Lorsque, alité par une méchante fièvre et une forte hypotension, me parvint la douloureuse nouvelle du décès de feu Mohamed Saïd Ould Hommody, je dus connaître un moment d’obnubilation car la cascade d’impressions que j’en garde déborde largement le registre traditionnel en ce type de moments. D’abord, dans l’image du défunt, je vis défiler le frère, l’ami, le plaisant compagnon, le journaliste, l’écrivain, le diplomate, l’homme de science, le codicologue, le collectionneur passionné de patrimoine, l’intellectuel engagé, l’aristocrate, le militant des droits de l’homme,…C’était trop pour un seul homme, en une seule vie…Vinrent ensuite les souvenirs maintenant douloureusement agréables…Et puis toutes ces images se mirent à s’estomper, sans doute chassées par les sensations fébriles et la tension artérielle en chute libre. Quand je repris mes esprits, je me mis à me poser des questions plus ou moins lucides et pratiques ; du genre : à qui vais-je présenter mes condoléances ? Dois-je les présenter, d’abord, à la famille immédiate du défunt? Dois-je les présenter à mes frères et amis Meyloud, Sedenna, Jemal, Abdel Kader et Al Hadrami? Ou bien dois-je les présenter à la générosité et à la simplicité? À la patience et au courage? À la dignité et à la modération? À la libre parole? À la culture encyclopédique? À la diplomatie modérée? Au patrimoine et à la culture? Aux victimes de l'injustice et de la tyrannie? Aux hommes épris de la liberté et de justice? Aux réfugiés de Palestine? Aux assiégés d’Irak?
Après réflexion et examen de ce que je sais de la vie du défunt, je me suis convaincu que le livre est le plus grand perdant de la disparition de ce passionné des livres que fut feu Saïd (j’utilise ici, ce prénom que par affection, tout le monde a fini par utiliser pour le nommer..); et c’est pourquoi je décidai d’intituler mon hommage "Condoléances au livre."
Dans un témoignage fait l'an dernier à la chaine mauritanienne SAHEL TV dans un dossier qu’elle préparait sur la vie du défunt et sa relation avec le livre, j’ai souligné entre autres que : "La préoccupation majeure de Saïd c’est de collecter les livres par tous moyens et toutes méthodes...". En effet, des relations intimes liaient le défunt aux livres, aux librairies, aux libraires et même aux vendeurs des livres anciens (bouquinistes). Quiconque voyage avec lui ou le rencontre en France, au Maroc ou au Sénégal... a dû constater cette réalité.
Nul doute que le disparu avait beaucoup d'autres vertus difficiles à énumérer et dont je citerai seulement trois sur la base de ma relation avec lui et ma connaissance de sa personnalité.
1. Une modestie illimitée:
De nombreuses occasions m’ont réuni avec le disparu en Mauritanie (Nouakchott, Rosso, Kiffa et Atar) et à l'étranger (Ethiopie, France, Maroc, Sénégal, Tunisie). Au cours de ces divers événements et activités, Saïd resta, comme je l’ai connu pour la première fois, un homme modeste et simple, qu’il fût président, conférencier, modérateur, superviseur ou participant ordinaire.
2. Une passion illimitée pour la culture et le savoir:
Malgré la spécialisation de Saïd dans le journalisme, son travail dans la diplomatie et son intérêt pour la politique, il se distingue par la passion infinie pour le savoir, la culture, le patrimoine et l'histoire. Là où on organise une activité culturelle ou scientifique vous trouverez Saïd, défiant la maladie et les contraintes du temps, soucieux d'assister à une conférence ou de participer à un débat. Partant de mon expérience personnelle, je puis affirmer que le défunt a établi un record- parmi nos élites politiques et culturelles- dans la présence aux manifestations scientifiques et culturelles. Ainsi, à titre indicatif et non limitatif, le disparu a assisté à 18 conférences sur 19 dont j’ai supervisé l'organisation à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines lorsque j’étais, entre 2000 et 2007, directeur du Laboratoire d’Etudes et de Recherches Historiques (LERHI).
Le défunt a également assisté à trente activités scientifiques et culturelles (conférences, débats, présentation d’ouvrages, tables rondes, etc.) organisées par le Centre d'Etudes et de Recherches sur l'Ouest Saharien (CEROS).
3. Une sollicitude particulière pour les chercheurs:
Le disparu traitait les chercheurs indépendamment de leurs nationalités, de leurs intérêts et de leurs appartenances avec une grande générosité et une extrême magnificence. Ainsi, sa maison et sa bibliothèque/musée étaient toujours ouvertes aux chercheurs qui y reçoivent un accueil chaleureux et une aide généreuse et précieuse. Au cours de notre expérience au LERHI et CEROS précités, nous avons accueilli plus de deux cents chercheurs étrangers venus de différents continents et dont une grande partie a été reçue par le disparu qui n'hésite jamais à recevoir tout chercheur désireux de profiter de son expérience et des pièces de sa riche bibliothèque documentaire. Dès que je lui téléphone: «Doyen, nous avons un chercheur étranger qui veut vous rencontrer", il répond toujours: «Fixe le moment qui lui convient et informe-moi, je vous attends." Dans la bibliothèque, le défunt faisait profiter les chercheurs avec générosité de ses précieux documents, de ses sages conseils et de ses clairvoyantes orientations.
