toujours été  – et même davantage peut-être ?

Depuis les années 1960, les coups d’État militaires ont, pour l’essentiel, rythmé les changements de dirigeants en Afrique. Au total, l’on compte 90 occasions différentes au cours desquelles les militaires ont évincé des chefs d’État et de gouvernement en exercice dans des pays d’Afrique subsaharienne. En 1963, l’éviction du pouvoir par l’armée de Sylvanus Olympio au Togo et celle d’Hubert Maga au Bénin constituaient des signes annonciateurs du refus de l’armée d’observer la situation en simple spectatrice. Au contraire, les militaires allaient bientôt acquérir une place centrale dans la région, dessinant ainsi l’évolution politique dans des endroits aussi éloignés les uns des autres que l’Éthiopie et le Nigeria, le Congo-Brazzaville et le Ghana, les Comores et le Liberia.

À ce jour, pas moins de trente et un pays  – ou près de deux sur trois États d’Afrique subsaharienne - en ont connu au moins un. Dans certaines capitales, ces évictions se sont produites relativement tôt au lendemain de l’indépendance (au Togo et au Bénin comme déjà indiqué, mais aussi au Congo-Kinshasa et en Somalie) ; dans d’autres, elles ont eu lieu bien plus tard, la Côte d’Ivoire étant le dernier pays à subir le « premier coup d’État de son histoire » en 1999. Dans un certain nombre de cas, une prise de contrôle initiale par l’armée a planté le décor pour une série de contrecoups qui se sont déroulés tout au long des décennies : sur 90 coups d’État, les canons étaient dirigés contre les anciens putschistes à 29 reprises. Ce fut particulièrement typique de l’Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso en ayant été le cas le plus extrême. Sangoulé Lamizana, le premier à avoir pris les armes pour conquérir le pouvoir à Ouagadougou en 1966, a été renversé par Saye Zerbo (1980), qui, à son tour, a été évincé par Jean-Baptiste Ouédraogo (1982), lui-même remplacé par Thomas Sankara (1983) qui a été éjecté par Blaise Compaoré (1987). Détenteur du pouvoir très habile et résistant, ce dernier est resté beaucoup plus longtemps que ses prédécesseurs ; Compaoré a cependant fini par partager leur sort, renversé qu’il a été par un autre militaire, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida, à la suite d’un soulèvement populaire en 2014. Ce n’est qu’entre 2014 et 2015 seulement, et pas sans quelques aléas, que le pouvoir a changé de mains par des voies pacifiques et électorales à la fin. L’élection d’un nouveau président, Roch Marc Christian Kaboré, a ainsi marqué une aube nouvelle pour le peuple Burkinabé.

Avec environ trois dizaines de dirigeants africains détenant un mandat d’au moins deux décennies, bien des années après les indépendances, la prise du pouvoir par les militaires avait été l’un des rares modes d’expression de la contestation et de l’avènement d’une certaine forme de rotation à la tête de l’État. Une rare façon de parvenir au changement politique ou à l’ajustement. La fréquence des interventions militaires en Afrique a atteint son point culminant au cours des années 1980, lorsque 17 coups d’État ont constitué plus de 51 % de l’ensemble des changements de dirigeants ; en effet, au cours de cette décennie, plus d’un sur deux de tous les dirigeants en Afrique subsaharienne sont arrivés au pouvoir par les armes.

Les années 1990 ont toutefois marqué une période de réformes étendues, même si elles n’étaient pas toujours profondes. En l’espace de quelques années, des changements constitutionnels et des élections multipartites ont été introduits dans la plupart des pays de la région et les États africains ont su progressivement trouver des moyens meilleurs et moins violents de procéder à l’alternance au pouvoir. Ce qui ne signifie point que les régimes politiques s’étaient « démocratisés » de façon pleine et adéquate. En fait, ceci était rarement le cas. Toutefois, les élections et les limitations constitutionnelles de mandat étaient devenues la « nouvelle norme ». Dans le cadre des nouvelles dispositions, la succession au pouvoir parmi des dirigeants appartenant au même parti (comme au Mozambique ou en Tanzanie, par exemple) ou des alternances entre forces politiques opposées (comme cela s’est passé deux fois au Ghana, en Zambie ou au Kenya, par exemple) est devenue de plus en plus fréquente dans une région où elle était auparavant une denrée rare.

