« Le Calame » nous agrémente de publications importantes, depuis son retour de congé estival. La qualité des thèmes et des débats échangés, par articles de presse interposés, me conduisent à renaître dans les colonnes du journal, après les avoir désertées, deux ans plus tôt. Du temps où je publiais, je ne m’expliquais pas le manque de réactions des lecteurs. J’en constate, aujourd’hui, la vigueur. Aussi ne puis-je assister aux échanges en cours avec indifférence.
Colonel Omar ould Beibacar et son hypothétique tactique d’écriture
De prime abord, le journal a eu le mérite de mettre, sous les projecteurs, le colonel à la retraite, Omar ould Beibacar, et, partant, en célébrer la nouvelle naissance. L’homme semble écumer d’idées dont le magnétisme paraît attirer nombre de lecteurs. La révélation de cet officier nous a livré un autre secret jusque-là jalousement gardé par la Grande Muette : certains de ses cadres ont du mérite à vendre ! Dans le temps, la ruée vers l’armée n’attirait que peu des meilleurs élèves et étudiants. Les temps accompagneraient-ils les mutations que connaît notre pays ? Nous n’en sommes que ravis.
Je ne connais pas le colonel Omar mais je l’ai rencontré, une fois, suite au décès de son regretté frère, le colonel Tourad. Le peu de temps passé dans la salle de présentation des condoléances, j’ai noté, auprès de lui, une vivacité d’esprit que je ne soupçonnais point de la part de quelqu’un ayant accepté et intériorisé la discipline militaire. Il brûlait, visiblement, d’envie de tourner, définitivement mais administrativement, le dos à l’armée, histoire de recouvrer la liberté de s’exprimer.
Il parait y avoir réussi. Ses publications donnent l’impression qu’il cherche à marquer les esprits, en conférant, à celles-là, une certaine dose de provocation, afin d’ébranler les croyances et conduire les uns et les autres à réagir. En stratège, il agit comme le font les troupes au sol, en mission d’attaque : commencer par donner des coups dans la fourmilière ; ou, à l’instar des aviateurs qui survolent l’ennemi, à grands fracas, pour agir sur son moral, avant de l’attaquer effectivement. Avec, peut-être, cette visée dialectique de ne pas se retrouver seul à avancer des idées que les uns pourraient qualifier d’hérétiques ou que celles-ci paraissent, aux autres, plus acceptables que celles que développeraient, en réaction, les indignés. J’ai bien l’impression que je n’échapperai à ce traquenard…
Je n’entends pas me prononcer sur tous les sujets qui ont fait les choux gras de la presse à son initiative. Par contre, je dois aborder l’attaque de Mountounsi, le cas de Xavier Coppolani, et effleurer, de commentaires, les réactions, à ces sujets, publiées par les lecteurs. Les autres thèmes ne sont pas moins importants mais je n’ai pas de commentaire là-dessus : en ces cas d’espèce, l’auteur a eu le mérite de nous révéler des informations d’importance, sur nos compatriotes ressortissants de la vallée du Fleuve qui firent les frais de la démesure du pouvoir militaire.
Moutounsi et les motivations de la force coloniale
Le colonel semble vouloir ramener l’histoire de ce pays, dont les groupes ethniques ont été à la base des plus grands empires d’Afrique de l’Ouest, à la présence française. Celle-ci ne s’exprime, pourtant, qu’en termes de minutes, en référence aux siècles de construction, de déconstruction, de cohabitation, d’opposition, de liesse, de calamités, de vie tout court... Il jette, en outre, l’anathème sur les résistants, les affublant des mêmes épithètes que leur donnaient les commandants français de l’époque – je suis sûr que les français d’aujourd’hui, bien plus ouverts et compréhensifs, ne tomberaient pas dans les mêmes travers d’expression et de langage – et magnifie, autant qu’il le peut, tous ceux qui, érudits, émirs ou autres, mirent, à la disposition du colon, leur savoir, leur influence, même leur pouvoir de bons offices, pour démêler les batailles et querelles fratricides au sein du grand Emirat du Trarza alors sur la ligne de front. Le tout à la demande et dans le seul intérêt du pouvoir colonial. Feu Cheikh Sidya prônait qu’un bon croyant peut se rallier à un non-musulman, si celui-ci ne menace pas la religion et ne cherche qu’à ramener la paix. En geste de telle amitié, le grand érudit offrit, à Coppolani, la grande dune qui surplombe Boutilimit, pour la construction de la première garnison militaire française dans la région.
Le colonel a qualifié de courageuse, la fatwa de feu Cheikh Sidiya. Je rappelle que les doctes religieux et les imams, ont toujours soutenu le pouvoir en place, dès les temps les plus reculés à nos jours. Le colonel aurait pu plutôt qualifier de courageux l’émir Sid’Ahmed ould Aïda et l’imam Cheikh Maalaïnine, qui bravèrent les obstacles immédiats, pour s’opposer à un adversaire de loin supérieur en technologie, en armes et en organisation... Le jeune Sid’Ahmed ould Aïda ne se trompait pas sur le rapport de force, mais ses convictions et le sens du sacrifice rendaient nain l’adversaire et géant, son patriotisme.
Nos religieux ont un problème quasi-insoluble avec la notion de patrie et le patriotisme moderne. Ils ne parlent qu’au nom de l’Islam, la patrie ne semble pas dans leur dictionnaire. Certes, la Mauritanie est musulmane et son peuple en est fier mais s’ils militaient seulement au nom de l’Islam, nos religieux devaient proclamer « la révolution permanente » : la Mauritanie pacifiée, ils devaient aller au Pakistan, en Iran, dans les provinces musulmanes de la Fédération russe et, plus loin encore, en Extrême-Orient, tâche au-delà de la vie d’un humain. (A suivre).
Mohamed Fadel Nani
Consultant en finances de l’entreprise