Les Harratines constituent une importante composante de la nation mauritanienne. Cela va sans dire. Aucune statistique officielle ne permet, cependant, de connaître, avec précision, leur nombre exact. Ce qui n’est fondamentalement pas si important que cela. Les Harratines font surtout face, aujourd’hui, à plusieurs problématiques, aussi complexes les unes que les autres. Il y a, d’abord, la question de leur appartenance, supposée ou réelle, au grand ensemble maure dont ils partagent toutes les valeurs culturelles. Entre ceux qui pensent ceci ou ceux qui pensent cela, la polémique ne s’arrête pas. Il y a, ensuite, la question de leur émancipation dont est tributaire le développement de tout le pays. Etant entendu qu’il est impossible, pour la Mauritanie, d’avancer normalement, alors que plus de la moitié de sa population ploie, encore, sous le joug de la pauvreté, de l’ignorance et de la maladie. Il y a, enfin, cette brûlante affaire de l’esclavage, autour de laquelle gravitent tous les calculs et toutes les contradictions. Calculs de ceux qui prétendent défendre les esclaves et anciens esclaves. Et les contradictions d’un Etat qui vote des lois, instaure des tribunaux, emprisonne des contrevenants, en continuant de nier, au plus haut niveau, l’existence d’un phénomène pour lequel des instruments juridiques, des cadres institutionnels et des agences de prise en charge ont été fondés. Mais, au-delà de toute cette complexité, il y a, surtout, l’attitude des Harratines eux-mêmes, face à leur problématique. Tous les Mauritaniens sont, aujourd’hui, unanimes à reconnaître que cette composante a été victime d’injustice. La réparation de celle-ci et l’émancipation urgente de celle-là sont de la responsabilité de tous. Mais les Harratines en semblent, paradoxalement, le principal obstacle. Sinon, comment comprendre ces interminables divergences sur de petites considérations qui n’avancent ni ne reculent ? Qu’El Hor meure ou qu’il vive, l’urgence reste que ces millions de mauritaniens laissés en bord de route parviennent à rattraper la caravane. Par l’intermédiaire de qui ne doit pas être une considération essentielle. Quand la pluie vient, il n’est pas important de savoir d’où elle est venue ! La guerre de leadership n’est pas de propos. Elle relève d’une malveillance notoire, quand bien même l’objectif est unique : permettre à des populations longtemps laissées à la marge de prendre place, dignement et honorablement, parmi toutes les autres composantes nationales. En haut en haut, tous les Harratines, lambda et exceptionnels, disent la même chose. Mais, en coulisses, ils sont incapables d’accorder leurs violons et de s’entendre sur l’essentiel. Cela veut dire, tout simplement, qu’il y a anguille sous roche. SOS-Esclaves, IRA et autres mouvements, comme El Hor ou le Manifeste pour les droits politiques, sociaux et économiques des Harratines, n’ont certainement pas les mêmes approches de la problématique mais il est impensable qu’ils n’aient pas les mêmes objectifs. Sinon, une fois encore, il y a, forcément, anguille sous roche. Or, quoiqu’on dise dans cette affaire, les Harratines sont d’abord les premiers concernés. Les autres ont, certes, un rôle important à jouer mais il vient après que les Harratines eux-mêmes se seront compris, dans la transparence, la bonne foi et la maturité. Pour une grande cause, il faut l’émergence d’un grand leader qui jouisse de l’unanimité, de la confiance et du respect de tous. Cela semble encore manquer aux Harratines. Ce n’est pas qu’ils en manquent. C’est, justement, qu’ils en ont de trop. Aucun de ceux qui brandissent, aujourd’hui, le flambeau d’El Hor n’en est fondateur. C’est la preuve de la continuité de la lutte. Aucun responsable harratine politique, syndical ou militant des droits de l’homme ne donne, aujourd’hui, la primeur à l’autre, de par son expérience, son audace ou son opiniâtreté. C’est preuve d’immaturité et de désorganisation. Il est incontestable que, par endroits, les ambitions personnelles l’emportent sur l’intérêt général de la composante dont on tire la « légitimité » du combat. Cette débandade justifie le désintérêt, voire le mépris, dont sont victimes les Harratines, au plus haut niveau. Cf. les propos les citant, dans la conférence de presse du président Mohamed Ould Abdel Aziz du 28 Novembre 2015, organisée à Nouadhibou. Comme cela, les Harratines resteront toujours un programme politique que convoitent les deux autres composantes nationales. D’une part, les Arabo-berbères qui font valoir la dimension culturelle des Harratines, afin de se prévaloir d’une majorité qui leur garantisse de régenter, à leur manière, les ressources et les postes de l’Etat. Et, d’autre part, les Négro-africains qui ne désespèrent pas de rallier à leur cause des supposés cousins lointains que les razzias et rezzous leur ont enlevés, dans la perspective d’une éventuelle bataille de positionnement démographique, pour la réalisation d’ambitions groupusculaires. L’unité des Harratines semble le seul rempart contre ces diverses velléités. C’est pourquoi la revendication de composante à part entière est une réclamation pertinente. Si tant est qu’elle permettra, aux Harratines, de dépasser leurs querelles inutiles et de conjuguer leurs efforts, afin de travailler effectivement, la main dans la main, avec leurs autres concitoyens, pour l’émancipation effective des millions de personnes encore dans la misère et le dénuement dans les adwabas, campements et quartiers précaires des grandes villes nationales.
Sneiba El Kory