Chapitre 8 : Ordre et secourisme
Il fut un temps où l’Eparse ne connaissait ni police, ni gendarmerie, ni protection civile, pour la simple raison qu’elle n’en avait pas besoin… Elle se prenait en charge, elle-même, à cette époque où, il n’y avait en uniforme, que quelques gardes ; juste les doigts d’une main et éternellement collés au préfet… A Médine, l’ordre était l’affaire de Sabar le facteur, au centre-ville c’était Amar ould Amar ould Ely et partout où voulait Amar et de Mahmoud Lalla au Gowd. Le plus souvent les alertes étaient fausses ou pour des bagarres d’enfants ou querelles de femmes pas assez mûres, mais sans prise aux mains… Le vol y était très rare et quand cela arrivait, le ou les coupables étaient toujours étrangers au village et, immédiatement capturés par les soins des deux détectives-dépisteurs, Alioune ould Sabar et son adjoint Ahmed ould Cheddad !
Ce sont eux aussi qui creusaient les tombes pour enterrement au cimetière.
Quant aux secours : incendie, feu de brousse, tout sinistre, effondrement de maison, de puits, inondation et accidents divers, l’équipe d’intervention rapide était omniprésente, homogène et très opérationnelle, à toute heure de jour ou de nuit !
Alioune ould Sabar, Ahmed ould Cheddad, Sabar, Diabel, Mahmoud Lalla, Ichemkhou, Baede-maje, Ahmedou ould Sabar, Enemraye, Bilal, Mayedne, Labory, M’Beirik, Meinih, ould Madjiguein, etc.
Il était une fois, en automne où presque toute la zone sud-est du merveilleux Iguidi, connut le plus gigantesque feu de brousse, jamais vécu dans l’histoire millénaire du sud.
Hélas, les très immenses, célèbres et précieuses steppes de El Arje et de el Khatt, partirent en fumée !!! A l’origine de cet infernal sinistre du siècle dernier, deux enfants-bergers, sur les trousses d’un lapin, à l’est de N’dabessatt, et au niveau de la piste qui mène à N’der-beg-he. Après avoir débusqué le gibier qu’ils dépistaient, les naïfs chasseurs oublièrent le feu qu’ils avaient allumé !!! Et ce fut alors la terrifiante catastrophe où, toute une magnifique flore, dans toutes ses composantes, sur plusieurs dizaines de milliers de km², fut complètement anéantie, en moins de 24 heures !!!
C’était alors vers minuit, qu’à Méderdra, retentissait plusieurs fois, l’horloge coloniale !!
Une vieillerie rongée par la rouille…, l’ultra vétuste « cloche » de « buron couman-de » !...
Pour ne point ironiser, il s’agissait du plus précieux keepsake parmi la panoplie de symboles agonisants, légués, par nos anciens maîtres dont l’ubiquité assez évidente, nous est…, disons-le, en l’air « indissociable » !?...
Reprises par les échos alternatifs, les vibrations ennuyeuses et stridentes du « machin », furent amplement répandues par les ténèbres de la nuit, brumeuse….
Tout l’Iguidi fut aussitôt alerté par les lamentations lugubres de l’antiquaille, restée très longtemps anxieuse, reléguée et muette ! A cette heure tardive, elle ne devait geindre que pour un sinistre… une détresse !!!... Et ce fut la ruée des hommes vers l’enceinte préfectorale… En quelques minutes, toute la courageuse équipe d’intervention rapide fut sur pied de guerre ! Puis rapidement consolidée !... Même la marmaille, nous fûmes les premiers sur place interrompant notre « Samory » (cache-cache)… Toutes les vaillantes âmes de l’Eparse répondirent à l’appel !!!...
Rapidement, feu Mohamed Djiko chef des eaux et forêts expliqua de quoi il s’agissait, donna les consignes de rigueur puis désigna les équipages des seules quatre voitures en répartissant les forestiers et autres volontaires ! Après le démarrage, le convoi se disloqua au niveau du cimetière : une LR fonça au sud et les trois autres à l’est vers l’épicentre du sinistre….
Après Charatt, Boucoum arrêta brusquement son véhicule et sauta à terre, ayant remarqué qu’à l’arrière de sa bâche, il y avait des enfants bien accrochés aux cerceaux de la voiture !...
- Hé !... vous êtes fous !???? … où allez-vous, comme ça !???.... cria-t-il,
- Et d’une même voix, Sayar, Mohamedou et moi répondîmes posément :
- avec vous… et là, où il y a le feu !...
Aussitôt, tout l’équipage débarqua : … les forestiers M’Baré et ould Jreivine puis Dah ould Boah, Mayedne, Chemkhou, Hommad, Ahmedou, Bilal, M’Beirick, Labory, Heboul, Bah, etc. Impressionné par notre courage, Dah intervint : « … en tout cas… nous ne pouvons rebrousser chemin pour les ramener en ville… et non plus, les abandonner ici en brousse… donc je propose qu’on les embarque, ils resteront à bord en attendant de les renvoyer par la première occasion… » Et nous fûmes à bord, soulagés et fous de joie ! A partir de H’sey Vellegit vers el Qarss, nous débarrassâmes le pare-feu des broussailles qui l’encombraient. S’agissant de la mission première de l’équipage, pour éviter au feu, venant du nord, de chevaucher la route !
