Ould Abdel Aziz a-t-il un (plusieurs ?) problème(s) avec les privés mauritaniens ? Ou, du moins, certains d’entre eux : ceux qui n’entrent pas dans le moule qu’il s’est forgé. Ceux qui ne lui obéissent pas au doigt et à l’œil. Ceux dont les intérêts croisent le fer avec les siens ou avec ceux de ses proches. Il y a, en tout cas, comme un malaise et des hommes d’affaires, jadis frileux, ne s’en cachent plus. Le président du Patronat, jusqu’alors très prudent, gérant ses relations avec Aziz sans faire de vagues, malgré les coups qu’il a pris, est sorti de sa réserve, la semaine dernière, lors d’une cérémonie à la Chambre de commerce. Il a fustigé, en termes à peine voilés, l’absence de concertation entre l’Administration et le secteur privé, le harcèlement auquel les services fiscaux exposent les opérateurs économiques et l’ingérence, inacceptable et grave, de « certaines » autorités, dans les opérations de renouvellement des instances du Patronat national. Ahmed Baba ould Aziz demandera, par la même occasion, la fin de l’immixtion des pouvoirs publics dans les prérogatives des commissions de passation de marchés, la fixation d’une durée, précise (et raisonnable), pour le paiement des créances du secteur privé auprès de l’Etat, et le strict respect de ces délais. La coupe était, donc, suffisamment pleine pour que le Patronat, généralement très soucieux de ses intérêts et évitant, autant que faire se peut, une confrontation avec les pouvoirs publics qu’il se sait incapable de remporter, sorte ainsi de sa réserve et dénonce une situation devenue chaotique.
Ou, vue sous un autre angle, trop exagérément orientée : le président de l’Association des maires de Mauritanie est un ancien colonel, tout comme le président de la Fédération des éleveurs ; un général défroqué est également pressenti, pour la Fédération de l’agriculture dont les instances seront renouvelées sous peu… A ce rythme, toutes les fédérations du Patronat finiront dans l’escarcelle d’anciens militaires. Le patron des patrons a raison de s’indigner et nous avec. Les économistes de tous bords sont d’accord sur un seul point : il ne peut y avoir développement sans un capital national fort, capable de créer des richesses et de susciter la croissance. Avec la mainmise de l’Etat sur certains secteurs (transport aérien et terrestre, BTP, assurances …), la Mauritanie post-2008 va à contre-courant des principes économiques de base et… du bon sens, tout simplement.
Ahmed Baba aurait pu ajouter que cette politique est en train de démontrer ses limites. Les sociétés publiques croulent sous le poids des dettes. L’Etat est en cessation de paiement et n’a plus les moyens d’honorer ses engagements. Serons-nous assez sages pour reconnaître que nous avons fait fausse route mais qu’il n’est pas trop tard pour faire machine arrière ? « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée », disait Descartes. Mais pas en Mauritanie où l’entêtement tient plutôt de méthode de gouvernance. A ceci près qu’à entêté, entêté et demi : l’indignation des patrons serait-elle compatible, ne serait-ce qu’un temps, avec celle des syndicats, voire de l’opposition ? De fait, si forum et front partagent la même initiale, il n’y a qu’un pas de l’un à l’autre. Et ce serait, alors, beaucoup pour un seul homme… aussi entêté soit-il.
Ahmed Ould Cheikh