Lorsque l’on vit un deuil, les mots pour dire ce que l’on ressent nous font souvent cruellement défaut. On se sent seul, on est submergé par ses émotions ou par le flot de souvenirs. On ne survit qu’en se rappelant et en se répétant que nous sommes à Dieu, et qu’à Lui nous retournerons, tous.
Ceci est un modeste hommage à un homme qui, pour certains était juste une connaissance ; qui, pour d'autres, fut un ami, un maître, un collègue attentif, et pour les plus proches, un frère, un époux, un cousin, et un père aimant.
Papa,
Pour moi et pour mes frères et sœurs, tu es d’abord un visage, une voix et un sourire. Tu étais notre père, mon Papa. Tu étais le modèle auquel nous nous efforcions de ressembler, le géant à l’ombre duquel nous avons fait nos premiers pas et avons grandi. Un être d’une profonde humanité, toujours à l'écoute de la souffrance et de la détresse des autres, débordant de vie, de joie de vivre et d'optimisme. Tu ne fus pas seulement celui qui, avec une infinie tendresse et patience, nous a inculqué le respect de soi et de l’autre, la rigueur dans le travail et la rectitude morale, et qui nous a donné les armes pour affronter la vie. Tu as été le socle sur lequel, les uns après les autres, nous nous sommes dressés, avant de prendre notre envol.
Maintenant que tu es parti, je commence à comprendre qu’en partageant nos joies et nos peines, en nous soutenant dans toutes nos épreuves, tu nous préparais autant aux aléas de la vie ici-bas qu’à l’inéluctable perspective de l’Au delà.
Pour le monde officiel, tu t’appelais Guisset Amadou Baba ; pour tes intimes tu étais Amadou Dioumo ; pour nous, tes enfants, pour moi, tu étais Papa. Un mot simple, deux syllabes qui à nos yeux contenait le monde dans sa totalité, et tout le parcours de vie avec.
Ta carrière d’enseignant a débuté en janvier 1962. De cette date à ton rappel à Dieu, tu as entouré ta famille (parents, frères et sœurs mais aussi oncles, cousins et cousines) d'une attention particulière, avec cette admirable constance qui t'a valu respect et considération dans tout le ''Yirlaabe e Hebbiyaabe'' (département de M'Bagne). Tu as veillé à l'éducation, à la santé, et au bien être des tiens et, grâce à ton indéfectible soutien, ils ne manquèrent jamais de rien, et n'eurent jamais rien à envier aux autres. On aurait pu croire que le temps et l’accumulation des charges réduiraient ta générosité, il n’en fut rien ; au contraire, elle semblait sans limite ; tu continuais à accueillir tout membre de ta parentèle qui se présentait au seuil de ta demeure, sans entrave ni hésitation.
Partager avec les autres était pour toi un credo. J’étais encore un tout jeune enfant quand j'ai été frappé par le bonheur qui t’illuminait lors des retrouvailles familiales, à l’occasion des rencontres au village ou ailleurs, ou quand tu invitais des amis ou collègues pour les fêtes ou pour un week-end. Comme si pour toi, chacune de ces rencontres était un hymne à la solidarité, à l’amitié et à la joie du partage.
Comme une minorité de ta génération, tu es entré à l'école française plusieurs années avant l’indépendance. Selon le témoignage de nombre de personnes qui ont vécu avec toi cette période, tu t’es vite distingué par la passion et le sérieux que tu vouais aux études. Cela te valut l'estime et la considération de tes enseignants, dont tu avais gardé un souvenir ému, en particulier Monsieur Sidi Mohamed Diagana, dont on sentait, à ta voix, que tu avais été son élève préféré, et que tu avais pour lui une sincère et profonde affection.
Après l'école primaire de Mbagne, ce fut le collège de Rosso. Tes excellents résultats portaient la promesse d’un brillant avenir. Pourtant, à la surprise de tous ceux qui devinaient en toi un énorme potentiel, tu décidas d’arrêter tes études afin de venir en aide à ton père submergé par les charges d’une famille nombreuse. Sacrifice difficile et plein de noblesse, et à propos duquel jamais tu n’exprimas de regrets.
