Le pouvoir et l’opposition n’arrêtent pas de s’essayer au dialogue depuis le putsch manqué de 2008. Mais, à chaque fois que la « mayonnaise semble prendre » et que les mauritaniens croient que le plus dur est passé, le pouvoir, dans la majorité des cas, fait machine arrière. Une stratégie qui déroute non seulement l’opposition, mais aussi une partie de l’opinion. Et c’est fort des « expériences malheureuses » de dialogue depuis Dakar jusqu’au Palais des congrès, en 2011 que l’opposition continue à douter de la « sincérité » du pouvoir à entrer dans un dialogue « franc et sincère ». L’attitude du pouvoir est devenue « impénétrable » selon certains observateurs. Comment un pouvoir qui prône, à chaque occasion sa volonté d’aller au dialogue, refuse de s’engager par écrit sur un certain nombre de points de la plateforme de son opposition alors même qu’il a remis en cause l’accord de Dakar de 2009, parrainé par toute la communauté internationale? Comme l’a dit l’autre, ce n’est pas du Coran ! En agissant de la sorte, le pouvoir ne se donne pas une bonne image, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, si tant et bien que c’est là son souci.
Le Niet du pouvoir
Même si jusque là, le Forum n’a pas reçu une réponse écrite, après la rencontre du 2 décembre dernier, le mutisme du pouvoir accrédite les rumeurs qui circulent à Nouakchott et selon lesquelles, l’émissaire du gouvernement, Ould Mohamed Lagdhaf aurait téléphoné au président du FNDU pour lui signifier, après une longue digression, le refus ou l’incapacité du pouvoir de répondre par écrit à sa plateforme. Une pomme de discorde sur laquelle d’ailleurs avaient buté les premiers contacts en mai et juin dernier. Un retour à la case départ donc. Un de plus diront certains. Le refus du pouvoir d’accepter de retenir, comme sujets à débattre, ne serait-ce que quelques points de la plateforme du forum laisse perplexe d’autant plus que le président de la République a laissé entendre, il y a quelque temps que rien n’est tabou pour le dialogue auquel il a appelé depuis Chinguetti en 2013.
S’il est devenu difficile ou risqué d’avancer une explication au refus du pouvoir de s’engager par écrit, certains observateurs croient savoir que le gouvernement, quelles que soient par ailleurs les relations exécrables que le RFD entretient avec l’actuel président, ne voudrait pas, semble-t-il, d’un dialogue sans et le RDF et l’APP. Les leaders de ces partis ne voudraient pas s’engager dans « un simulacre » de dialogue dont les règles du jeu et l’application des recommandations ne seraient pas garanties. Le RFD et l’APP doutant, comme les autres partis de la sincérité du pouvoir. APP a vécu l’expérience de 2011 qui a constitué, d’une certaine matière une avancée politique sur certaines questions.
Une marche test ?
Face au silence du pouvoir ou à son refus, c’est selon, le FNDU, qui a connu quelques secousses avec justement la décision de rencontrer l’émissaire du gouvernement, pour renouer le contact, décide d’organiser, le vendredi prochain, une « grande marche » qui se voudrait un moyen de pression mais aussi de défi.
Cette marche du forum qui se fera, semble-t-il, sans le RFD et l’UNAD et dont le but avoué est de « dénoncer l’insécurité urbaine » qui sévit dans la capitale, vise aussi deux autres objectifs.
D’une part, prouver au RFD et au pouvoir que les partisans de la rencontre entre Ould Mohamed Lagdhaf et Ould Bouhoubeyni disposent d’une capacité de mobilisation des masses, sans les amis d’Ahmed Ould Daddah; qu’ils pèsent effectivement sur l’échiquier politique national. Un gros challenge donc pour ces partis, particulièrement le parti Tawassoul, connu pour ses réelles capacités de mobilisation. Selon différentes sources, les islamistes seraient décidés à battre le record de leur mobilisation, à Nouakchott. Le test du forum sera bien scruté par les observateurs car, il y a longtemps que cette coalition n’est pas sortie dans la rue.
