Entre reculs et atteintes graves aux libertés : La Mauritanie dos au mur

10 March, 2016 - 00:17

Amnesty International (AI) n’a pas été tendre. C’est le moins qu’on puisse dire. Elle a  dressé un tableau particulièrement sombre de la situation des droits de l’homme et des libertés en Mauritanie. Dans son rapport 2015/2016, l’organisation internationale s’émeut de la détention de  deux  militants anti-esclavagistes et du  blogueur condamné à mort pour apostasie. « Alors que les droits à la liberté d’expression et de réunion faisaient l’objet de nouvelles restrictions », s’indigne AI, « ces droits ont été encore plus menacés par une nouvelle loi sur les associations de la Société civile. […} Les conditions de détention restent éprouvantes ». Poursuivant sa sentence, AI relève que « le recours à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements s’est généralisé, favorisé par la garde à vue prolongée, autorisée par la législation antiterroriste. Bien que de nouvelles lois ont défini la torture et l’esclavage, comme des crimes contre l’humanité et renforcé les mesures en vue de les combattre ».

En Novembre dernier, la situation des droits humains en Mauritanie étaient examinée par l’Examen Périodique Universel (EPU) de l’ONU. La Mauritanie a accepté 136 recommandations, dont la fondation d'un mécanisme national de lutte contre la torture. Elle en a rejeté 58, notamment l’abolition, de sa législation, de la peine de mort et d'apostasie. Des restrictions ont été imposées aux droits à la liberté d’expression et de réunion, ce qui a entraîné la détention de prisonniers d’opinion.

L’organisation internationale a également condamné les peines prononcées contre Biram Dah Abeïd et Brahim Bilal Ramdane, deux leaders du mouvement IRA, soulignant l’opposition prononcée, par le Rapporteur des Nations Unies, à la restriction des droits à la liberté de réunion et d’association et contre le projet de loi relatif aux associations de la Société civile, approuvé, par le Conseil des ministres, sans aucune consultation publique.

Enfin, Amnesty International a également mentionné les persécutions, pour ses idées, contre l’ancien colonel de la Garde, Ould Beïbacar, et sa détention, pendant six jours, à la Direction de la Sûreté Nationale (DSN), avant sa remise en liberté sous contrôle judiciaire. En Décembre 2014, Mohamed ould Mkhaïtir, un blogueur qui était, quant à lui, en détention provisoire depuis près d’un an, a été condamné à mort pour apostasie, par le tribunal de Nouadhibou, dans le nord-ouest du pays. Il avait écrit un billet de blog critiquant l’utilisation de la religion pour marginaliser certains groupes sociaux. Il se trouvait toujours en détention à la fin de l’année 2015.

 

Torture et autres mauvais traitements à la pelle

Relativement à  la torture et aux mauvais traitements, AI fustige les traitements infligés aux prisonniers soupçonnés d’appartenance à des organisations terroristes (Aqmi et Daech), remarquant que « le recours à la torture et aux mauvais traitements a été favorisé par la loi antiterroriste de 2010, qui permet de maintenir en garde à vue, pendant une période pouvant aller jusqu’à 45 jours, les personnes soupçonnées d’actes terroristes ». Et AI de signaler le cas d’un prisonnier détenu pendant plus d’un an, torturé pendant sa détention puis contraint de signer des « aveux », après sept jours d’intenses mauvais traitements. Selon Amnesty International, aucune enquête n’a été diligentée, lorsqu’il a dénoncé ces actes devant les juges. Toujours selon AI, une femme aurait été également soumise à la torture et aux mauvais traitements ; et des mineurs  battus, en garde à vue et en prison, où ils partagent la même cour que des adultes. « La femme aurait été torturée durant sa détention provisoire. Elle a affirmé que des gardiens lui avaient arraché ses vêtements et l'avaient giflée, pour la contraindre à des « aveux ». Après son procès, elle a été extraite de la prison et emmenée dans un poste de police, où elle a été, de nouveau, battue.  Constatant la présence d’ecchymoses sur son corps, les autorités pénitentiaires, ont d’ailleurs signalé les faits au procureur ». Un des mineurs détenus a affirmé qu’on l’avait menotté et frappé, pendant quatre jours, pour le contraindre à « avouer ». Parmi les autres méthodes signalées figuraient les coups assénés avec un câble, la suspension au plafond et l’eau versée dans les narines.

