Après avoir publié, la semaine dernière (N°999), la première partie des réflexions de Mohamed Mahmoud ould Bakar, sur la problématique actuelle de la Mauritanie, Le Calame se proposait d’en présenter la seconde, après son numéro spécial largement consacré à sa millième édition. Craignant que le lecteur ne perde le fil de son discours, l’auteur nous demande de la présenter dès maintenant. La voici.
[…] Tous les efforts de conciliation se soldent par des échecs, parce qu’ils n’expriment pas l’opinion souterraine de certains acteurs politiques et, plus précisément, parce qu’ils ne prennent pas en compte, parmi leurs priorités, la satisfaction des ambitions personnelles des uns ou des autres, chacune des parties voulant imposer, à son rival, la signature d’un document de soumission.
C’est ainsi que le Président Messaoud Ould Boulghair, fort de la confiance de toutes les parties, s’est placé en arbitre. Dans son va-et- vient incessant entre les acteurs politiques nationaux, ils rencontraient, chaque jour, les réactions et les positions contraires à ceux d’hier. Comme si l’échec est assuré de toute façon. Les rideaux sont tombés et son initiative s’est fourvoyée entre deux feux ennemis brûlants, ce qui n’a pas manqué de le perturber et, enfin, le décourager. En réalité, les parties en jeu n’ont pas fait preuve de responsabilité parce que la base du discours en référence au dialogue, ses dispositions, ses propositions et ses initiatives sont déjà dépassés et ainsi tous ses outils sont comme des caisses de résonnance disponible à être utilisé de nouveau pour le même usage.
Dans une perspective de mise à l’écart de l’opposition, à faveur de la découverte d’une alternative à celle-ci, le régime s’oriente vers la tricherie, exactement comme celui qui s’efforce de mettre des pansements sur un corps sain, le peuple n’étant pas partie prenante de la crise politique. Celle-ci concerne au premier chef les partis politiques et le régime, deux constituantes de ce paysage et tout effort solitaire de chacune des deux parties pour résoudre la crise dans le pays est inéluctablement voué à l’échec.
Les régimes d’antan qui se sont effondrés dans les pays arabes étaient beaucoup plus solides que le nôtre et leur chute résultait de la volonté d’une petite minorité de 5% de la population de leur capitale sous l’impulsion de l’opposition. Hosni Moubarek en avait fait les frais et les voix des 83% du peuple égyptien lors des élections n’ont empêché la dérive de son pouvoir, ni encore les 19 Millions qui ne se sont pas révoltés au Caire contre lui. Il est aujourd’hui derrière les verrous et le regard des égyptiens vis-à-vis de lui en fait un jouet ou quelque chose d’insolite et nouveau comme dans un parc zoologique à découvrir !... Le sort malheureux de Zein Al Abidine de Tunis n’est pas meilleur : il a dû "prendre la fuite" alors qu’il venait d’être plébiscité par un score de 98% aux élections présidentielles.
Un régime qui fait fi de ces leçons de l’histoire et rassemble de manière dérobée et à la va-vite des petites formations politiques et certaines organisations de la société civile qui ne peuvent, en aucune manière, remplir l’espace vide qu’occupaient des partis politiques crédibles qui ont derrière eux une longue tradition de lutte, qui symbolisent quelque chose dans le pays et disposent d’une popularité certaine. Ce pays - là sombre et nous devons répéter inlassablement cette amère vérité.
Toutes les mains sont tendues pour que le dialogue s’enclenche, tous les résultats d’analyse concluent que la concertation entre les acteurs politiques est la seule voie qui vaille pour résoudre la crise que vit le pays, toutes les déclarations mettent en relief l’intérêt du dialogue et pourtant celui-ci tarde à se mettre en place. Où réside donc le nœud du problème? Afin d’éviter tout le monde, le régime invite de manière désinvolte au dialogue comme dans une fuite en avant ; dans une cacophonie incroyable et assourdissante, il feint d’ignorer les exigences de l’étape historique que traverse le pays et des intérêts nationaux majeurs qui en découle. Lui, son unique souci est d’expliquer au peuple médusé sa supériorité par rapport à l’opposition et, ainsi, il est plus patriotique et plus ouvert au dialogue que les autres (entendez Opposition).
