Réaction à l’article du colonel Oumar sur la Capitulation (2) /Par le colonel (E/R) Mohamed Lemine Taleb Jiddou

27 August, 2015 - 01:35

Dans la première partie de sa réponse, publiée la semaine dernière dans ces mêmes colonnes, le colonel Mohamed Lemine avait traité de la légitimité de la guerre du Sahara. Il évoque cette semaine la situation de notre armée au moment du déclenchement de cette guerre.

 

2 - Des moyens de l’armée nationale

 

Lorsque le gouvernement pris la décision d’entrer en possession de la partie du sahara qui lui a été reconnue par l’accord tripartite,  l’armée nationale reçoit en décembre l'ordre d’occuper Tiris Elgharbia. Il se révélera très tôt que la nouvelle mission confiée à l’armée nationale était très disproportionnée par rapport à son organisation, ses moyens, ses missions et sa répartition sur le territoire national. Prise de court par la mission titanesque qui lui a été confiée, l’armée nationale se trouvera contrainte de procéder à une réorganisation de ses unités, compte tenu de l’étendue de sa zone de responsabilité, en vue, au mieux de la couvrir, sinon tout au moins d’en occuper les points-clefs indispensables à l’exécution des futures missions. En s’engageant dans ce que l’on appellera la Guerre du Sahara, l’armé nationale disposait en tout et pour tout de 4 escadrons de reconnaissance (ER) avec un effectif d'une soixantaine d’hommes par escadron, de deux groupements nomades (GN) sensiblement du même effectif que les ER, d’une compagnie de commando parachutistes (1CCP), le fer de lance de l’armée, d’un groupement aérien (GARIM) avec deux DC3 et 1 Cessna et une unité marine (UNIMAR) d'une centaine d’hommes; en somme trois fois rien par rapport à la mission impartie. C’est ainsi que deux groupements seront créés: le groupement numéro 1 (G1) avec Aouesred comme poste de commandement et le groupement numéro 2 (G2) avec Bir Moghrein comme poste de commandement qui sera transféré plus tard à Zouerate. Cependant malgré ces moyens très dérisoires, dès février  1976,  l’administration mauritanienne a été étendue à l’ensemble de Tiris El Gharbiya. Les officiers, sous-officiers et hommes de troupes, toutes composantes de la population confondues, ont fait preuve d’un courage et d’un patriotisme louables. Cependant, toute guerre a son tribut. Cette guerre, comme le Colonel Beibacar l’a mentionné, nous aura coûté beaucoup de martyrs, dont je ne citerais à titre indicatif que le Commandant Soueidatt Ould Weddad, le Commandant Dieng Nadirou, le capitaine Niang Ibra Demba, le lieutenant Abou Diakhité, le lieutenant Ne ould Bah, le lieutenant Diarra, le sous-lieutenant Ikhalihina, le sous-lieutenant Tajou. Les survivants qui ont continué à mener la guerre jusqu'au retrait de notre armée du Sahara, et qui se sont inscrits dans notre histoire militaire, méritent eux aussi la reconnaissance de la patrie. En plus du courage de ces hommes tombés sur le champ d’honneur et de la détermination de ceux qui leur ont survécu, il convient tout de même de noter que le souffle de l’armée a été prolongé grâce au soutien de nos alliés dans cette guerre. A ce titre, il convient d’évoquer le soutien de l’armée marocaine avec l’envoi de quatre régiments d’infanterie qui s’installeront à Atar, Akjoujt, Zouerate et Boulanouar , le prepositionnement d’une escadrille de F5 à Nouadhibou et le renforcement de la capacité de mobilité de notre armée avec deux détachements d’intervention rapide (DIR). La France, dans le cadre des accords de Défense, interviendra au profit des unités mauritaniennes avec des jaguars prépositionnés à Dakar. Mais c’est Surtout le Breguet Atlantique, servant de poste de commandement mobile qui aura été très déterminant dans la réussite des opérations. Très tôt, le Front Polisario axera son effort sur la Mauritanie, maillon faible du dispositif d’occupation du Sahara. Le Polisario mettra intelligemment à profit l’avantage de l’initiative des combats qui constitue avec l’effet de surprise un facteur déterminant dans le déroulement des combats. Le Polisario ciblera dans un premier temps les positions statiques, talon d’Achille de notre système de défense. Il aura toujours l’avantage de déterminer le lieu et le moment du combat, en choisissant sa cible, compte tenu de son éloignement et de la faiblesse de ses moyens. Avec la création des sous-groupements d’intervention rapides (Sous-GIR) qui donneront à l’armée nationale une mobilité, une fluidité et une rapidité d’intervention plus grandes, le Polisario changera de tactique en ciblant le train minéralier, qu’il mettra sous pression, en vue d’étouffer l'économie  nationale, qui reposait essentiellement sur l'exploitation du fer acheminé de Zouerate vers Nouadhibou, tout en continuant à mener la guerre d'usure contre les positions statiques. Le soutien de l’effort de la guerre nécessitait des moyens conséquents. Or, dès le début de l’année 1978, le pays commence à montrer des signes d'essoufflement  et l’armée sous les coups de boutoir de “ l'Armée algérienne, soutenue par le pouvoir libyen, par mercenaires du Polisario interposés”, pour citer le Colonel Beibacar, malgré son évolution, n’arrivera toujours pas á assurer l’étanchéité de son système de défense.

