Le Rassemblement des Forces Démocratiques (RFD) a organisé, le mercredi 24 Janvier 2015, un meeting populaire qui a mobilisé plusieurs milliers de personnes. Pour plusieurs observateurs, cette manifestation aura été certainement l’une des plus importantes de ces dernières années, en nombre de participants. Mais là n’est pas l’essentiel de mon propos. Curieusement, l’événement a été passé sous silence par tous les medias officiels et divers médias privés. Or dans un pays qui se réclame de Droit, la Constitution garantit, aux citoyens, le droit à l’information. Un média, tant officiel que privé, qui n’informe pas n’a pas de raison d’être.
Black out médiatique sur les activités de l’opposition, une institution fondamentale, pourtant, de toute démocratie. La responsabilité de ce grave manquement n’incomberait, paraît-il, qu’au zèle des responsables de ces médias officiels et privés qui se seraient autocensurés, « pour ne pas déplaire aux autorités ». Malheureusement pour eux, leur amateurisme aurait eu l’effet contraire, puisque le président de la République en aurait été dans tous ses états et aurait même donné instruction, depuis Bujumbura, de ce que ces zélés amateurs retransmettent les informations liées au meeting de l’emblématique parti de l’opposition. Vrai ou faux ? Cela mérite d’être vérifié.
D’autant plus que les thuriféraires du pouvoir ne manquent aucune occasion de souligner combien la liberté d’expression et l’accès à l’information n’ont jamais été aussi respectés qu’en ce moment. Et de citer, à tout bout de champ, le classement, à ce sujet, de la Mauritanie dans le monde arabe. Ce qui n’est, pourtant pas, une indication d’excellence, tant il est vrai qu’il n’y a guère mérite à se retrouver le premier des derniers. Alors que, depuis quelques temps, des journalistes sont traînés devant les tribunaux. Les exemples ne manquent pas. Agressés verbalement, ils le sont parfois aussi physiquement. Pas vraiment, non plus, un signe de bonne santé de la liberté d’expression...
Certes, les journalistes ne sont pas exempts de reproche. Ici plus qu’ailleurs, sans doute. En Mauritanie, la fonction souffre de beaucoup d’aléas : amateurisme, rétention de l’information, manque de moyens, inféodation et autres problèmes liés à la nature même du pays où cette presse s’emploie, vaille que vaille, à s’investir. Certes, cela n’autorise pas le journaliste à transgresser les lois et à fouler au pied les principes fondateurs de son beau métier. Le commentaire doit rester aussi libre que l’information sacrée. Le professionnalisme et l’éthique imposent, à tout journaliste consciencieux et responsable, de renoncer à la publication de la moindre information dont la véracité lui semble un tant soit peu douteuse. Aucune tentation, aucune pression ni, encore moins, manipulation ne devraient le résoudre à s’y résigner. En se tenant à telle juste mesure, voilà qui prémunit le journaliste, contre les nombreux risques liés à son aventureuse mission, et lui assure le soutien de ses pairs, en cas de malencontreuse affaire.
Dernièrement, la Haute Autorité de la Presse et de l’Audiovisuel (HAPA) a décidé de suspendre l’émission de télévision « Vissamim », animée par notre confrère Ahmedou ould El Wedi’a. Avant cela, ladite institution de régulation et de contrôle des contenus de presse en avait fait de même, avec l’émission radiophonique « Sahara Talk», de Zaïd, notre tout aussi distingué confrère. Avec brandi, à chaque fois, le motif de la « menace contre l’unité nationale ». Les correspondances en ce sens, adressées aux responsables de ces medias, respectivement Al Mourabitoune TV et Radio Saharamédia, fourmillent, cependant, d’imprécisions. Exemple : la HAPA prétend que l’officier mauritanien convié dans une des « Vissamim » a cité les noms de certains de ses pairs impliqués dans les tueries extrajudiciaires des années 89/90. Alors que l’invité en question n’a cité aucun nom, comme en témoignent les enregistrements, toujours disponibles, de l’émission…
Cela dit, la HAPA est bien un organe théoriquement chargé de veiller au respect des engagements pris, dans les cahiers de charge de la profession, par tous les médias publics et privés. Je ne suis pas de l’avis de ceux qui pensent que sa composition ne l’y prédispose pas. Elle obéit à des textes réglementaires accessibles à tous. Certes, s’il y avait plus de journalistes parmi ses membres, cela aiderait, probablement beaucoup, à développer le professionnalisme et l’éthique. Certes, le choix, essentiellement politique, de ceux-ci n’y contribue guère. Mais la HAPA a effectivement le droit de rappeler les medias à l’ordre et, au besoin, de suspendre les émissions et programmes en faute. Elle doit seulement les traiter tous avec égalité et objectivité. Si tel était le cas, la télévision officielle de Mauritanie aurait, depuis longtemps, fermé boutique. D’un, parce qu’elle ne respecte pas les tranches horaires explicitement attribuées à tous les acteurs politiques nationaux, se contentant de servir de simple caisse de résonance aux activités officielles du pouvoir, de ses antichambres et autres haut parleurs. De deux, parce qu’elle retient et censure l’information, privant les citoyens de leur droit constitutionnel et ordinaire à l’information, comme ce fut le cas lors du dernier meeting du RFD. De trois, parce que certaines de ses émissions ne font que l’apologie de l’esclavage, du tribalisme et du régionalisme. L’émission Ejma’a est une illustration éloquente de ces incongruités provocatrices qui desservent la cohésion sociale. « Menace contre l’unité nationale », clame la HAPA ? Dis, Mohamed, pourquoi tu tousses ?
Sneïba El Kory