La Mauritanie vient de célébrer avec tambours et trompettes le cinquante-cinquième anniversaire de son accession à l’indépendance. Pour la première fois, les festivités marquant cet événement ont été transférées à l’intérieur du pays. C’est à Nouadhibou, à plus de quatre cent kilomètres (470 kms) que le défilé miliaire, la levée des couleurs nationales et autres manifestations se sont déroulées. Cinquante-cinq ans d’indépendance dont trente six ans de pouvoir militaire. Dix huit ans d’exercice civil et quinze mois d’intermède démocratique auquel une certaine humeur massacrante d’un général désavoué est venu mettre fin. Et replonger du coup la Mauritanie dans un système prétendument constitutionnel soutenu en sourdine par une oligarchie militaro- affairiste aux desseins inavoués. Les valeurs morales consolidées au fil du temps et qui structurent la vie politique, sociale et économique nationale font l’objet depuis quelques temps d’effraction particulièrement préjudiciable à la cohésion sociale et à la stabilité. De plus en plus, des questions nationales fondamentales se posent avec acuité. La gestion des rapports sociaux traditionnels basés sur la stratification sociale constitue en ces temps un terreau favorable à toutes les contradictions voire à toutes les confrontations. La cohabitation entre les communautés nationales pose de plus en plus problème. Surtout depuis les douloureux événements qui ont ensanglanté le pays à travers les exécutions extrajudiciaires des militaires négro-africains et la déportation de leurs familles des années 1989 à 1991. Or, face à tous ces problématiques de fond, la politique de tous les systèmes n’a pratiquement jamais changé. Jamais les dispositifs et les stratégies de cette politique de 1978 à nos jours n’ont favorisé l’émergence d’un climat de sérénité et de fraternité entre les membres de la société. Sur la question de l’esclavage par exemple : Le déni, l’instrumentalisation et la manipulation ont toujours été les palliatifs pour une situation qui s’amplifie de jour en jour et qui génère une radicalisation aux conséquences imprévisibles. Jamais un président mauritanien n’a eu le courage de faire face convenablement à cette histoire. Naturellement qu’en cela les gouvernants selon les circonstances de leur arrivée au pouvoir ont adopté des approches différentes. Quand bien même qu’institutionnellement et même juridiquement, cette question paraît réglée, sur le plan pratique, elle demeure présente dans ses plus éloquentes manifestations et dans ses plus rebelles incommodités. La dizaine d’affaires jugées entre 2010 et 2014 constitue une preuve sans appel de l’existence du phénomène. Les esclaves Yarg et Said dont le maître a reconnu les faits pour n’écoper que de deux ans avant d’avoir une liberté provisoire. Oumoulkhair et ses enfants : Tarba, Yarbe, Mohamed et les autres sont là : « leurs têtes comme des graines ». Leurs maîtres sont à Yagref jouissant de l’impunité totale. L’esclave Choueida et ses huit enfants libérés de Lemgueyti vivent aujourd’hui à Tarhil dans le plus grand dénuement matériel et la plus grande blessure psychologique. En dix ans, les organisations des droits de l’homme, notamment SOS Esclaves ont libéré des centaines d’esclaves. Des centaines de dossiers sont pendants devant les juridictions nationales. Depuis son arrivée au pouvoir, Mohamed Ould Abdel Aziz, plus que tous les autres, ne fait que nier catégoriquement l’esclavage non sans une petite dose d’humour peu à propos d’ailleurs. La délectation de la souffrance des autres et l’irrévérence à l’égard de millions de citoyens est une attitude dangereuse. Ce n’est pas que quelques Harratines « ambitieux » acceptent de jouer au cinéma en voyageant à tort et à travers aux frais de la princesse pour collectionner échec sur échec dans les forums internationaux que cela suffise pour éradiquer l’esclavage. Le galvaudage de la problématique et son utilisation à la réalisation de caprices personnels ne la fourvoiera nullement. L’Histoire rattrapera tout le monde : Président indélicat et acteurs peu talentueux. Les lois criminalisant l’esclavage, les tribunaux spéciaux, les fonds des institutions de prise en charge des esclaves et victimes d’esclavage ne serviraient à rien sans des magistrats indépendants, courageux et consciencieux. Or, depuis 2007, toutes les affaires d’esclavage présentées devant les tribunaux sont à quelque une ou deux exceptions près systématiquement requalifiées en travail de mineur, occupation non rémunérée et autres qualifications fallacieuses qui sentent clairement la manipulation complice de certains juges. Selon Boubacar Messaoud, président de SOS Esclaves et membre fondateur du Mouvement d’émancipation des Harratines (El Hor créé le 5 mars 1978) : « L’attitude des juges est compréhensible. Comment voudrions-nous que ceux-là puissent reconnaître l’esclavage alors que le président déclare chaque jour son inexistence » ? Face au déni du pouvoir, l’instrumentalisation de certains Harratines et à la manipulation des lois et dispositifs, le combat pour l’éradication de l’esclavage sera rude et fastidieux. Après cinquante-cinq ans d’indépendance, la Mauritanie doit faire comme les autres. Se réconcilier avec elle-même à travers de larges concertations nationales qui prennent en charge toutes les questions de fond : Cohabitation apaisée entre communautés, partage des ressources nationales, esclavage et promotion des secteurs sociaux, notamment l’école et la santé. Les intérêts égoïstes passent. Les peuples restent. Pour cela, il faut savoir raison garder.
Sneiba El Kory