« Existe-t-il pour l'homme un bien plus précieux que la santé ? » (Socrate).
J’ai choisi de porter l’étendard d’un lanceur d’alerte, pour prêcher l'impatience et la colère de tout un peuple. Quoique je n’aie pas les moyens d’investigations d’un juge d’instruction, ni ceux de la police nationale, j’ai ce témoignage, à travers des rencontres et des faits réels, en essayant de ne pas trahir le secret médical. J'ai rencontré le ministre de la santé, Ould Jelvoun, un vendredi matin, à la clinique Chiva. Il était venu visiter une patiente hospitalisée. Il voulait mon avis médical car le cas l’inquiétait. « Je veux juste », me dit-il au cours de la conversation, « la garder ici en hospitalisation, en attendant de l'évacuer en Tunisie ». Ma réponse fut extrêmement rapide et cinglante. « Monsieur le ministre de la Santé, je suis vexé, comme sûrement les sept cents médecins de ce pays. Si le ministre de la Santé envoie sa famille se soigner à l'étranger, c'est qu'il a échoué dans la mission qui lui a été confiée ». Il fut très surpris, tétanisé même, lui qui me dépasse de quelques centimètres et pèse quelques kilos de plus.
Quatre mois de fièvres et plus de douze décès s’en sont suivis, quatre mois d’incertitude et de peur. Lorsque le seuil de la tolérance fut atteint, de jeunes citoyens se sont mobilisés, à coups de tags et de hashtags, pour faire sortir le ministre de son mutisme assourdissant. Pourquoi tout ce silence autour de cette redoutable fièvre qui fait tant des ravages, malgré les appels, incessants depuis le mois de Juin, des urgentistes et des médecins praticiens ? Ou sont les familles des malades, où est la société « Si-vile » car une plainte devant une cour pénale pour négligence ayant entraîné la mort est réellement recevable ?
Au-delà de cette mission de porte-parole, autoproclamé et volontaire, d’une population exaspérée, permettez-moi de vous révéler une autre affaire et non des moindres. Notre service de neurochirurgie veut acquérir un microscope opératoire. Nous avons cherché des offres, sur Internet, avec un bon rapport qualité-prix. L’une d’entre elles a retenu l’attention des neurochirurgiens. Un microscope avec un bon rapport qualité-prix, qui nous coûterait, une fois livré à Nouakchott, 38 millions d’ouguiyas. La loi stipule qu’une commande de moins de 50 millions peut être payée par le ministère, via sa filiale CAMEC. Ne voyant aucun avantage et aucune retombée pour son département, le ministre a lancé un appel d’offres public pour ledit achat. Qui dit appel d’offres, dit, à la fin, prix de revient avantageux, au propre et au figuré. Je vous explique : le fournisseur propose le triple du prix dans un pli cacheté. Les fournisseurs ont leurs habitudes, c’est une famille corleonienne. Ils peuvent s’associer pour un dépôt collectif ou individuel, après s'être concertés. Alors que le but d’un appel d’offres est de mettre plusieurs entreprises en concurrence, pour fournir un produit ou un service. Une fois le marché adjugé au moins disant – ou au mieux disant, peu importe, puisque c’est toujours le même microscope – il a droit à un acompte de 30% du prix. Et, comme par hasard c’est juste ce qu’il lui faut pour acheter le microscope ! Où vont les millions qui restent ? Ils serviraient à des rétro-commissions au ministère de la Santé, au Trésor public et à la commission des marchés. C'est ça, la liberté ! Comme disait un grand maitre à penser en l’actuel président du Sénat – loin de moi tout fantasme de l’ironie, car je suis sérieux – « Personne n’en veut d’un marché aussi sec ». Depuis l’annonce de cet appel d’offres, je n’ai pas arrêté de recevoir des coups de fil de fournisseurs qui se demandaient : « C’est quoi, un microscope opératoire ? »
Après la santé, voilà le triste bilan d’un président qui se croyait si proche des jeunes et des pauvres. L’éducation nationale a été sacrifiée, les intellectuels – ou ce qu’il en reste – ont été crucifiés. Je ne parle pas de ceux que j’ai vus et entendu braire, au nom du parti unique ou de l’auto-concertation narcissique, mais de ceux qui ont été contraints de prendre le chemin de l’exil. L’armée nationale est devenue une marchandise comme une autre. L’unité nationale n’a jamais été aussi menacée. Voilà où nous en sommes : une minorité de néo-nantis qui affiche, avec insolence, une richesse soudaine, à côté de la misère pleurante et gémissante. La peur du lendemain incertain, au cas où la Constitution sera retaillée. Certains proches du général Aziz nous promettent que non. Pourtant, en Afrique, « Y en a qu’ont essayé, ils ont eu des problèmes ! » comme disait Chevalier et Laspales (Le train pour Pau).
Enfin une note d’optimisme, dans ce milieu de brutes, pour ce millième numéro. Nous devons cette belle longévité à la bande d’iconoclastes qui résiste, dans ce minuscule village qu’est « Le Calame ». C’est une belle réussite de conciliation et d’enrichissement mutuel, dans un contexte national où le dialogue s’avère, « parfois souvent », impossible. Il faut les côtoyer pour comprendre. L’esprit du fondateur Habib ould Mahfoudh qui fut mon professeur au lycée de Nouadhibou veille discrètement sur les lieux, pendant que le directeur Ahmed ould Cheikh s’essaie au management participatif, afin de gérer les journalistes, avec un mélange subtil de talent et de génie, animés d’une volonté tenace d’informer avant tout : Sneïba, Thiam, Athié, Jiddou et Mansour. C’est à eux que revient tout le mérite. Il y a longtemps, un homme de beaucoup de génie a dit : « « Le mérite a seul droit aux fureurs / C’est un poison heureux qui conserve la vie / Quand la haine se tait on demeure oublie / Et malheur à celui qui n’est point envie »…
Docteur Kleïb Ahmed Salem
Citoyen dégoûté et sans doute pas le seul