Pourtant, il ne daigne même pas aborder les véritables raisons qui rendent le dialogue, à ce point, important et impérieux. Il ne sait pas, non plus, pourquoi s’en tenir au dialogue lui offre une propagande prégnante et dont il faut payer le prix. Malgré tout, il fait croire qu’il ne veut que du bien pour l’opposition et, par générosité, il ne reconnait pas l’existence d’une crise dans le pays. Les ministres, ses missionnaires auprès du peuple, continuent de s’empêtrer dans les contradictions devant le public auquel ils s’adressent et s’évertuent à déformer les faits têtus dans le but inavoué de dribler l’opposition et de préparer l’opinion pour que ce régime perpétue son pouvoir après l’échec d’assainissement de ses rapports avec l’opposition. Avec cette option à laquelle le régime prépare l’opinion, le pays n’a d’autre choix que de s’enfoncer davantage dans un gouffre comme ce qui s’est produit en 2008. Ni moins, ni plus.
Au niveau du régime, nous sommes en présence d’une réflexion fondée uniquement sur la préservation d’intérêts étroits qui ne prennent en compte que les soucis personnels que fait prévaloir un groupe pivotant autour du Président de la République parmi lequel se recrutent des cadres dont l’ascension s’est produite à la faveur de ce combat contre l’opposition, par un pur hasard et non sur la base d’une promotion où la compétence et l’esprit de responsabilités devraient compter pour de tels choix.
En engageant de nouveau le pays sur les chemins précédents, le régime continue à exercer un arbitraire total sur l’opposition, ne lui offrant aucune chance de construire un minimum de confiance en lui et cherche à l’accabler comme si elle est en charge de la gestion du pays.
Dans sa tactique, l’opposition lève haut la barre de ses revendications dans l’espoir d’obtenir du régime des signes positifs en ce qui concerne ses intentions réelles à vouloir aller de l’avant ; elle cherche ainsi à fonder une nouvelle confiance entre les deux parties dont les relations souffrent d’une méfiance réciproque. Le régime oublie vite qu’il est resté maître de bord dans la gestion des événements qu’a vécus le pays et de la dérive des mauritaniens qui ont connu de façon permanente des situations chaotiques. L’effort de sacrifice que ce régime devra aujourd’hui entreprendre, c’est d’abord de sauver son existence, sauver le pays, etc. Cela passe par la volonté du pouvoir de se débarrasser des cadres au passé sombre, qui prêchent par le maintien du statuquo, qui s’emploient à la marginalisation des principales forces politiques en présence dans le paysage national et ne proposent que des schémas opportunistes et vides de tout intérêt pour le devenir de la Mauritanie.
Le régime au pouvoir en Mauritanie sait mieux que quiconque l’ampleur des dysfonctionnements que sa gestion du pays a entraînés. Pendant long temps, sa stratégie se fondait sur deux axes, à savoir le fait accompli et la mobilisation de l’opinion pour laquelle tous les moyens de l’Etat sont mis à contribution. Dans cette quête, il a, dans une certaine mesure, réussi ses objectifs, ce qui explique la satisfaction en soi qu’il éprouve, la cause du mépris qu’il a envers l’opinion de ses adversaires. Cette conduite représente une faute grave pour le régime qui risque d’en faire les frais, la propagande et la réalité sur le terrain étant deux choses totalement différents. Ainsi, il est nécessaire d’avoir cette évidence à l’esprit pour éviter que la propagande ne s’installe pas dans notre esprit comme vérité intangible.
En réalité, nous vivons la destruction de notre expérience démocratique. Ce danger se traduit aujourd’hui par la volonté du régime qui veut que nous nous conformons à sa démarche de propagande faisant valoir que son exercice du pouvoir était bénéfique pour le pays et devant servir au jugement de ses intentions, ce qui constitue une autre condition de blocage. Acceptons tout de même de dépasser ce handicap, et sans rechigner, il faut quand même définir des limites à cette expérience: comment, quand et où devrons trouver ses limites? Le problème posé à nous actuellement est de savoir qu’elle est l’étendue de l’impact de cet état de fait sur la situation générale du pays.
C’est dans ce contexte, le cadre qu’impose le régime à notre participation dans le but inavouée de limiter notre marge de manœuvre de manière à ce que nous n’agissons pas librement, c'est-à-dire nous mettre dans des conditions où nous nous serons pas en mesure de pouvoir exercer une influence quelconque sur cette situation. En conséquence, nous ne serons pas pour le régime des acteurs viables car il ne trouve pas d’intérêt à notre participation feignant ignoré ou refusant d’envisager le fait qu’on pourra un jour se trouver ensemble dans une situation où nous aurons besoin de se concerter par la force des choses. Le hasard, en d’autres circonstances, peut jouer comme pour tous et reproduire sur la place que le pouvoir occupe aujourd’hui les mêmes scénarios ne lui laissant qu’une position de second rang n’étant plus qu’un citoyen simple. A ce moment là, il ne sera pas protégé, ni entouré d’une cohorte, les acolytes s’étant évanouis dans l’air, dansant derrière et il reste, lui seul, exposé à la force de la loi qu’il a léguée à ses successeurs, une loi régentant l’arbitraire selon l’adage «Qui pratique l’injustice, subira forcément l’injustice». C’est le sort qui se joue !...
