Le Calame fête son millième numéro. Mille numéros ! Mais avec le numéro 0 qui entama la série, un fameux 14 Juillet 1993, c’est bel et bien mille-et-une nuits fiévreuses, mille-et-un exercices hebdomadaires, mille-et-un combats contre l’arbitraire et l’injustice, pour la démocratie, l’égalité, le respect des droits de l’Homme. Mille numéros : que de chemin parcouru, depuis le numéro zéro ! Cinq jeunes, tout aussi insouciants les uns que les autres, avaient décidé de lancer, ensemble, un journal totalement indépendant, avec, pour seuls moyens, la ferme conviction que la liberté d’expression ne se décrète pas mais s’arrache. Ils en firent les frais. Le journal sera saisi une trentaine de fois et fermé sept mois, au total des quatorze années de démocratie de façade, octroyée par Maaouya, pour se maintenir au pouvoir en de nouveaux atours. Quand d’autres, découragés par tant d’injustice, décidaient de jeter l’éponge, jamais, au Calame, nous n’avons songé, ne serait-ce qu’un instant, à rendre nos tabliers.
Combat de longue haleine… Il fallait avoir le souffle long pour que l’imbécilité n’ait pas raison de l’idéal. Feu Habib nous disait toujours, pour remonter le moral de l’équipe : « Tenez bon ! Ils partiront. Nous, nous resterons ». Il ne croyait pas si bien dire. Maaouya et son régime ont été, finalement, balayés par la première bourrasque et, avec eux, les baillons, la censure, la saisie des journaux. Oui, nous avons tenu bon ! Et nous avons gagné. Mais seulement une bataille. Malgré les sacrifices, les censures et l’ostracisme qui nous avaient si durement frappés, ceux qui ont pris, depuis, possession de notre pays ne nous ont jamais témoigné la moindre gratitude. Nous ne demandons, certes pas, qu’on nous tresse des lauriers – ce n’est pas dans nos habitudes – mais le bon sens aurait voulu qu’on ait droit à un minimum de reconnaissance.
Serait-ce trop demander au dernier (?) avatar du système Maaouya de considérer une presse qu’il ne parvint jamais à amadouer ? Vingt-quatre ans de « démocratie » n’ont pas amélioré notre situation. Si la censure a été abolie, en vertu de la nouvelle loi sur la presse, votre journal est toujours frappé d’exclusion. Il est banni, de fait, de toute activité officielle (voyages présidentiels, conférences de presse, rencontres avec les journalistes etc.) et ce, depuis un certain 6 Août 2008 de triste mémoire. Pourquoi, selon vous ? Parce qu’on a dit non à un coup militaire contre un président civil. Parce qu’on continue à soulever les sujets qui fâchent. Parce qu’on refuse de prendre pour argent comptant un discours populiste qui ne trompe plus personne. Parce qu’on dénonce l’enrichissement d’une petite minorité et l’appauvrissement de tout un peuple. Parce qu’on dit non aux avantages inconsidérés accordés à l’Armée, au détriment du reste du pays. Parce qu’on rejette l’érection, en méthode de gouvernement, du népotisme et du tribalisme. Parce qu’on considère que l’injustice, les inégalités et le communautarisme peuvent menacer jusqu’à notre existence. Parce que nous avons décelé, dans le bradage du foncier, une volonté manifeste de faire main basse sur des zones idéalement placées. On pourrait multiplier les exemples à l’infini, tant il y a d’infamies dont la seule évocation donnerait un haut-le-cœur aux âmes les moins sensibles. C’est pour toutes ces raisons que Le Calame continuera d’exister. Contre vents et marées.
Ahmed Ould Cheikh