Chapitre 10 : La visite du Président Moktar Ould Daddah au Mahsar en 1969
Préparatifs :
Un mois durant, à quelque sept bornes au nord de l’Eparse (Mededra), le Mahsar accueillait les très grands cortèges et délégations qui venaient de toutes les directions, de tout le Trarza et de l’autre Mauritanie…
Les délégations débarquaient jour et nuit avec leurs tam-tams, leurs refrains, leurs accoutrements….
Chaque groupe installait son camp au tour du campement, j’en retiens encore : de Rosso, Oulad Begnoug, Oulad Bou Ely, Oulad M’Bareck, Oulad Aid, Zembotty, les gens de R’Kiz, de Keur-Macene, d’El Khaoura, des Zbeirat, Bacine, Ikoumleilenn, Medlech, ehel H’sey Arr, El ghars, Benvagui, Tezayé, Tenyederr, Jedrel Mohguen, Sekam, Boutoumtaye, Taguilalett, Tinyidha, M’beiket Raha, N’dabessat, Chig-el khaime, Nievrar, Ebekak, el Arch, Nieg-nen, Bouroughwe, Nemjatt, Blamahjour, Breibire, Tindiakmadiek, H’sey Azoueiyatt, H’sey R’hahle, El Mabrouk, Tiguend, Boer toress, N’houkare, Charatt, H’sey vellejit, H’sey Amy, les trois R’chouches, H’sey Boilil, H’sey Abdou, Bouzbeile, H’sey Brahim, et Naye… ceci n’est qu’en échantillon en plus de ceux venus des autres départements et contrées….
En effet, tout le Trarza, de long en large, de fond en comble, y était par l’effectif, par le symbole, par l’abnégation profond et la nostalgie des cœurs :::: Les couleurs nationales étaient la toile de fond, sur les boubous, chemises, voiles, les uniformes des services d’ordre et de sécurité, sur les mâts, les angles des bâtiments, les portes et fenêtres, sur la cime des arbres, des tentes, sur les tidinits et ardins, sur tout arbre que l’œil pouvait capter. Chaque camp était hérissé de drapeaux flambants-neufs !!
Organisation :
Tous les camps étaient installés autour du quartier général qui gérait l’organisation de la visite. Le campement d’accueil se composait d’un cercle de tentes géantes interdites par une clôture barbelée et quelques sections de miliciens omniprésents, en tenues sahariennes sur fond vert-jaune.
Les organisateurs étaient prompts, omniscients et très disciplinés. J’en retiens :
Oulad Amar (Sidi, Deid, Ely)
Oulad Aidelhe
Oulad N’deyatt
Oulad H’madou
Oulad Aghneib
Oulad Navée
Oulad Chrif
D’dou l’infirmier
Oulad S’neibe
Oulad Haibatt
Oulad H’moimed
Oulad Mohamd Labeid
Oulad M’bareck
Oulad Meiloud
Oulad Oubeidh
C’était vraiment pittoresque et solennel! Il y avait énormément de monde. Les notables de tout bord avaient parfaitement brillé par leur présence en masse et leur touffe de cheveux longs et frisés, tels des perruques leur donnant allure du moyen-âge.
La pléthore était essentiellement féminine avec tresses bigarrées de perles et clinquants et de hautes montures « charouita et pouffes » Le cliquetis des bracelets et anneaux de chevilles faisait grand tintamarre…
Toutes générations confondues, la foule était effervescente, exaltée et innocente..
Tous ceux et celles qui avaient répondu à « l’appel des profondeurs », n’avaient qu’un seul souci : la réussite totale de l’accueil du Président de la République !!!
L’accueil :
En effet, le président Moktar était arrivé au Mahsar à dix-sept heures précises.
La foule grouillante et d’emportée était sur deux axes perpendiculaires à la porte du campement d’accueil qui faisait face à l’ouest, où une dune de sable roux cachait l’horizon.
La masse humaine fut surchauffée par le tour du président qui saluait son peuple.