Considérant le rapport de forces très défavorable entre une armée naissante, face à trois adversaires dont deux possèdent les armées les plus aguerries et les mieux équipées du continent, il faut reconnaitre que notre armée s'est honorablement comportée. Nos officiers, sous-officiers et hommes de troupes ont fait preuve d’un courage exceptionnel en entamant une guerre avec 4 land-rovers châssis-court, deux jeeps Willis, trois unimogs, 4 VLRA et deux 11/13 équipés de vieilles Mas 36, de PM Mat 49, de Mit 30 et AA52 ayant usés leur potentiel dans la guerre d’Indochine face à la nouvelle génération des redoutables AKM Douchkas, B10 et Toyota Land Cruiser de leurs ennemis. 

En fait, nos chefs militaires auraient pu convaincre le Président Moctar de ne pas entrer dans cette guerre. Mais leur avis n’a jamais été demandé, ils se sont trouvés devant le fait accompli. Vous pouvez l’appeler une capitulation, si le cœur vous en dit, je l'appellerais une sage décision. Votre appellation ne diminuera en rien la grandeur de ceux qui ont eu le courage d’assumer leurs responsabilités. Je comprends votre enthousiasme pour la guerre et votre fougue, mais je suis convaincu que vous auriez pensé  autrement si vous aviez pris part à ces douloureux événements. 

Selon vos statistiques, notre armée a perdu près de 2500 hommes entre morts, disparus et prisonniers et cela en moins de deux années. Pensez-vous vraiment que notre armée pouvait continuer à offrir annuellement un sacrifice de 1000 hommes quand vous constatez vous-même que le pays peinait à prendre en charge les familles de ceux que nous avons déjà perdus? On ne peut que louer les décisions courageuses prises par nos ainés pour sortir le pays de cette situation catastrophique. La fuite en avant n’est pas une solution durable et les mesures dilatoires arrivent toujours à échéance. Toute autre solution qui ne prend pas en compte la sortie du Sahara Occidental était illusoire. Quant à la livraison de notre cher pays à la dictature militaire, je n’aborderais pas ici cette question: likouli kalamine magham.

Le Président Moctar était parfaitement au courant de ce qui se tramait contre lui, et lorsque son aide de Camp le Lt Moulaye Hachem et le Lt Moctar ould Saleck étaient venus le chercher, c’était pour lui la délivrance de ce cauchemar qui n’en finissait pas. Les grands hommes, et Moctar Ould Daddah est parmi ceux-là, sont ceux qui savent quitter quand cela devient nécessaire, au lieu de continuer à s’accrocher désespérément comme des sangsues à un pouvoir en lambeaux.

En somme, le critère des conditions de succès, absent dès le déclenchement de la guerre ne verra jamais le jour. La seule alternative pour la Mauritanie d’éviter l’effondrement total était de sortir de cette guerre qui n’était pas la sienne.