Assalamou aleykoum, chers lecteurs mauritaniens ! A l'occasion du nouvel accord de pêche RIM-UE et revenant sur celui précédemment signé avec la Chine, lesquels ont déjà fait couler beaucoup d’encre, je me permets cette interpellation publique pour émettre, de bon cœur, sans rancune, à simple titre préventif pour l’avenir et sous forme d’ultime rappel, quelques objections techniques.
C'est l’avis d’un nomade-marin qui se veut averti mais ne cherche pas à mettre en doute la bonne foi d’aucune partie mauritanienne ayant contracté, par le passé ou le présent, avec des étrangers, en ce domaine complexe de la pêche. Au contraire, j’en approuve les aspects positifs mais, en place de ces protocoles et à votre libre esprit de comparaison, je soumets les propositions suivantes, comme substitution future à ces divers accords à répétition, pour mettre ainsi un terme à toutes ces polémiques qu’ils suscitent, sur le Net et dans les salons mauritaniens.
Il ne s’agira donc pas de jeter un pavé dans la mare mais, plutôt, d’établir des raccourcis productifs pour la stratégie sectorielle que le haut sommet de notre Etat voudrait, désormais, imposer à notre cher secteur maritime. Nous avons hâte de voir ce début d’application de ladite stratégie car nous en attendons quelque chose de très positif. Je dis « nous », parce que j’ose ici parler au nom des gens de mer (armateurs nationaux et leur personnel navigant). Je suis convaincu que ma démarche aura leur approbation car je l’espère objective, apolitique et, donc, sans aucun esprit polémique.
Sortir du cycle infernal des accords
A la fin de ma lecture, le lecteur qui saurait se mettre à ma place, sans préjugé, comprendra sûrement cet engouement que peut ressentir tout travailleur honnête, en fin de parcours professionnel, pénible et à haut risque, lui faisant rater d’autres opportunités, et le marginalisant, au bout du compte, de tout ce qui ne touche pas à sa profession. Ne vous étonnez donc pas, chers lecteurs, si une fois en âge de conseil et de retraite, vous oserez alors écrire, sans détour, ce que vous croyez meilleur pour votre secteur d’activité et ce, même à votre propre préjudice… Si préjudice il puisse y avoir, après tout ce qu’on a enduré, par la faute d'une certaine oligarchie qui, non seulement, nous chapeaute mais veut, de surcroît, tuer notre ambition.
Après ce préambule, je commence par dire que mes répliques techniques ne porteront aucune controverse vis-à-vis de l’autre lecture, politique, de l’accord de pêche RIM-UE, relativement bien illustré par la plume du docteur Sidi El Moctar, lequel en résume, ainsi, les aspects sociopolitique et financier, en disant, je le cite : « En somme, un travail sérieux d’évaluation du protocole qui vient d’être scellé, entre notre pays et l’Union Européenne, ne devra pas se limiter à comparer des chiffres et les conditions techniques, sociales et financières. Un simple regard jeté sur les conditions des accords conclus, depuis 1987, avec ce partenaire européen, aiderait à comprendre la philosophie qui tient derrière la conclusion des accords et de leurs protocoles ; à apprécier les évolutions opérées en 2012 et à tolérer, enfin, les petites concessions faites pour arriver, après plusieurs mois de blocage, au protocole signé hier ».
De par ma petite expérience de quinze ans en zone de pêche, diversifiée, sur nos eaux nationales, j'en suis sorti avec la conviction suivante : seule une véritable volonté politique de mauritanisation de tout ce qui flotte sur nos eaux nationales pourrait nous sortir, définitivement, de ce cycle infernal des accords RIM-UE, Chine, etc. Il nous suffit, tout simplement, pour être souverain en matière de pêche maritime, de nous doter de la même volonté politique qui nous avait menés à la nationalisation de la MIFERMA-SNIM et à celle de la flottille militaire de la Marine nationale.
Souvenez-vous : suite à cette nationalisation du secteur des mines, nous avions emboité le pas, en mauritanisant les navires de pêche japonais et coréens qui avaient le monopole de la pêche céphalopodière (poulpe). Autrement dit, si le nouvel accord de pêche RIM-UE, signé en 2015, interdit, désormais, aux Européens la pêche aux céphalopodes, c’est, justement, parce que la Mauritanie avait bien réussi la nationalisation complète des états-majors et des équipages des navires céphalopodiers qui forment, aujourd’hui, notre flottille nationale de pêche. C’est la formation professionnelle et les stages de perfectionnement de nos officiers qui ont mené à ce monopole national. C’est donc cette même politique de mauritanisation des équipages des navires pélagiques, semi-pélagiques, crevettiers et langoustiers qu’on aurait dû prioriser, dès le premier accord RIM-UE en 1987.
