Monsieur Mutuma Ruteere, rapporteur spécial de l’ONU sur les formes contemporaines de racisme, de discrimination raciale, de xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, vient de publier un rapport d’une vingtaine de pages, suite à la visite officielle qu'il avait effectuée, en Mauritanie, du 2 au 8 septembre 2013, à l’invitation du Gouvernement. Il s’agissait, surtout, d’évaluer les progrès accomplis depuis 2008, date de la première visite de son prédécesseur, monsieur Doudou Diène.
Le rapporteur spécial a noté les « progrès réels accomplis », par l’État, dans le respect des obligations contractées à l’égard des mécanismes internationaux relatifs aux droits de l’Homme. Il a, cependant, relevé qu’ « un certain nombre de difficultés persistent », dans l’élimination de la discrimination ethnique et celle fondée sur l’ascendance, ainsi que la marginalisation de certaines couches de la population. Le rapport s’achève sur une série de recommandations adressées au Gouvernement dans un esprit de dialogue et de coopération constructifs.
Les réalisations et les difficultés recensées, dans les conclusions du rapporteur spécial, sont décrites plus en détail. « Bien que la discrimination ne se trouve pas dans l’esprit de la loi, de facto, de nombreuses personnes estiment qu’elles ne bénéficient pas de l’égalité des chances, en ce qui concerne l’éducation, l’emploi, la possibilité de faire des affaires, l’accès à la justice et aux services publics », conclut, notamment le rapport. Les interlocuteurs non gouvernementaux du rapporteur spécial ont, pour la plupart, indiqué que les maures arabo-berbères dominent la vie politique et économique du pays, tandis que la majorité de la population, surtout représentée par deux autres groupes, en est, de facto et systématiquement, exclue. En conséquence, ces groupes subissent des conditions de vie extrêmement précaires, caractérisées par la pauvreté et la marginalisation, depuis l’indépendance du pays, ce qui alimente le ressentiment et la colère.
Le Rapporteur spécial s’est entretenu avec des membres de ces groupes. Ceux-ci ont exprimé leur amertume, face à l’incapacité du Gouvernement de remédier à cette situation perpétuant la discrimination et la marginalisation. « Les Haratines, dont on pense qu’ils constituent le groupe ethnique le plus important en Mauritanie, sont aussi le groupe le plus marginalisé, sur le plan politique et économique, dans une société qui demeure profondément stratifiée selon l’ethnie, l’ascendance, la caste et la classe [...] Malgré des progrès visibles, les Haratines restent le groupe le plus mal loti, en butte à la discrimination, à la marginalisation et à l’exclusion, du fait de leur ascendance. Environ 50 % des Haratines vivent dans des conditions d’esclavage, soumis qu’ils sont à la servitude domestique, au travail forcé ou au travail sous contrainte ».
« Ils demeurent marginalisés et sous-représentés aux postes politiques et dans la fonction publique ». Et monsieur Mutuma Ruteere de donner des chiffres plus précis : « Selon les informations reçues, seulement 5 des 95 sièges à l’Assemblée nationale étaient occupés, en 2013, par des haratines et un seul sénateur sur 56 appartenait à ce groupe. De plus, seulement 2 des 13 gouverneurs régionaux et 3 des 53 préfets régionaux sont haratines. Selon le Manifeste d’avril 2013, les Haratines comptent pour 80 % de la population analphabète, 80 % d’entre eux n’ayant pas achevé l’école primaire, et ne représentent que 5 % des étudiants de l’enseignement supérieur. Plus de 90 % des dockers, des domestiques et des travailleurs occupant des emplois non qualifiés et mal payés sont des Haratines, tandis que seulement 2 % des fonctionnaires de haut rang et des hauts dirigeants des secteurs public et privé sont issus de ce groupe. Les Haratines soutiennent, par ailleurs, qu’ils sont exclus des secteurs de la banque et du négoce, les entreprises commerciales ayant, généralement, à leur tête, des personnes qui n’appartiennent pas à ce groupe. Des pratiques discriminatoires analogues affectent, à des degrés divers, les autres communautés afro-mauritaniennes, en particulier la minorité wolof ».
Société extrêmement stratifiée
Le Rapporteur spécial a relevé que « la société mauritanienne était extrêmement stratifiée selon l’ethnie et plus encore, la caste. Les esclaves de facto et les descendants d’esclaves y occupant le statut le plus bas, qui se transmet d’une génération à l’autre. Cette stratification, qui prend ses racines dans l’Histoire, est à l’origine de tensions et de conflits latents qui deviennent, parfois, violents ». La visite du Rapporteur spécial a été, à cet égard, opportune, puisqu’elle a eu lieu quelques mois à peine après que « des incidents violents à connotation ethnique ont éclaté, à Kaédi, centre administratif et urbain le plus important de la région du Gorgol, dans le sud du pays. Ces incidents, qui se sont produits le 7 juillet 2013, impliquaient des personnes appartenant aux communautés maure et peule, ont fait 21 blessés et se sont soldés par le pillage de 15 commerces et l’arrestation de 29 personnes ».
Les autorités locales ont fait savoir, au rapporteur spécial, qu’il s’agissait du quatrième incident de ce type, mais que « les événements du 7 juillet avaient une dimension ethnique beaucoup plus forte que les précédents, ce qui montrait bien que les tensions s’étaient accrues, entre les communautés maures et afro-mauritaniennes pendant le processus électoral. Selon les informations reçues, la violence a éclaté dans le principal marché de la ville après qu’un jeune maure s’en est pris à une peule plus âgée, déclenchant la colère de quelques Peuls qui assistaient à la scène et qui ont voulu exercer des représailles, en s’attaquant aux commerçants maures du secteur. Il semblerait que dans les journées qui ont suivi l’incident, des membres du mouvement « Touche pas à ma nationalité » se sont réunis devant le poste de police où le jeune Maure était détenu, pour exiger que celui-ci soit traduit en justice et non remis en liberté ». Certains interlocuteurs ont expliqué, au rapporteur spécial, que « la situation était encore aggravée par l’instrumentalisation croissante d’incidents isolés qui se transformaient, alors, en affrontements ethniquement polarisés. La discrimination ethnique sous-jacente était évidente dans la réaction des pouvoirs publics à la suite d’événements de ce type, les victimes appartenant aux communautés maures ayant été promptement indemnisées et soutenues, a contrario des commerçants afro-mauritaniens qui avaient perdu leurs biens et subi un manque à gagner, en raison des incidents de 1989 ».
Synthèse Kaw Thierno