La Mauritanie fait partie intégrante de ce Monde et il n’existe pas de problème menaçant l’existence d’une nation aussi grave que celui de l’instabilité. En cherchant, coûte que coûte, à écarter l’opposition de l’arène politique et s’imposer de nouveau au pouvoir sans tenir compte des dispositions constitutionnelles en vigueur ou à faire fi des espoirs légitimes de notre peuple au changement et à l’alternance, le régime actuel pousse le pays vers une plus grande instabilité, grosse de tous les périls.
Dans la perspective de quitter le pouvoir, Ould abdel Aziz a besoin aujourd’hui de s’entourer d’une équipe plus solide, plus sage, d’un gouvernement plus sincère, plus capable de relever les défis du moment. Il est victime d’une clique dont le clientélisme est de règle, le submergeant de données, d’informations et d’analyses imbus d’intérêts personnels, produisant des contre-vérités et des exagérations de toutes sortes, loin de tirer la leçon des événements et des données historiques. Le produit de la réflexion de cette clique ne sert que la démarche unilatérale, l’entêtement aveugle et les positions figées.
La CUPAD, regroupant des partis de l’opposition, a tenté par le biais de son dialogue avec le régime de débloquer la situation de crise politique dans le pays encouragée en cela par les acquis du premier round bipolaire ayant apporté des avancées positives en ce qui concerne l’arsenal juridique relatif à la lutte contre l’esclavage et la consolidation de la démocratie tout en laissant la porte ouverte pour voir les acteurs politiques nationaux s’engager dans un processus inclusif. Elle a réussi à pousser le FNDU à reconsidérer sa position et exploré de nouveaux contacts avec le pouvoir alors que le seuil de ses revendications porté vers le départ du régime en place. L’acceptation par cette partie de l’opposition du dialogue constitue une concession majeure que le pouvoir n’a pas su apprécier à sa juste valeur au moment de faire le bilan des pertes et profits. Le Président Messouad Ould Boulkheir s’est trouvé obligé d’assurer un lien minimal entre les deux parties malgré les difficultés rencontrées ça et là. Son initiative est restée la pierre angulaire à partir de laquelle toutes démarches exploratrices de dialogue prenaient leur départ et le lien ombilical qui faisait revivre l’espoir dans un environnement défavorable où les deux s’adonnaient à une véritable guérilla politique.
Mais, le FNDU a échoué là il aurait dû tout gagner dans sa volonté d’arracher un dialogue au pouvoir qui a continué à le proposer en toute circonstance ne voulant en réalité que faire une apparence dénuée de tout intérêt. Le FNDU a, quant à lui, fait preuve de grande fermeté dans ses préalables au dialogue laissant de côté l’essentiel comme s’il voulait entraver la marche vers la concertation. Ainsi, son document ne fut pas celui produit par une élite du pays. Après avoir disloqué le dialogue, elle en avait fait plusieurs axes.
Or, toute approche politique doit tenir compte de plusieurs paramètres notamment le contexte national et régional, les possibles concessions de part et d’autre, les conséquences en cas d’échec, les contraintes et l’alternative proposée, etc. Le FNDU ne s’est pas occupé de ses détails, de même il a été dominé par des considérations personnelles et risque d’assurer une certaine part de responsabilité dans ce qui pourra advenir au pays.
Tous ont contribué à la voie dans laquelle se trouve aujourd’hui engagée la Mauritanie d’autant plus que le FNDU tourne le dos au dialogue au moment où le Président Mohamed Ould Abdel Aziz ferme toutes les issues à une solution acceptable pour tous et définit les mécanismes, le niveau et les acteurs d’un nouveau dialogue avec lui, refusant d’autoriser une réponse écrite au FNDU. Maintenant, la tentative du FNDU d’entrouvrir une nouvelle fenêtre à travers la demande du report du dialogue se trouve couronnée d’échec, alors que le Président Messaoud Ould Boulkheir refuse de s’engager dans tout dialogue qui n’est pas inclusif. Le cercle s’est-il donc complètement refermé sur le pays nous conduisant, de la sorte, au destin funeste que nous fuyons? Une interrogation lancinante nous monte, en ce moment précis, à la gorge : alors, pour qui la Mauritanie ?