A présent, pour arriver à cet objectif, il me semble que notre nouvelle Académie navale devrait examiner la possibilité d’une telle mission de formation des états-majors pour tout type de pêcheries. Je pense, également, à la nationalisation d’au moins un ou deux des navires marchands étrangers touchant nos ports. Notre marine marchande devrait, elle aussi, y penser car, à ce jour, aucun navire de commerce ne bat pavillon mauritanien. La question suivante me taraude l’esprit : Qu’est ce qui empêche nos décideurs d’entreprendre la même politique qui a donné et donne tant de fruits à la SNIM et à la Marine nationale ?
S’il s’avère que la nouvelle stratégie de notre ministère des Pêches comporte, à grande échelle, une telle perspective de mauritanisation des équipages, nous pourrons certainement mettre, graduellement, un terme définitif à ces fameux accords de pêche et à bien d’autres licences et affrètements qui satisfont les Européens et les Chinois, au détriment des nationaux. Nous avions pu nous substituer aux pêcheurs japonais puis coréens et l’on se doit de faire de même sur tous les autres navires européens, quel que soit leur type d'exploitation. C’est une question de souveraineté nationale.
Malheureuse décision
Ceci est valable pour tous les autres accords déjà signés, notamment avec la Chine. Voyons, par exemple, le cas de cette centaine de vedettes (coque acier) made in China dont la construction était pourtant initialement prévue sur le site chinois de Hongdong, à Nouadhibou, comme convenu dans le protocole d'accord sino-mauritanien. Aujourd’hui, on se pose, à leur sujet, la question suivante : pourquoi ne pas construire ces vedettes sur le nouveau chantier naval de Mauritanie qui vient d’être décrété et doté de statuts ? Ceux qui suivent ce dossier savent qu’on aurait pu, ainsi, expérimenter, sur nos eaux nationales, le premier échantillon des vedettes de Hongdong. Et, après expérimentation, en mer, de la première vedette construite par nos professionnels, on pouvait remédier aux erreurs de construction en série auxquelles nous faisons face aujourd’hui, après la livraison de cette centaine de vedettes inadaptées venant de la Chine. A Nouadhibou, on peut remarquer que la société Hongdong est actuellement en train de rallonger le pont métallique de chacune de ces vedettes, en vue de tenter une sorte d'agencement convenable, pour la pratique de toutes les pêcheries côtières en Mauritanie. Sauf que ce n’est pas encore gagné. J’en sais quelque chose pour avoir été sur le quai de Hongdong récemment.
On peut dire la même chose du projet des pirogues en fibre de verre, de moindre taille, dont la COMECA avait entamé la construction, en vue de pratiquer tout type de pêche. Mais, au final, la fragilité de leur structure en PVC a totalement condamné ce prototype de pirogue qui ne conviendra jamais à l’ambition d’équiper toutes les pêcheries côtières (sardinelle, poulpe, chinchard, thon etc.). Dans cette mésaventure PVC, ce sont, à vrai dire, des conseillers japonais qui ont impliqué la SNIM, par le biais de sa filiale COMECA qui est pourtant mieux outillée pour la construction métallique que celle en fibre de verre. Cette malheureuse décision fut prise entre les deux seules parties, sans aucune concertation avec les associations des professionnels de la mer. La COMECA aurait dû décliner la proposition japonaise et imposer une construction coque acier dont elle maîtrise tous les aspects.
Pour ma part et jusqu’à preuve du contraire, je reste convaincu que seul un véritable chantier naval national est en mesure de révolutionner la zone franche de Nouadhibou, en établissant des centaines d’emplois, directs et indirects, en plus de bien d’autres avantages que je n’ai eu de cesse de citer dans mes précédents articles à ce sujet. Je ne me lasserai jamais de dire qu’en ce domaine naval, la priorité doit rester à un partenariat purement national (ministère des Pêches-SNIM). C’est cela qui permettra de consolider le tissu social, entre nos deux familles professionnelles (les travailleurs de la SNIM et les marins pêcheurs) qui forment les deux fleurons de notre fierté nationale. Malgré ce manque de cohésion d’idées de nos décideurs, nous sommes en effet unanimes à reconnaître la réalité suivante : « C’est cette main d’œuvre nationale qui a largement contribué au développement économique et social de nos deux secteurs vitaux (Pêche et Mine) ».
De erreurs rattrapables
Si nos décideurs nationaux sont réticents au partenariat national dans le naval, par méconnaissance, manque de courage ou de confiance en soi, qu’ils contractent momentanément avec un partenaire technique étranger fiable. Ce contrat doit être limité à la période nécessaire et suffisante pour nous permettre d’acquérir le savoir technologique nécessaire à la construction de notre propre flottille, à son carénage et à sa réparation locale. On ne doit plus tout abandonner éternellement au profit des chantiers étrangers.
