A la session normale du baccalauréat 2015, la fuite de quelques épreuves, notamment la composition de physique-chimie, pour les séries scientifiques, a défrayé la chronique. Première mesure urgente : les candidats concernés reprendront l’épreuve le lundi 22 Juin. Selon le directeur de l’évaluation et des examens qui a reconnu « l’incommodité pédagogique », une enquête sera diligentée, pour situer les responsabilités dans ce qui, sous d’autres cieux, est assimilée à de la haute trahison et dont les conséquences les plus « bénignes » emporteraient le ministre, à défaut qu’il ait, de lui-même, démissionné. Des sources proches du ministère craignent que la fuite de l’épreuve de physique ne soit que la partie émergée d’un immense iceberg de tricheries, minutieusement organisées par des réseaux fortement implantés, jouissant de complicités en tous les compartiments du tentaculaire ministère. Il est évident que cette histoire de fuite des épreuves des concours nationaux n’est pas inédite.
Un fait pas tout à fait inédit
La vente, à Boghé, en 2000, des épreuves de sciences naturelles, par un président de jury au directeur général d’un complexe d’écoles privées, est connue de tous. Les deux hommes – l’un fut radié du corps professoral et l’autre interdit d’exercer dans l’enseignement privé en Mauritanie – sont, aujourd’hui, fort bien placés dans la profession : le premier nommé à plusieurs postes de responsabilité et le second, « respectable » patron d’une des plus grandes écoles privées nationales. Ce n’est peut-être qu’en Mauritanie que les autorités scolaires permettent, aux candidats des examens nationaux, d’accéder aux salles avec des outils NTIC (portables de toutes sortes et accessoires accrochés aux oreilles). Toutes choses qui permettent aux élèves de frauder massivement, via les réseaux sociaux. A côté de cela, les centres d’examen sont pris d’assaut par des sortes de cellules de crise, constituées des professeurs des établissements privés qui reçoivent, par téléphone high tech, à la minute près, les sujets distribués en salles, avant d’en renvoyer, par le même canal, les corrections à leurs élèves. Des opérations poursuivies du concours d’entrée en sixième, au BEPC et jusqu’au Baccalauréat. Ce qui se passe à l’intérieur est pire. Des professeurs théoriquement surveillants procèdent directement, dans certains centres, à la correction au tableau de toutes les épreuves. Les élèves n’ont plus alors à fournir que l’effort de « mal » recopier les réponses. Voilà pourquoi, chaque année, des milliers de candidats « émigrent » vers les centres réputés forteresses de la tricherie organisée. Le règne de la fraude, en Mauritanie, est un secret de Polichinelle. Tout le monde le sait. Le ministre et ses principaux collaborateurs. Même la direction de l’évaluation et des examens connaît le danger et l’ampleur du phénomène. Mais personne ne fait rien pour l’arrêter. L’essentiel est de claquer, chaque année, des centaines de millions, pour organiser des séances de vastes arnaques au bout desquelles les meilleurs tricheurs empocheront les parchemins qui leur ouvriront la porte des universités étrangères, déjà très dégoûtées par le piètre niveau de la plupart des étudiants mauritaniens ; ou celle de l’université de Nouakchott, temple de la triche et de la malversation. Malheureusement, la complicité est partout. Dans son intervention, le porte-parole du gouvernement a minimisé le scandale de la fuite des épreuves de physique, allant jusqu’à disculper son collègue du ministère de l’Education nationale. Officiellement, le bureau national des associations des parents d’élèves, très inféodé au ministère, n’a pas réagi. Cependant, quelques parents rencontrés expriment, fortement, leur indignation et demandent que les responsabilités soient clairement situées, dans cette dangereuse affaire. Du côté des centaines de syndicats de l’enseignement, seul le SIPES (Syndicat des Professeurs de l’Enseignement Secondaire) a, dans un communiqué, timidement dénoncé la grave faute. Pour les enseignants, ce n’est pas véritablement une grande surprise. Selon M.H.B, professeur : « Il est très rare qu’un concours se fasse sans que diverses de ses épreuves ne soient mises à disposition de certains candidats, au moins vingt-quatre heures à l’avance. L’omnipotence des réseaux et l’interférence, entre le privé et le public, facilitent toutes les manigances ». Pour S.R, un inspecteur de l’enseignement fondamental : « C’est très compliqué, pour comprendre tout ça. Beaucoup de facteurs entrent dans ce laisser-aller scolaire. Mais quelle différence, entre la fuite des épreuves et leur correction au tableau, par les professeurs, le jour de l’examen ? » Crise structurelle du système éducatif national. Sa refondation s’accommode très mal de la fraude. Mais, en attendant, silence, on triche !
Sneïba El Kory
Encadré : Que des têtes tombent !
« L’épreuve de physique et chimie du Baccalauréat a fuité », nous a avoué le directeur des examens et concours. Une enquête serait ouverte, pour situer les responsabilités et prendre, probablement, des sanctions. Pour faire tomber ou sauter des têtes. Mais, dans un pays normal, des têtes seraient tombées d’elles-mêmes, avant de remonter toute la chaîne. Les premiers responsables n’attendraient pas d’être poussés vers la sortie, ils auraient pris les devants.
En Mauritanie, tout est à l’envers ou presque. Dans ce pays, on ne démissionne pas et il est même très rare de « faire démissionner » quelqu’un. Des scandales sont tout le temps dénoncés mais les sanctions suivent rarement. Parfois même, ce sont les auteurs de forfaits graves qui reviennent, avec des promotions inédites. Inimaginable, dans un pays normal. De tels faits sont particulièrement graves, quand ils se produisent au niveau de l’éducation. Celle-ci est le cœur de la Nation et conditionne donc tout le reste du pays. Nos administrateurs et autres décideurs apprennent trop tôt à tricher. De l’école à la boutique, il n’y a qu’un pas.
A l’école, les écoliers ne redoublent presque plus. Le passage en classe supérieure fonctionne comme un système pousse-pousse. C’est en Mauritanie seulement qu’on peut se retrouver, lors de la première composition, avec un résultat de 98% de blâmes et d’exclus et, en composition de passage, avec 99% d’admis. Les résultats sont, dans la majorité des cas, toujours modifiés. Du fondamental à l’Université. La nullité du niveau est d’autant plus normale que les enseignants sont, à l’ordinaire moins que médiocres. Comment voulez-vous qu’ils dispensent un enseignement de qualité ? La triche leur permet de « masquer » leurs insuffisances devant la tutelle et l’opinion