Ce traitement libéral des chercheurs a continué sur le même rythme depuis que je l’ai connu jusqu'à la veille de son voyage au Maroc pour le traitement, car je lui ai rendu visite deux fois durant les mois de mai et juin passés: La première, le 17 juin 2015, en compagnie de deux chercheurs américains et les photos ci-jointes montrent le disparu avec ces deux jeunes, tel l’honorable professeur devant ses étudiants suivant religieusement son cour.
Quant à la seconde visite, elle eut lieu la soirée du 11 juin dernier, accompagné par un chercheur d’une université britannique préparant une thèse concernant la Mauritanie et quand nous sommes arrivés à la bibliothèque qui était fermée, j’ai eu quelques appréhensions, surtout qu’il semblait fatigué lors de la réception des deux chercheurs américains le mois dernier ; d’ailleurs c’est la première fois depuis que je le connais qu’il n’a pas accompagné ses hôtes jusqu'à ce qu’ils montent dans leur véhicule.
Soudain, la voix touchante de Saïd m’appela de la fenêtre de la chambre: "Professeur Meyine, entrez s'il vous plaît", et quand nous entrâmes, je constatai qu'il était malade et j’essayai avec tous mes moyens de persuasion d’annuler ou de reporter la rencontre, mais il refusa catégoriquement et eut une longue entrevue, malgré la souffrance de la maladie, avec cette jeune chercheur et lui envoya le lendemain 31 documents divers.
Saïd était ami du livre et compagnon des chercheurs, intransigeant dans l’attachement à ses principes, sincère en disant et en défendant la vérité.
Nos condoléances donc aux livres et aux écrivains, aux chercheurs et à la recherche, à la culture et au patrimoine, à la famille, aux parents aux connaissances du disparu, à l'homme et à l'humanité.
Qu’Allah accorde Sa large Miséricorde à Mohamed Saïd Ould Hommody et l’accueille en Son Saint Paradis «avec les Prophètes, les vrais croyants, les martyrs et les saints. Voilà une merveilleuse compagnie».
C’est Lui Qui entend tout et est si prompt à exaucer les prières.
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- Photo du défunt avec deux jeunes chercheurs américains (le 17 mai 2015, à sa Bibliothèque).
- Photo du défunt le 15 novembre 2014, accueillant dans sa Bibliothèque, notre collègue AUJOGUE Françoise, fonctionnaire aux Archives Diplomatiques de la Courneuve (Paris).
- Photo du défunt (le 2 mars 2010 au CEROS), assistant à une présentation intitulée : Histoire de la littérature mauritanienne et Base de données des manuscrits de Mauritanie, réalisées et présentées par le Professeur Ulrich REBSTOCK, Directeur du département des études orientales, université de Freiburg (Allemagne).
- Photo du défunt (le 29 décembre 2009 au CEROS), assistant à une conférence intitulée : Villes caravanières : Réflexions en image sur la ville de Tichit, présentée, par : Ghislaine Lydon, Professeur d’histoire à l’Université de Californie, UCLA (USA).
- Photo du défunt (le 19 décembre 2009 au CEROS), assistant à une conférence intitulée : Regards anthropologiques sur l’art plastique contemporain en Mauritanie, présentée par : Francesca NUCCI, Chercheur italienne à l’Université de Barcelone (Espagne).
- Photo du défunt (le 26 juin 2009 au CEROS), assistant à une conférence: Le Commerce transsaharien, présentée, par : Ghislaine Lydon, Professeur d’histoire à l’Université de Californie, UCLA (USA).
- Photo du défunt (le 20 juin 2009 au CEROS), assistant à la présentation de l’ouvrage : On Trans-Saharan Trails. Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa, par : Ghislaine LYDON, Professeur d’histoire, Université UCLA, Californie, (Etats-Unis d’Amérique).
Photo du défunt, le 17 mai 2015, à sa Bibliothèque avec deux jeunes chercheurs américains :
Photo du défunt le 15 novembre 2014, accueillant dans sa Bibliothèque, notre collègue AUJOGUE Françoise, fonctionnaire aux Archives Diplomatiques de la Courneuve (Paris) :
Photo du défunt (le 2 mars 2010 au CEROS), assistant à une présentation intitulée : Histoire de la littérature mauritanienne et Base de données des manuscrits de Mauritanie, réalisées et présentées par le Professeur Ulrich REBSTOCK, Directeur du département des études orientales, université de Freiburg (Allemagne)
Photo du défunt (le 29 décembre 2009 au CEROS), assistant à une conférence intitulée : Villes caravanières : Réflexions en image sur la ville de Tichit, présentée, par : Ghislaine Lydon, Professeur d’histoire à l’Université de Californie, UCLA (USA) :
Photo du défunt (le 26 juin 2009 au CEROS), assistant à une conférence: Le Commerce transsaharien, présentée, par : Ghislaine Lydon, Professeur d’histoire à l’Université de Californie, UCLA (USA) :
Photo du défunt (le 19 décembre 2009 au CEROS), assistant à une conférence intitulée : Regards anthropologiques sur l’art plastique contemporain en Mauritanie, présentée par : Francesca NUCCI, Chercheur italienne à l’Université de Barcelone (Espagne) :
Photo du défunt (le 20 juin 2009 au CEROS), assistant à la présentation de l’ouvrage : On Trans-Saharan Trails. Islamic Law, Trade Networks, and Cross-Cultural Exchange in Nineteenth-Century Western Africa, par : Ghislaine LYDON, Professeur d’histoire, Université UCLA, Californie, (Etats-Unis d’Amérique) :
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