Le nombre de coups d’État a diminué de façon spectaculaire au cours du nouveau millénaire (voir Figure). Depuis l’an 2000, l’armée a pris le pouvoir onze fois dans neuf pays différents (la Guinée-Bissau et la Mauritanie en ayant connu deux chacune), avec une moyenne de moins d’un coup par an, bien en-deçà de ce que l’on avait enregistré au cours des décennies antérieures (voir Tableau). Tous les neuf pays concernés ont précédemment connu au moins un putsch militaire. Certains comme le Burkina Faso, la Guinée-Bissau, la Mauritanie et le Niger, avaient une longue tradition de prise du pouvoir par les forces armées.

L’on notera surtout que, suite à chacun de ces onze putschs d’après 2000, des dispositions avaient été prises pour tenir de nouvelles élections dans un délai relativement court. À l’exception de Madagascar, où une crise très atypique s’est déclenchée suite au « coup d’État civil » d’Andry Rajoelina, dans tous les autres cas, la population a voté au bout de trois ans au plus, et dans un certain nombre d’entre eux, au cours de l’année immédiatement après le putsch. Dans certains cas, à l’instar d’Ely Ould Mohamed Vall en Mauritanie et de François Bozizé en République centrafricaine, le scrutin a été géré depuis le sommet afin d’assurer la pérennisation au pouvoir du dirigeant militaire en exercice. Dans d’autres comme au Burkina Faso – qui partage avec la Mauritanie le record de la rotation au pouvoir uniquement par le biais des armes – les élections ont constitué un tournant capital dans la mesure où elles ont fini par installer au pouvoir un nouveau dirigeant civil, élu à la régulière. Si la tendance actuelle se poursuit, les générations africaines à venir pourraient ne savoir ce qu’est un coup d’État militaire qu’à travers les livres d’histoire.

* (Afronline.org, Italie et Addis Fortune, Ethiopie)

Giovanni Carbone est chercheur associé en Sciences politiques auprès de l’Università degli Studi de Milan (Italie) et responsable du programme Afrique de l’Institut italien des études politiques internationales (ISPI).

Cet article est publié dans le cadre d’un projet éditorial qui associe 25 médias africains indépendants.

Traduction de Bougouma Fall.

 

 

Fig. Nombre de coups d’État par décennie en Afrique subsaharienne, 1960-2015

Source : données ALC.

 

 

Pays

Date du putsch

Dirigeant

Élection post putsch

Dirigeant du putsch toujours au pouvoir après l’élection ?

 

 

 

 

 

République centrafricaine

15/03/2003

François Bozizé

2005

OUI

São Tomé et Príncipe

16/07/2003

Fernando Pereira

2006

NON

Guinée-Bissau I

14/09/2003

Veríssimo Correia Seabra

2005

NON

Mauritanie I

03/08/2005

Ely Ould Mohamed Vall

2007

NON

Mauritanie II

06/08/2008

Mohamed Ould Abdel Aziz

2009

OUI

Guinée

22/12/2008

Moussa Dadis Camara

2010

NON

Madagascar

17/03/2009

Andry Rajoelina

2014

NON

Niger

19/02/2010

Salou Djibo

2011

NON

Mali

22/03/2012

Amadou Sanogo

2013

NON

Guinée-Bissau II

12/04/2012

Mamadu Ture Kuruma

2014

NON

Burkina Faso

01/11/2014

Yacouba Isaac Zida

2015

NON

 

 

 

 

 

 

 

Tableau Coups d’État post-2000 en Afrique subsaharienne.

Source : données ALC.