Aménagement du Territoire et développement régional

1 October, 2015 - 02:00

Le 3 Septembre 2015, à Mauricenter, monsieur Sylli Gandega, économiste planificateur spécialisé en aménagement du territoire, consultant indépendant et ancien ministre du Développement rural, durant la Transition 2005/2007, présentait une importante communication sur l’aménagement du Territoire et le développement des régions. La voici, en trois livraisons.

La Mauritanie reste encore un pays essentiellement rural, avec une population qui s’adonne à deux principales activités : l’agriculture et l’élevage nomade. Les productions agropastorales permettent, tant bien que mal, de subvenir aux besoins alimentaires des gens. Il est vrai qu’à partir des années 70, la sécheresse et son corollaire, la désertification, ont bouleversé les équilibres socioéconomiques et spatiaux. Cela s’est traduit par une sédentarisation désordonnée et une urbanisation accélérée dont le pays continue encore de subir les plus durs méfaits. On a ainsi assisté au développement d’une multitude de petites agglomérations au bord des routes, à côté des points d’eau et des espaces agricoles, et à la croissance spectaculaire des centres urbains, notamment Nouakchott dont le poids démographique ne cesse de croître. La capitale mauritanienne abrite, à elle seule, plus de la moitié de la population urbaine (56%), tandis qu’elle représente 76,6% de la population des villes principales répertoriées (1).

Encore aujourd’hui confronté, malgré l’exploitation d’autres ressources naturelles – mines, pêche et hydrocarbures, notamment – à une situation économique difficile qui ne s’explique qu’en partie seulement par des facteurs exogènes – stagnation de l’économie mondiale et hausses des denrées alimentaires – le pays doit aussi faire face à une sédentarisation mal maîtrisée et à des contraintes climatiques toujours rudes, une conjonction induisant détérioration du cadre de vie et appauvrissement des populations (31% de la population vit encore au-dessous du seuil de pauvreté (2), en particulier en milieu rural (44% en 2014), malgré les nombreux efforts réalisés, ces dernières années, par les pouvoirs publics, en termes de développement humain et de lutte contre la pauvreté.

Aménager un territoire se définit en général, comme « l’action et la pratique de disposer, avec ordre, à travers l’espace d’un pays et dans une vision prospective, les hommes et leurs activités, les équipements et les moyens de communication », en tenant compte des contraintes naturelles, humaines et économiques, voire stratégiques. On parle de vivant : complexe, cette réalité fondamentale doit être abordée selon une approche systémique, dans une concertation, à tous les niveaux, appuyée et constante, entre global et local. Il faudra, sans cesse, garder ce paradigme à l’esprit.

Or les approches, en matière d’aménagement du territoire, adoptées jusqu’ici en ont insuffisamment tenu compte et ont généré, en conséquence, des situations spatiales, socio-économiques et environnementales d’autant plus problématiques qu’elles sont difficilement maîtrisables. Elles ont conduit à l’extension démesurée de la capitale, notamment dans les zones insalubres ; à une fragmentation spatiale manifeste, traduisant une « ségrégation » sociale de fait et à la dégradation continue de l’environnement. A ces risques globaux, s’ajoutent, à l’échelle locale, des menaces en rapport avec les modes de vie moderne qui génèrent de nouvelles formes de pollution. Une mention spéciale doit être réservée à ce que l’on pourrait appeler les urgences environnementales, telles que la prolifération des déchets en plastique, les ponctions abusives sur les formations forestières et les ressources halieutiques, l’érosion côtière et les périodiques inondations des banlieues urbaines.

Pourquoi l’aménagement du Territoire suscite-t-il un si grand intérêt ? Quelle est l’expérience de notre pays en la matière, depuis son accession à l’indépendance, et comment cet aménagement a-t-il été abordé dans nos politiques publiques ? Pour autant qu’elle existe, la politique nationale d’aménagement du Territoire répond-elle aux défis, enjeux et perspectives de développement du pays ? Qu’en est-il du dispositif institutionnel, aussi bien au niveau central que régional, pour la promouvoir et la mettre en œuvre ? Voilà les questions qui seront abordées dans notre présente communication.

 

Contexte et genèse d’une politique nationale d’aménagement

En moins de quatre décennies, la répartition géographique des populations a été profondément bouleversée, accentuant les disparités régionales dans un pays vaste et faiblement peuplé. En outre l’inadéquation, entre présence humaine, activités disponibles et infrastructures, reste la caractéristique principale d’un territoire national dont une bonne partie est occupée par un désert quasiment inhabité. Courant sur un bref intervalle de temps, la révolution sociétale n’a pas pu être efficacement encadrée par les pouvoirs publics successifs, toujours soumis à l’urgence, toujours en retard d’un plan, en l’absence d’une prospective ferme, claire et cohérente d’aménagement du territoire et de développement urbain et régional.

Aménager le territoire n’est pourtant pas si nouveau en Mauritanie. Dès 1960, année de l’indépendance, cette préoccupation se confond, en effet, avec l’ambition des autorités de fonder un Etat unitaire moderne, doté d’une capitale, d’un réseau de communications et d’infrastructures, selon un développement planifié contribuant à mettre efficacement en valeur de conséquentes ressources naturelles ; du sous-sol : eau, minéraux, hydrocarbures ; du sol : végétaux et bestiaux ; de l’océan : poissons et céphalopodes ; de l’air : gisements éoliens ; et du soleil, omniprésent, ouvrant d’immenses perspectives photovoltaïques.

L’aménagement du territoire, en tant que vision politique du développement, n’est apparu cependant, de façon institutionnelle, dans notre pays, qu’au milieu des années 80, avec la fondation d’un Ministère du Plan et de l’Aménagement du Territoire (MPAT). La volonté des autorités d’alors était, à juste raison, de promouvoir le développement harmonieux du pays et de ses deux dimensions complémentaires : planification économique et planification spatiale. Cette dernière comprenant des aspects régionaux, urbains et environnementaux. Ayant constaté l’absence d’une politique d’aménagement du territoire qui puisse sous-tendre sa vision pour un tel développement harmonieux, les autorités confièrent, au MPAT, la formulation d’un Schéma National d’Aménagement du Territoire (SNAT), condition nécessaire – mais pas suffisante – pour une définition adéquate d’une politique conséquente en la matière. Il resterait encore à intégrer ce SNAT, dans les politiques publiques élaborées au niveau global (plans quinquennaux) et sectoriel. Une difficulté d’autant plus grande que les structures administratives en charge de cette problématique étaient soumises à de trop fréquentes modifications. Une certaine continuité dans la réflexion a néanmoins été observée, au fil du temps, aussi bien du côté de l’administration que de celui de la Société civile et des autres acteurs publics nationaux. Le processus de formulation de la politique nationale d’aménagement du Territoire a donc suivi un relativement long processus de maturation.

De fait, ce sera à l’intérieur des projets sectoriels – équipements, assainissement, hydraulique, développement rural ou autres – que se sont, le plus souvent, inscrites les actions d’aménagement du Territoire. Sans vision globale ni politique coordonnée, et répondant le plus souvent aux préoccupations des partenaires au développement, elles ont été, parfois, incorporées aux documents de planification et de programmation régionale des grands projets d’infrastructures. Peu à peu, les carences d’une telle approche désordonnée se sont fait jour et furent de plus en plus évoquées publiquement, dans le milieu du développement. (A suivre)

 

Sylli Gandega

Notes :

(1) : RGPH 2013

(2) : EPCV 2014