Autre inconnue : l’opposition du RFD à la rencontre entre le président du forum et le monsieur dialogue du pouvoir, et le fait que ce parti ne prendra pas part à la marche du vendredi, présagent-elles d’une rupture entre ce parti et le forum ?
Messaoud – Daddah : Une alliance en gestation ?
Depuis que le RFD a exprimé publique son « hostilité » à la rencontre entre Ould Bouhoubeyni et Ould Mohamed Laghdaf et partant donc son refus du dialogue avec le pouvoir, des rumeurs évoquent un rapprochement entre Ahmed Ould Daddah et Messaoud Ould Boulkheir. Un échange d’émissaires aurait même eu lieu entre les deux hommes qui, comme tout le monde le sait, entretiennent des relations pas toujours cordiales.
Outre cet échange d’émissaires et peut-être de coups de fil, les observateurs ont observé à la loupe leur présence au mariage de la fille d’Ely Ould Mohamed Vall, autre ennemi juré du pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz. Une alliance qui s’élargirait non seulement à l’ancien président de la transition 2005 – 2007 mais aussi à l’homme d’affaires, Mohamed Ould Bouamatou, exilé depuis quelques années au Maroc, suite à un différend avec son cousin Ould Abdel Aziz. Si cette présumée alliance prend corps, un jour, comme le croient certains à Nouakchott, on s’acheminerait vers une nouvelle redistribution de cartes au sein de l’opposition , mais aussi au sein de l’échiquier politique national.
Quelle stratégie pour le pouvoir ?
Le refus du pouvoir de répondre par écrit à la plateforme du FNDU risque d’occasionner, une rupture entre les deux parties, lesquelles vont se rejeter la responsabilité, comme ce fut le cas par le passé. Dès lors que fera le pouvoir de Mohamed Ould Abdel Aziz ?
Revenir à son « agenda unilatéral » de septembre / octobre derniers. On se rappelle que c’est au moment où justement le forum attendait la réponse du pouvoir à sa plateforme que le gouvernement a décidé de rompre les contacts et d’organiser des journées préliminaires pour un dialogue national inclusif. En réaction, le forum constate l’échec des pourparlers et signifie son boycott de ces journées. En jouant ce coup, certains observateurs ont pensé que le pouvoir misait sur la division du forum et sur une réaction «positive » des partenaires au développement. C’était sans compter sur l’opposition dont ses deux pôles ont boudé la rencontre du Palais des Congrès. Une « erreur du pouvoir », dira Moussa Fall, président du MCD. En constatant l’échec de son initiative de tenir son dialogue en octobre, le pouvoir fait montre de bonnes dispositions en accueillant positivement la désignation à la tête du FNDU de Me Ahmed Salem Ould Bouhoubeyni alors considéré jusqu’ici par le pouvoir comme « radical ».
Emboîtant le pas à la majorité présidentielle, le président Aziz se retourne vers Mohamed Lagdhaf suite à l’échec d’Ould Hademine, maître d’œuvre des journées préliminaires. Le ministre secrétaire général du gouvernement demande à voir le nouveau président du forum. Rendez-vous est pris le 2 décembre au palais des congrès. La délégation gouvernementale s’engage à répondre par écrit sur le contenu de la plate forme de l’opposition. On connaît la suite. Alors que va faire désormais le gouvernement ? Revenir à l’agenda d’Ould Hademine ou bien poursuivre sa stratégie de pourrissement ?
Face aux échecs répétés des tentatives de nouer un dialogue franc et sérieux, on est en droit de se demander pourquoi des patriotes mauritaniens, tapis souvent dans la diaspora ne se mettraient pas au service de leur pays en jouant les facilitateurs? On peut penser ici, à l’association des cadres mauritaniens expatriés qui vient d’obtenir son agrément ; elle pourrait faire ainsi son baptême de feu. Et si d’aventure, elle hésite à s’engager, préférant ne donner son expertise dans le domaine économique, que les mauritaniens n’aient pas le complexe de faire appel à un « facilitateur extérieur »; il ne s’agit, ici, de sous estimer les capacités des mauritaniens, mais nos acteurs politiques étant suffisamment méfiants, les uns les autres, on imagine mal comment ils pourraient briser le miroir de glace qui les sépare aujourd’hui.
Dalay Lam