Deux événements récents interpellent, non seulement, par leur coïncidence mais, aussi, par leur médiatisation remarquée. Le premier, l’ouverture du procès de Hissène Habré, le 20 Juillet, à Dakar, en certes beaucoup plus grande part que le second, la déclaration officielle de la toute nouvelle fondation de Mohammed ould Bouamatou : « Pour l’égalité des chances en Afrique ». Analyse express au-delà des apparences…
Par un de ces hasards qui ont bien du mal à paraître tel, il se trouve qu’un des avocats appelés à promouvoir ladite fondation est également partie prenante dans la défense des quelque quatre mille deux cents victimes, directes et indirectes, qui se sont portés parties civiles contre le dictateur tchadien. Maître Georges-Henri Beauthier a pu ainsi surfer, au « Grand Angle » du 64’ de TV5 Monde (1), sur cette coïncidence, en insistant sur l’aspect « développement de la démocratie et lutte contre la corruption » qu’entend développer prioritairement la nouvelle fondation de Bouamatou.
Une telle opportunité permettra-t-elle de dissiper le malaise que pourrait éprouver le moindre observateur attentif de l’actualité ne connaissant pas personnellement le célèbre homme d’affaires mauritanien ? Sa Fondation pour l’égalité des chances paraît, en effet, de l’acabit de diverses autres de même nom qui ont toutes en commun d’être parrainées, en tout ou en partie, par des personnes ou des multinationales très impliquées dans le maniement des dérivés bancaires – essentiellement produits par les assurances.
Commençons par abattre l’arbre !
Il n’en reste pas moins que le procès du lampiste – Hissène Habré en l’occurrence – constitue une réelle chance d’avancée notable, pour la démocratie et l’éveil citoyen en Afrique. Se maintenir indéfiniment au pouvoir, tel un monarque absolu, massacrer les opposants – Hissène Habré est marqué, au fer rouge, par les quarante mille morts et les quelque deux cent mille personnes torturées par sa sanguinaire police secrète, la DDS, placée directement sous son autorité, durant les huit années de son règne– spolier les biens d'autrui, appauvrir des hommes d'affaires et en élever d'autres ex-nihilo, promulguer des lois et en abroger d'autres, juste pour servir ses intérêts personnels et ceux de son clan, tout cela par instrumentalisation de l'appareil d’Etat, voilà que cela ne serait enfin plus possible, notamment grâce aux avancées dans la protection des droits de l'homme ? Allons-y donc, résolument, et si la contribution, à cette fin, de Mohammed ould Bouamatou et consorts ne peut pas nous faire oublier les responsabilités réelles, dans l’établissement – et, souvent, le maintien – des dictatures, elle n’en est pas moins bienvenue.
Certains voudraient m’opposer, ici, mon amitié envers l’homme. Elle est réelle et indéfectible : je connais sa valeur. Mais elle n’a été et ne sera jamais aveugle. Lorsqu’en 2009, celui-ci m’a sollicité pour le soutien de son cousin candidat à l’élection présidentielle – il croyait, sincèrement, en l’affiche de rectification du système mauritanien – je lui ai opposé un refus net et sans appel. « Tu te méprends sur lui. Il te caresse, aujourd’hui, dans le bon sens du poil car il a besoin de toi mais, une fois arrivé à ses fins, il tournera le dos à ses alléchantes promesses et te poignardera dans le tien, sitôt qu’il le pourra : jamais il ne se résoudra à s’accepter redevable de quoi que ce soit à qui que ce soit ». Il n’a fallu guère de temps, aux évènements, pour confirmer mon diagnostic et Mohamed ould Bouamatou a eu, lui, cette lucide droiture de me faire part de sa justesse, reconnaissant humblement son erreur. Cela donne, à sa nouvelle Fondation, une toute autre dimension qu’une simple opération de communication.
Clairières dans la jungle…
On s’étonne, cependant, du gigantisme de la tâche annoncée. L’Afrique, c’est, tout de même, un milliard d’habitants et l’étendue du besoin, pour seulement faire frémir un début de dynamisme vers l’égalité de leurs chances, dépasse, très largement, les capacités d’un seul mécène, aussi fortuné soit-il. « Nous sommes modestes », a rappelé maître Beauthier, dans son intervention à « Grand Angle », signifiant, par-là, qu’il coulera bien des eaux sous les ponts, souffleront bien des vents sur les dunes, avant que ne se dessine quelque chose de significatif, à l’échelle continentale, de l’objectif affiché.
En attendant et au-delà des efforts, conséquents, déjà entrepris dans le domaine de la santé en Mauritanie – l’hôpital ophtalmologique de Nouakchott en est la plus patente illustration – c’est dans l’aide aux media indépendants, la formation des cadres et l’alternative à l’immigration que la nouvelle fondation entend se distinguer, en se focalisant sur quelques pays d’Afrique de l’Ouest (Mali, Mauritanie, Sénégal, notamment, indique maître Beauthier). En tout cela, on peut entendre une certaine compréhension de la nécessité, désormais vitale pour l’humanité, de (re)construire des ponts entre le global et le local, le quotidien, l’hier et le lendemain, le proche et le lointain. L’initiative fera-t-elle des émules, à défaut d’attirer, en son sein, suffisamment de donateurs pour la développer sur tout le continent ?
Tout est là. Sans doute n’abattra-t-on jamais la jungle et cela se révèlera heureux, en définitive, dans la mesure où l’on aura su y tailler, tout de même, suffisamment de clairières pour qu’autour de bons feux alimentés par la forêt voisine, les citoyens y puissent échanger savoirs, expériences et sagesses, à égalité de chances de faire fructifier, chacun, ses qualités et, tous ensemble, leur humanité commune. Une vieille utopie, sans doute. Mais qui prend, sous le fouet de l’hydre financière mondiale, l’allure d’un réflexe vital et ce n’est pas le moindre des signes précurseurs de cette conscience retrouvée que de voir les plus instruits des méfaits de l’oligopole commencer à abattre quelques arbres, ici et là…
Ahmed Ould Cheikh
(1) : http://information.tv5monde.com/les-jt/64-minutes#edition0