Tout un chacun était très beau et très excité ! Quand l’ambiance fut électrisée brusquement par des cris, des youyous et coups d’armes à feu !!
Tout le monde, la bouche bée, les yeux hagards et braqués vers l’ouest regardaient venir des méharistes en tenues traditionnelles de goumiers (etgharby) par ligne de trois… trois… trois…. C’était la promenade des chameaux, l’une des spécialités légendaires du Trarza !
Chaque ligne comprenait une femme en voile de guinée et chaiq blanc avec à la main droite un grand drapeau national, assise dans sa « jehfe » sur le chameau du milieu !
La dame était encadrée de deux méharistes avec Mas 36 en position de tir en l’air !
Le plus fantastique et exaltant dans ce tableau était que les milliers de méharis de la parade trottaient tous au pas cadencé !!
Je retiens bien aussi que la belle dame au drapeau de la première ligne n’était autre que M’boirika Mint Mohamed Chenouf !
Juste au moment où les trois premières montures s’approchèrent du public surexcité, l’enthousiasme fut au paroxysme et à cet instant précis, « les premiers radatt » qui m’avaient définitivement « blanchi » l’oreille en matière d’azaouane, malgré que j’étais enfant, venaient de Mahjoube mint Meidah. Depuis lors, je l’appelle la « stridente » !
Toute l’assistance regardait en l’air croyant que la voix venait d’en haut… pourtant, il n’y avait pas de haut parleur, parce que tout simplement il n’en existait pas encore, et que l’on en avait pas besoin.
En tout cas, ma vie durant, je n’oublierai jamais cette « qad alimett selma », conjuguée au « k’hal vaghou » sans aucune fibre molle, je dis bien fibre et c’est différent de R’rade, de el âçbe et de N’naqme. L’expression m’est propre certes, puisqu’elle m’avait donné le rythme et son goût. D’ailleurs, je la garde en souvenir indélébile du regretté Mahsar qui avait rejoint les ancêtres et depuis sa belle et grandiose fête.
La nuit tombée, c’était sous les tentes après le méchoui, la musique dans toutes ses variétés locales. Nous enfants de la marmaille, avions suivi la soirée au découpé à cause des miliciens qui nous chassaient mais nous revenons à chaque fois. Le plus beau tableau fut la danse du grand Ely Salem ould Homod, sa mère et ses sœurs. Un évènement très rare s’agissant du sommet de cet art !
Remarques : le vrai sens de gloire, de grand prestige et d’honneur était bien au rendez-vous, en ce jour mémorable et dans toutes ses dimensions.
C’était bien à cette occasion précise que le Mahsar et plus que jamais prouva le sens littéral et réel de son nom ! Mais malheureusement, notre source souveraine, celle de tous ceux qui se reconnaissent sous l’emblème Terrouz, celle-là n’est jamais plus revenue et elle ne reviendra plus jamais.
C’était donc plus tard qu’il fut évident que Moktar au Mahsar n’était qu’une forme d’investiture très officielle, du nouvel émir, et à défaut de celle traditionnelle réputée mitigée…
En tout cas, la fête du Mahsar avait bel et bien suscité une satisfaction intense sur le plan moral, mais qui fut très éphémère ! Car, hors de Méderdra, le Mahsar n’avait plus aucun sens !!
Le déménagement du Mahsar de son site de prédilection juste après la visite présidentielle n’avait été qu’une faute très grave monumentale et fausse manœuvre qui avait coulé la barque et à jamais !!
Son effet immédiat avait abîmé le grand prestige du Trarza et l’avait même enseveli dans la division caractérisée et la prosternation obscène…
Aujourd’hui, l’ancien et le récent sites sont à égalité , ils n’ont rien gagné et tout perdu chacun, et le Mahsar n’est plus…
Surtout que ce qui en reste ou peau de chagrin ne mérite pas un casier au musée…
Désormais, notre pénitence est collective et éternelle, puis synonyme de frustration, de perdition et d’amertume.
S’agissait-il d’un maléfice ?! Ou bien, d’une malédiction programmée ?!