Il ne se passe pas un mois sans qu’un scandale vienne éclabousser le peu de respectabilité qui nous reste. Ghanagate, la balle « amie » de Tweïla, Wartsilagate, saisies répétées de drogues dures et douces, grâce présidentielle accordée aux trafiquants, évasions de prisonniers, réputés islamistes ou de droit commun, marchés de gré à gré, tout y passe. La déliquescence de l’Etat a atteint un tel degré que plus rien ne surprend, dans un pays désormais à la dérive. Où tout se négocie, se vend ou se brade, en fonction des intérêts d’un cartel pour qui il n’y a pas de petits profits. Mais, avec les deux scandales qui ont éclaté, coup sur coup, cette semaine, la coupe est pleine. D’abord, l’affaire Senoussi. Ce qui était un secret de Polichinelle est devenu réalité, de la bouche d’un témoin qui assista au témoignage du Premier ministre libyen. Qui n’a pas hésité à déclarer, devant les députés, avoir payé 200 millions de dollars, à la Mauritanie, en échange de Senoussi et qu’il était même prêt à puiser dans ses deniers personnels, pour récupérer l’ancien tout-puissant chef des services secrets, au temps de la dictature. Un député libyen vient, en effet, d’en faire état, dans un livre-témoignage sur les pratiques encours, sous la coupole du parlement libyen, depuis la chute de Kadhafi. Appelons donc un chat un chat : notre pays a bien négocié, comme dans toute opération commerciale classique, pour vendre cet hôte pas si encombrant que ça, finalement. Il en a récupéré 200 millions de dollars qui ont atterri partout… sauf dans les caisses de l’Etat. Dans un paradis fiscal, peut-être, où ils dorment toujours, en attendant qu’on vienne les chercher. Quelques mois auparavant, lors d’une rencontre avec la presse, Ould Abdel Aziz avait pourtant déclaré que Senoussi serait présenté à la justice et ne serait pas extradé. Avant de faire volte-face. Difficile de résister, évidemment, face à des arguments sonnants et trébuchants. Quitte à se dédire et à fouler du pied l’hospitalité légendaire de notre peuple.
Autre scandale jailli subitement : l’accord passé entre la Mauritanie et Al Qaïda au Maghreb Islamique, dont une copie fut récupérée (comme par hasard ?) dans les effets personnels de Ben Laden, par le commando américain qui l’assassina. Il nous informe qu’en vertu d’un gentlemen agreement, la Mauritanie n’attaquerait pas AQMI, avec la coalition formée par la France, pour libérer le nord malien en 2013 et lui verserait entre 10 et 20 millions d’euros par an, pour compenser le manque à gagner consécutif à la non prise d’otages occidentaux sur le sol mauritanien. En échange, AQMI s’engageait à ne plus attaquer la Mauritanie. Ould Abdel Aziz avait pourtant fait, de la lutte contre le terrorisme, son principal cheval de bataille, un des justificatifs de son coup d’Etat de 2008 et des moyens, énormes, accordés à l’Armée, avec la caution occidentale à son pouvoir. Il s’était même permis de jouer au héros, en s’attaquant à AQMI dans le septentrion malien, avec des résultats mitigés. Une expérience qui lui permit de se rendre compte qu’un ennemi fuyant comme celui-là n’est pas facile à vaincre et qu’un accord, même mauvais et scandaleux, une fois ébruité, vaut mieux que des commandos capables de frapper n’importe où, avec des risques certains de déstabilisation, pour son régime. L’argument selon lequel notre sécurité serait désormais assurée, grâce à un maillage serré du pays, à la mise en place de groupes spéciaux d’intervention, destinés à pourchasser les terroristes, l’achat à n’en plus finir d’équipements militaires, tombe ainsi à l’eau. De Charybde en Scylla, il reste quoi, alors ?
Ahmed Ould Cheikh