Lors d’une conférence de presse donnée, à Nouakchott, le mercredi 3 Février, Juan E. Mendez, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, autres peines et traitements cruels, inhumains ou dégradants, a exhorté la Mauritanie à envisager des réparations pour les violations des droits de l’homme et déportations forcées, durant la période dite du « passif humanitaire », entre 1989 et 1992 ; y compris en engageant des poursuites pour les crimes internationaux, en particulier la torture. « L’impunité, pour les crimes du passé, ne fait que favoriser l’impunité dans les situations actuelles d’abus », a-t-il souligné. Suivant son mandat, Juan E. Mendez a révélé qu’il veillera à ce que les victimes obtiennent leurs droits et qu’elles puissent bénéficier de justes réparations. Il a estimé que le gouvernement mauritanien est arrivé à des solutions partielles qui constituent néanmoins, selon lui, de bons exemples pour d’autres pays. Et d’espérer que des solutions définitives, prenant en compte les préoccupations des victimes ou de leurs ayant droits, soient trouvées.
Absence d’enquêtes sur les allégations de torture
L’expert des Nations Unies réclame la mise en œuvre, effective, des garanties contre la torture. Son constat est accablant : « Je suis préoccupé par l’absence quasi-totale d’enquêtes sur les allégations de torture et de mauvais traitements », déplore-t-il. Selon l’argentin, il semble y avoir peu d’intérêt des procureurs et des tribunaux à examiner les allégations de torture. « L’absence totale d’expertise médico-légale constitue un facteur concourant à l’incapacité du système judiciaire à enquêter sur ce type d’allégations de manière adéquate. Ceci a également pour effet de rendre quasiment impossible l’application de la règle d’exclusion des déclarations obtenues sous la contrainte », fait remarquer Méndez.
« Les garanties juridiques contre la torture et les mauvais traitements sont en place, mais elles ne sont pas appliquées », a-t-il déclaré. Même s’il se félicité des derniers développements législatifs, en matière de lutte contre la torture, l’expert des droits de l’homme aux Nations Unies indique, cependant que les « acteurs judiciaires doivent admettre la réalité du problème en ce domaine et intensifier leurs efforts pour utiliser et mettre en œuvre ces garanties de protection ».
Le rapporteur spécial s’est alarmé du surpeuplement des installations et leur inadéquation. Il s’est en outre indigné de diverses pratiques abusives : « Lors d’entretiens avec des détenus, plusieurs d’entre eux ont décrit diverses formes de coercition exercées, par la police et la gendarmerie, lors des phases d’arrestation et d’interrogatoire et qui, en vertu du Droit international, constituent des traitements cruels, inhumains ou dégradants : passages à tabac, menaces, violences verbales dégradantes et autres gifles », a déclaré M. Méndez, tout en précisant que d’autres détenus ont reconnu ne jamais avoir fait l’objet de tels sévices.
« Selon certains témoignages que j’ai reçus et que j’estime fiables, la sévérité de la douleur et de la souffrance endurées constituent des cas indéniables de torture, comme, par exemple, l’isolement prolongé, le placement dans des positions très douloureuses ou des passages à tabac sévères, durant plusieurs jours. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un phénomène endémique, les mauvais traitements sont infligés suffisamment fréquemment – en particulier pour les crimes les plus graves – pour que cela mérite d’être pris au sérieux par le gouvernement. Chaque allégation devrait faire immédiatement l’objet d’une enquête complète et les conclusions qui s’imposent être tirées. »
Centres de détention non officiels
Le Rapporteur spécial a également attiré l’attention sur l’utilisation des centres de détention non officiels dont l’existence a été reconnue par les autorités mauritaniennes durant la visite : « Le recours à de tels lieux, ainsi que l’impossibilité de communiquer avec un avocat, pendant une période pouvant aller jusqu’à 45 jours, pour les suspects accusés de terrorisme, suscite un environnement propice à la torture et aux mauvais traitements ». Il exhorte le gouvernement à réviser ces deux politiques et à harmoniser la pratique de la détention avec les standards du Droit international. « Les conditions de vie des détenus sont inhumaines », a ajouté M. Méndez. « Les installations sont surpeuplées, inadéquates – elles ont rarement été conçues à cet effet – insalubres et insuffisamment ventilées. Il n’y a pas d’accès effectif aux soins de santé, le suivi dentaire et psychiatrique est totalement inexistant. Les détenus n’ont pas d’opportunité d’emploi ni d’éducation, ni d’activité physique ni d’accès au soleil. » Le Rapporteur spécial de l’ONU s’est dit, en outre, préoccupé par le fait que le personnel pénitentiaire ne dispose pas d’une formation appropriée, en matière de gestion et de sécurité des établissements dont ils assument la responsabilité.
Au cours de sa visite, qui s’est déroulée du 25 Janvier au 3 Février, monsieur Méndez s’est entretenu avec les hauts fonctionnaires de l’Etat, les institutions gouvernementales concernées, les organisations de la société civile et des associations de victimes. L’expert a mené des visites inopinées en divers lieux de détention, notamment de mineurs… Il s’est aussi rendu dans un centre de détention de haute sécurité très rarement visité, en la base militaire de Salahdine ; à la prison d’Aleg, la prison centrale et celle de Dar Naïm, ainsi que celles des femmes ; les maisons d’arrêt de Tidjikja, Atar et Rosso. Le rapporteur spécial présentera son rapport final au Conseil des droits de l’homme ou à l’Assemblée générale, dans le courant de l’année.
Synthèse THIAM Mamadou