Moi je vais célébrer la parution du millième numéro à ma façon. D’abord en évoquant comment je suis arrivé, un certain jour de 1997, au journal. Comme par hasard. Ensuite, celui qui fut mon premier maître à « écrire », dans ce qui deviendrait, bientôt, le journal le plus controversé de la République. Pour les uns, c’est un journal de l’opposition. Pour les autres, c’est un journal tout court. Comme tous ceux qui existent au pays. Rien d’exceptionnel. Sauf qu’Habib ould Mahfoud et la poignée de ses amis, aujourd’hui trouvables partout, ont eu l’idée de le fonder. Enfin, comment ça va maintenant, au Calame. Pas de panique, gens du Calame ! Je n’irais pas jusqu’à dire nos petits secrets d’amis et collègues. Ni nos petites souffrances, liées aux conditions d’un journal étiqueté, fiché, déconseillé, même, à ceux qui détiennent les cordons de la bourse publique.
Bon, moi, je suis venu comme ça au Calame. Après une extraordinaire expérience au journal Al Mourabit que géraient trois grosses pointures de la presse nationale : Abdoulaye Ciré Bâ, Wane Birane et Ahmed Jiddou ould Aly. Pour mes débuts, j’étais particulièrement chanceux. Je vais même vous raconter une petite anecdote sur mes débuts. Un jour, la direction d’Al Mourabit m’envoie pour mon premier reportage sur les Mauritaniens revenus en catastrophe de la Guinée-Bissau. Ils étaient parqués au Stade olympique. Je pars. Premier essai, pas du tout un coup de maître. Revenu avec des papiers dégoulinant de littérature, je m’assois sur un bureau, quand un homme, respectable mais que je ne connaissais pas, s’approche de moi. Je lui propose de m’écouter lire mon article. Il l’accepte poliment, sans vanité. Quand j’en eus fini, il me fit des remarques extrêmement pertinentes et partit. Dans ma tête, je me disais : « Mais, cet homme-là, qui se croit-il pour me donner des leçons ? » je vous le donne (en mille, bien sûr !) : c’était Abdoulaye Ciré Bâ que je ne connaissais pas. Première leçon de journalisme… Merci doyen.
En 1995, j’enseignais aux environs de Rosso. A Mbarwadji, un village h’ratin sur le fleuve, à quelques dizaines de kilomètres de Tékane. Un commerçant de R’kiz y fut assassiné. J’écrivis « Meurtre à Mbarwadji » que Le Calame sortit, grâce à son correspondant Jiddou ould Hamoud, mon ami et collègue instituteur. Puis, après la courte expérience d’Al Mourabit, Ahmed Jiddou ould Aly partit diriger l’équipe de rédaction de Nouakchott-Info et me proposa de l’y accompagner. Mais, sans savoir exactement pourquoi, j’optai pour Le Calame. Je crois que ce jour-là, toute l’équipe était là : Feu Habib, Ahmed ould Cheikh, Thiam, Hindou, Moussa (de passage, car il était correspondant à Nouadhibou), Alioune Sow, l’indéboulonnable majordome, Mohamed l’algérien qui faisait la saisie, et les autres. J’entrai directement dans le bureau de Habib. Plein de monde comme d’habitude. Je pris le temps d’attendre de me retrouver seul avec le maître. Sans détour, je lui expliquai, alors, que je voulais être journaliste au Calame. J’ai encore en mémoire sa réponse : « Sois le bienvenu. Ici, tu peux tout écrire, tant que ça ne touche pas à l’unité nationale. Mais, Sneïba, sache aussi qu’ici, on n’a pas d’argent. On est pauvre ». Ce que feu Habib ne savait peut-être pas, c’est mon exceptionnelle capacité à m’adapter. Ahmed Ould Cheikh peut en témoigner, puisqu’il sut, à ses dépens, que j’apprenais vite.
Au Calame, comme partout, ce sont des hauts et des bas. Les hommes passent. Les institutions restent. Le Calame est resté, malgré les aléas du temps. Les pressions. Les menaces. C’est une grosse boîte d’amis. C’est la Mauritanie en miniature. Dirigée par un général de la Pesh, entouré de valeureux officiers de même qualité. Athié, Sneïba, Thiam au centre. Jiddou et Biri Diagana au Sud. Moustapha Ould Béchir à l’Est. Mansour, l’artiste des mots et des tournures qui lit et relit patiemment tout. Cheikh, droit devant son ordinateur, chaque mardi pour la maquette. Son humeur est fluctuante. Elle dépend du nerf de la guerre et d’une santé très précaire. Alioune, le véritable chef qui sait tout. Par qui tout passe ou presque. Il connaît chacun. Il classe les collègues selon sa logique. Qu’il pleuve ou qu’il neige, les verres de thé et le morceau de pain sont là, servis à tous. Le plus grand affront qu’on puisse lui faire est de refuser son verre qui n’est pas forcément bon. Pape le planton. Dellah, le chauffeur. De précieux collaborateurs sans lesquels Le Calame n’aurait pas certainement été si régulier. Et, ha !, la Derwichette. Cette impénitente qui secoue, à sa manière, la société. Cette guerrière de Béziers dont les chroniques se lisent à Bassiknou. Celle qui brave les interdits du Calame. Quand elle est là. Elle fume au Calame ! Son cendrier lui est précieusement gardé, dans les armoires de l’irracontable Alioune. Félicitations pour le millième, gens du Calame ! Courage !
Sneïba El Kory