Amnesty considère également que les prisonniers salafistes conduits à la prison de Salah Dine sont des « disparus forcés » : « Khadim ould Seman, Mohamed ould Chbih et Mohamed Khaled ould Ahmed, trois détenus condamnés à mort pour une fusillade à Tourine, ont été victimes de disparition forcée en Février. Ils avaient participé à un sit-in, organisé dans la prison, pour protester contre le fait qu'un détenu n'avait pas été remis en liberté à la date prévue. Les autorités pénitentiaires ont affirmé que ce mouvement de protestation s’était accompagné de violences. Les gardiens ont tiré des grenades lacrymogènes et frappé les prisonniers à coups de matraque, avant d’emmener les trois hommes dont on est sans nouvelles depuis. Le ministre de la Justice a déclaré, en Juillet, qu’il n’était pas en mesure d’indiquer leur lieu de détention et qu’une délégation serait autorisée à leur rendre visite en Octobre, après l’adoption de la loi sur la torture. Mais, à la fin de l’année 2015, les trois hommes restent victimes de disparition forcée ».

Les autorités n’ont toujours pas ouvert d’enquête sur le cas de quatorze hommes condamnés pour des faits liés au terrorisme, qui avaient fait l'objet de disparition forcée en 2011, se désole AI. «  Ils ont été détenus, dans des conditions éprouvantes, au centre de détention de Salah Eddin, où l’un d’entre eux est mort en Mai 2014. Les treize autres ont été transférés dans la prison centrale de Nouakchott en Mai et Juillet 2014 ».

 

Feuille de route  non respectée

Relativement à l’esclavage, le rapport mentionne qu’ « une nouvelle loi, modifiant celle de 2007, a été adoptée en Août. Ce texte définit l’esclavage comme un crime contre l’humanité, double la peine d’emprisonnement encourue par les contrevenants et mentionne dix formes d’esclavage, dont le mariage forcé. En Décembre 2015, deux personnes ont été placées en détention et inculpées de pratiques esclavagistes ».

Dans la même foulée, Anti-Slavery, Kawtal  N’gam Yelitaaré, IRA et SOS-Esclaves, ainsi que l’UNPO (organisation des peuples non représentés) ont  épinglé le gouvernement, pour l’irrespect de la feuille de route sur l’esclavage. Selon ces organisations, « la plupart des projets prévus par cette feuille n’ont pas été mises en place », considérant, au passage, que « TADAMOUN ne vient pas assez en aide aux esclaves et aux anciens esclaves, dans leur intégration. Elles ont aussi dénoncé l’impunité des maîtres esclavagistes et l’inapplication de la loi incriminant les pratiques esclavagistes, ainsi que la non-implication des organisations actives dans le domaine de la lutte contre ce phénomène ».

Concernant la peine de mort, « bien qu’aucune exécution n’ait eu lieu, depuis plus de vingt ans, et malgré un moratoire de facto sur les exécutions, des condamnations à mort ont été prononcées, cette année encore. Deux hommes déclarés coupables de viol d’une fillette ont été ainsi condamnés, en Juillet ». Et de relater, pour finir, l’évasion « de la prison centrale de Nouakchott, en Décembre, d’une personne condamnée à mort pour terrorisme » et des pénibles conséquences, pour tous les détenus de cette prison, notamment Biram Dah Abeïd et Brahim Bilal Ramdane, sur leurs droits de visite et d’activités quotidiennes.

Synthèse Kaaw Thierno