Puis, en ligne, nous fûmes face à l’enfer dont l’intermittence des lueurs écarlates ponctuaient la voûte céleste, très sombre et dangereuse, d’un firmament immense et très profond !!!... On ne portait que strings (amguemby) ou sarouals bien repliés et ficelés sur les hanches… Le chauffeur et tous nos habits restés dans le véhicule qui nous suivait à distance… armés de nos balais en paille de chameau (TITAREK) nous nous lançâmes dans notre randonnée pédestre, sans eau, sans provisions et surtout, sans savoir exactement ce qui nous attendait. Quand brusquement, nous fûmes face à face avec le brasier qu’on croyait encore très loin !...
Partout, des archipels de flammes, des orages de fumée opaque et assez de tristesse, qui s’étalaient à perte de vue !... Rien qu’un panorama macabre qui nous attendait pour nous offrir notre baptême du feu, certainement inoubliable !!!...
La nuit fut pesante, très nauséabonde et sombre ; on ne voyait plus que le feu, au milieu duquel, et déjà nous grelottions de froid !
Phénomène incroyable et pourtant, nous le vécûmes, ce soir là… ! Au gré du vent, l’enfer effervescent dévorait les bestioles, etc.
Un vorace impétueux qui engloutissait la nature impuissante et désolée !!!...
Quant à nous autres enfants de la patrie, notre sérieux, notre agilité, notre fougue et endurance avaient bien surpris les vétérans qui oublièrent, très vite, que nous fûmes mis en demeure et menacés d’expulsion !?... Sûrement, parce qu’ils avaient assez de foyers brûlants et très risqués à fouetter !!!...
A l’aube, toutes les équipes furent à proximité de Boutoumbtaya… Et là, malheureusement l’harmattan se déchaîna au lever du soleil, affichant le summum de sa rage effrayante !!!
C’était alors, que le vent chaud et extrêmement puissant, attisa le feu qui rugit énergiquement et tout l’écosystème se mit à geindre, à siffler, grincer, gronder, puis craquer et éclater !!!... Et ce fut la foudroyante apocalypse !!!
La violence mugissante des flammes fait brutalement craqueler l’écorce terrestre d’un beau et fertile territoire, flirtant à la fois avec l’Aoukar et la Chamama !!
Les tourbillons incandescents et vertigineux brassèrent fumée et flammes dans un mélange qui empuantit l’atmosphère mélancolique. Les yeux et narines coulaient excessivement de larmes et de mucosités ! Sans arrêt, on éternuait, on toussait et suffoquait jusqu’à l’apnée momentanée !!!
Finalement, nous fûmes tous contraints de fuir, dans une course-bousculade effrénée, devant les géants dragons de flammes qui nous léchaient les fesses !! Ainsi irrite le feu en colère, repoussa sans ménagement tout le monde vers les dunes de sable, en pause forcée !! Face au fait accompli, toute l’ardeur se dissipa, cédant la place au sommeil plus qu’à l’épuisement, dû à la titanesque besogne déjà abattue… Sur les élévations, devenues sanctuaire de fortune, notre situation ressemblait exactement à une hécatombe !!! Les hommes éparpillés ça et là, étendus à plat ventre, inertes et torse nu, ne furent plus qu’une secte de canailles indiennes, immolée dans un suicide collectif !!! Certainement, afin d’estomper le double courroux des démons et manitous du vent et du feu !!! En ces hauts lieux, l’air morne sentait la chitine cramée et comme atteints de pelade, on ne portait presque plus de cheveux !!! Rien que la crasse, les brûlures aigues, avec en sus, la gorge sèche, l’estomac à plat, le visage have, blafard et perdu !! Après un moment, les enfants, exténués, très assoiffés et somnolents s’en allèrent, loin à l’ouest, vers une tente dressée sur un monticule… La vieille femme qui y était bricola rapidement un zrig très sucré et nous bûmes jusqu’à souffler la grotesque calebasse (essellaye) qui sentait le tanin (edbagh)… Puis, nous tombâmes inconscients, le corps moite et décontracté… Un peu plus tard, nous nous relevâmes et la vieille qui eut, sûrement, pitié de nous, déposa, à défaut d’un repas copieux, du kdeim (djigah) et de la béchamel (s’sarbe)… Mélange très méticuleux que nous dévorâmes à tour de bras et très goulûment ! Notre retour coïncida avec l’arrivée de renforts consistants de Rosso, R’kiz et Méderdra avec citernes d’eau, nourriture, et tout ce qu’il fallait… Puis le travail reprit de plus belle !
Vers 17h, le pire esquivé, tout fut fini et les cortèges foncèrent vers Méderdra où tout le corps préfectoral et régional attendait dans une grandiose fête qui dansait, chantait, « youyoutait », et sentait le méchoui du terroir !!! Passant les troupes en revue, la délégation officielle nous serra les mains avec tous les honneurs dus aux grands héros !!! Avec une note spéciale très sympathique pour la marmaille qui fut affectueusement cajolée et primée pour son exemplarité reconnue par tous !!!...