Mais la Mauritanie est désormais la « Suisse de l’Afrique » : un pays stable, doté d’infrastructures modernes, avec un taux de croissance à deux chiffres, sans aucun analphabète, où la démocratie fonctionne à plein régime, où l’école produit une élite de choix. Vous ne rêvez pas. Vous n’avez pas, non plus, de bourdons aux oreilles. L’affirmation, gratuite cela va sans dire, est d’un jeune loup du camp qui nous gouverne, sans doute emporté par un zèle qui lui a déjà fait dire beaucoup d’autres âneries.
Peut-on se comparer à la Suisse, ce modèle de bonne gouvernance, quand notre Président se vante, à la première occasion, d’avoir construit quelques kilomètres de routes bitumées ? Quand on a autant d’eau et de terres fertiles et importer encore menthe et salade ? Quand notre capitale est découpée en concessions rurales au seul profit de quelques appétits voraces ? Quand, après cinquante-cinq ans d’indépendance, Nouakchott n’a toujours pas le moindre réseau d’assainissement ? Quand tous les papiers d’état-civil, de l’extrait d’acte de naissance au passeport, sont vendus aux citoyens ? Quand, malgré une chute de 70% des prix du pétrole depuis Juin 2014, l’Etat refuse, systématiquement, de baisser d’une ouguiya le prix des hydrocarbures à la pompe, au moment où, au Mali voisin, un pays enclavé qui s’approvisionne à partir du port de Nouakchott, les consommateurs ont déjà eu droit à trois ristournes. Quand, au lieu d’encourager le privé et lui trouver des marchés et des partenaires, l’Etat le concurrence, en investissant à l’aveuglette. Quand des centaines de nos brillants cadres préfèrent émigrer pour ne pas se noyer dans la médiocratie. Quand on a plus de banques que le Maroc ou le Sénégal, pour une population d’à peine trois millions et demi d’habitants, et un taux de bancarisation extrêmement faible, parce que chacun veut avoir sa propre banque. Quand, rien qu’à Nouakchott, on a plus de pharmacies que de dispensaires, d’hôpitaux et de cliniques réunis. Quand toutes les rues et façades de maisons sont transformées en boutiques, dans la plus totale anarchie. Quand on entre au pays comme on entre au cinéma, en s’acquittant d’un ticket d’entrée à la frontière. Quand on vend les écoles l’année qu’on a pourtant proclamée de l’Education. Quand tout un chacun, même illettré, peut se prévaloir du titre de journaliste, se faire reconnaitre comme tel, interviewer le Président et prétendre à l’aide publique. Quand, depuis près de quarante ans, l’Armée fait main basse sur le pouvoir et refuse de le lâcher. En bref, peut-on être la Suisse quand on est aussi mal barrés ? Heureusement qu’on n’a pas d’lac à Nouakchott : on y aurait mis le feu, au moins depuis 1978…
Ahmed Ould Cheikh