A la fin de ta formation, Timbédra fut ton premier poste d’enseignant, étape inaugurale d’une longue et riche carrière d'enseignant, à une époque, hélas révolue, où l’enseignement était un sacerdoce, et l’instituteur la plus noble des figures. Á l’Est mauritanien succédèrent d’autres postes, au sud, où tu exerças avec le même dévouement et un enthousiasme égal : Boghé, Ndiorol, Aéré Mbar, Abdalla-Diery, Wothie, Sorimalé, Bababé, M'bahé. Et enfin, pour que la boucle soit bouclée ainsi qu’il se devait, c’est à Mbagne où avait commencé ta vie scolaire que se termina ta carrière d’enseignant de l’école publique, et où tu fus admis à faire valoir tes droit à la retraite.
Quelque deux à trois décennies après ton passage parmi eux, les parents d'élèves des localités où tu déployas tes qualités d’homme et d’éducateur ne tarissent pas d'éloges pour ta personne, et louent, encore aujourd’hui, tes vertus humaines, la qualité de ton enseignement et l'efficacité de ton encadrement qui ont fait de nombre de leurs enfants des cadres et des dirigeants du pays.
Parmi ceux-ci, je citerais, à titre d'exemple, car la liste est longue :
- Monsieur Harouna Traoré, cadre à l'UNESCO à Paris, de Timbedra
- Le Général N'Diaga DIENG, ancien Chef d'Etat Major de la Gendarmerie Nationale
- Monsieur Thiam Diombar, ancien Ministre et Conseiller à la Présidence de la République
- Monsieur BA Abdoulaye Mamadou, Directeur Général de la SMCP à Nouadhibou
- Monsieur Hamdou Raby SY, Professeur de Philosophie à Paris
- Monsieur BA Yaya, Chef d'Agence de la Banque Société Générale à Nouadhibou
- Monsieur Doudou Wane, Professeur à l'Université de Nouakchott
Mais, pour toi, la retraite n’était pas synonyme d’abandon ; enseigner, éduquer t’était devenu une seconde nature. Malgré l’âge et une santé fragile, tu poursuivis ta mission en créant une école privée, à Nouakchott, dénommée “Ecole Mourabitoune“, que tu dirigeras jusqu'en 2007, avant d'en céder la gestion à un jeune collègue, et de retourner définitivement dans ton Dabbé natal (à proximité de M'Bagne).
Je ne sais si on te l’a dit, mais par delà la grandeur de ton âme, ta générosité, ton sens de l’amitié et du partage et ta capacité d’écoute, ce que tout le monde appréciait en toi, ce que nous, tes enfants, retenons comme le plus précieux des héritages, c’est ton souci du travail bien fait, ton amour de la discipline, ta rigueur professionnelle et ton aversion de la paresse. Je t’entends encore nous répéter cette mise en garde qui nous servit de garde fou contre les dérives de l'adolescence : « si par malheur, l'un d'entre vous devait être désavoué par son enseignant pour indiscipline, mieux vaut pour lui ne pas revenir à la maison, car d’ores déjà, j’affirme mon entière et totale solidarité avec son enseignant''.
Pour toi, l'école et l'éducation étaient un espace et une activité sacrés, et s’il est une chose qui assombrit la dernière période de ta vie, ce fut le spectacle de la dégradation de l’une et de l’autre. Je me rappelle ce jour où ma petite sœur Fatimata se précipita pour t’annoncer triomphalement la fin de sa formation d’institutrice à l'ENI (quelques années après la sortie de la promotion de son frère ainé, Djibril). Tu observas un silence si long qu’il en devint assourdissant. Puis tu secouas la tête et lui dis : « la promotion de ton grand frère Djibril a tué l'enseignement, la tienne est venue pour l'enterrer définitivement ».
Il est dommage que l'école actuelle n'ait pas su capitaliser la riche et solide expérience que la génération de prestigieux enseignants et éducateurs à laquelle tu appartiens a bâtie avec rigueur et abnégation. Mais ceux de ton temps, dont les rangs sont chaque jour un peu plus clairsemés, n’ont pas œuvré pour rien. Toi que nous pleurons aujourd'hui, et les BA Malick Cheikh, BA Kassoum Aly, SOW Oumar, Kane Hamidou Galal et tous les autres avez fait œuvre utile. Ceux qui vivent en portent témoignage, et la postérité vous en sera éternellement reconnaissante. Que la terre vous soit, à tous, légère
Repose en paix, Papa, nous te sommes à jamais redevables
Inna lillahi wo inna ileyhi raajioune.
Battande guurdo fof ko maayde.
Ton fils,
GUISSET Mamadou Amadou
Ingénieur Génie Civil
Manager Pôle Infrastructures Support à l'Autorité de la Zone Franche de Nouadhibou
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