En dépit de mes remarques, techniques, sur ces erreurs encore rattrapables, je me dois, tout de même, de louer les nombreuses réalisations citées par monsieur Sidi El Moctar. J’y rajoute la réforme, imminente, dans le domaine de la sécurité maritime, précisément celle touchant le sous-secteur du contrôle technique de conformité des navires. Mais, à défaut d’un Centre National pour la Sécurité des Navires dont on peut espérer la prochaine fondation, il serait judicieux de mettre cette fonction régalienne sous la tutelle de la nouvelle Académie Navale Nationale ou de la confier à deux organismes privés agréés et prédisposés à collaborer, plutôt que de continuer de l’abandonner à une dizaine d’organismes privés, sans qualifications… En tous les cas et quel que soit l’organisme retenu, il faudra tout de même assurer un suivi par une autorité de régulation. Le contrôle technique actuel est de pure complaisance, voire inexistant, puisqu’il n’est pas géré ni suivi par un ayant-droit... C’est justement ce laisser-aller, longtemps perpétué, qui a causé de nombreux accidents en mer, le délabrement de notre flottille nationale de pêche et le coûteux enlèvement de dizaines d’épaves.
Ceci dit, la louable réforme, en cours d’élaboration par l’actuel ministre des Pêches, monsieur Ould Chrougha, vise bien à renforcer la sauvegarde des vies humaines en mer, la sécurité de nos navires et des cargaisons à bord, ainsi que la protection de notre environnement maritime. C’est donc en parfaite adéquation avec la nouvelle politique de renouvellement de notre vétuste flotte que je salue également. Cependant, cette réforme ne doit pas toucher que le secteur industriel. Elle doit être élargie aux secteurs côtier et artisanal où l’insécurité est encore plus grande.
En résumé, il faudra, pour aboutir à une indépendance nationale en matière de pêche maritime, à court ou moyen terme, se décider à mettre un terme, définitif, aux licences et affrètements de bateaux étrangers. A cette fin, pour la survie du secteur (notre principale richesse renouvelable) et la protection de son écosystème, il faudra, dorénavant, encourager les armateurs nationaux soucieux de l’intérêt général à se substituer aux étrangers et ce, par l’achat de quelque grands navires à tout pêcher mais toujours dans les normes. Pour faire la part des choses, notre nouvelle Académie navale se doit d’acquérir un grand navire-école, bien équipé en appareils d’aide à la pêche diversifiée et en matériels d’armement de pointe, pour parfaire la formation pratique des états-majors nationaux.
Quant au nouveau Chantier Naval de Mauritanie et à défaut d'un fort partenariat avec la SNIM, il est souhaitable que sa direction contracte, provisoirement, avec un partenaire technique étranger fiable (du Nord ou du Sud), dans le but de transmettre sa technologie navale à un staff technique national en mesure de prendre, le plus tôt possible, la relève. Une fois cette étape franchie, on pourra se lancer, tout seuls, dans la construction et l'exploitation de notre propre flottille, puis à son carénage local, par nos propres moyens. Je suis désolé de me répéter mais je suis obnubilé par cette question de souveraineté nationale. C'est dans mon sang.
Enfin, j’espère que cette modeste contribution technique trouvera une écoute attentive auprès de qui de droit, sachant que mon avis est également largement partagé par les représentants de nos associations professionnelles, anciens navigants comme moi. Bien que ce secteur maritime nous ait permis de gagner dignement notre vie, Dieu merci, cela ne nous empêche nullement d’être concernés par son avenir, dans l’intérêt général, et ceci beaucoup plus par l'effet d'une fibre « génétique » intrinsèque que par un souci d'ordre purement économique ou tout autre éphémère intérêt personnel. Mais, en ce bas-monde, c'est dur de prouver sa bonne foi.
Cette dernière remarque m’avait été faite par un proche et sage cousin qui voudrait que ma plume abandonne de tels articles, stériles selon lui, sur le maritime. La révolte ne mène à rien dans notre environnement culturel, me dit-il, en me donnant, pour preuve, l'échec de la légitime révolte arabe visant une justice sociale dans l’espoir d’une vie meilleure. Plus vaste sujet politique que notre mystérieux et clairvoyant X ould Y a également et malheureusement abandonné… Pour ma part, je m’en remets à la volonté d’Allah le Tout-puissant et je pose ma modeste plume qui n’a jamais manqué de jaser, en période de vacances, sur notre actualité maritime qui me tient le plus à cœur.
J’avoue que j’étais obsédé, depuis plus d’une décennie, par un projet de chantier naval pour mon pays, comme peuvent le témoigner certains de mes proches et autres internautes. Ce projet m’a été subtilisé par plus fort que moi, lequel vient de poser la pierre d’inauguration du chantier naval du Cap Blanc, en zone franche de Nouadhibou. Je suis allé le féliciter et lui souhaiter, sincèrement, une bonne réussite. Je profite de l’occasion pour remercier tous ceux qui m’ont aidé dans mon projet avorté et dans mon passé professionnel. Je ne peux les citer ici, de peur que cela ne paraisse hypocrisie. Je réserve cela pour les mémoires du nomade-marin... D’ici là, je change, contre mon gré, mon cap, reconnaissant ma défaite, pour me consacrer, si Dieu le veut, à un petit projet agro-pastoral et à ma retraite en famille, à Taïba Echourava, sur la route Atar-Akjoujt...
El Arby ould Moulaye El Hassan
Ancien navigant
Inspecteur de la sécurité des navires et de la prévention des risques professionnels maritimes