Le Calame : On observe une recrudescence des violences et viols contre les jeunes filles, et, même, de très petites filles. Comment en est-on arrivé là ?
Zeynabou Taleb Moussa : Le viol est devenu une arme de guerre, dans un pays de paix comme la Mauritanie, ces dernières années, et, particulièrement vulnérables, les mineurs, garçons et filles, sont les plus touchés par ces violences barbares. Cette recrudescence a plusieurs causes. Parmi celles-ci l’explosion de la délinquance juvénile qui a, elle-même, des causes sociales, comme la démission de la famille devant l’éducation de leurs enfants, le taux de divorces très élevé, la démission de l’école, devant son rôle de bonne éducation ; des causes politiques, comme l’absence de programmes spécifiques, pour contrer la délinquance juvénile et la prévenir efficacement ; des causes juridiques, comme l’impunité des auteurs de crime de viol et l’insuffisance des lois qui protègent les femmes et les enfants. Voilà les facteurs qui favorisent la recrudescence des violences sexuelles. S’ajoute à cela la difficulté à présenter des preuves fiables, faute de médecine légale et d’examens objectivement probants, comme les tests ADN.
- De nombreuses femmes émigrent de l’intérieur du pays ou des pays voisins, pour venir travailler comme domestiques à Nouakchott. Elles sont, le plus souvent, confrontées aux mauvais traitements de leurs employé(e)s qui, non seulement, les exploitent, avec des salaires de misère, mais refusent, parfois, de leur payer les arriérés de salaire ; elles/ils peuvent même les jeter en prison. Que faites-vous pour les aider ? Existe-t-il un statut les protégeant contre de tels abus ?
- L’AMSME est une organisation spécialisée dans le traitement des violences sexuelles. Cela fait partie de sa mission en droit à la santé reproductive. C’est l’organisation qui a pu, la première, taper à cette dure porte, en évoquant, dès 2000, la problématique des violences sexuelles en Mauritanie, à une époque où le poids des tabous enchaîne tout intervenant : tabous politiques, sociaux, sanitaires et juridiques. Pour franchir un pas sur cette dimension, l’AMSME a développé un fort partenariat avec les agences des Nations Unies et fondé un groupe d’interventions, composé d’un imam, un gynécologue, un psychiatre, un juriste et un sociologue. Ensemble, nous avons posé des stratégies et nous sommes fixés des objectifs clairs ; à savoir : documenter les cas, prendre en charge, organiser un plaidoyer et prévenir.
Ces trois stratégies ont été développées par un comité d’experts réunis autour d’une problématique centrale : comment prendre en charge les victimes ? Cette stratégie fut l’objet de formations précises et de grands échanges d’expériences, avec les autres pays de la sous-région. Le personnel de l’AMSME dispose, maintenant, d’une grande capacités de prise en charge holistique, basée sur les besoins d’une victime de violences sexuelles, sous le protocole PEC (la prévention de la grossesse et celle de post exposition au VIH/SIDA), du suivi de la grossesse et de l’enfant, ainsi que la PEC des examens nécessaires et la prévention des maladies sexuellement transmissibles, l’enquête sociale, la réinsertion sociales de la victime, son suivi et celui de son enfant, jusqu’à l’obtention d’un état-civil. Toute cette prise en charge se fait au Centre El Wafa qui dispose d’une grande capacité en la matière et d’un personnel compétent, d’une déontologie d’intervention et de plans de communication adaptés à tous les cas. Il y a aussi les programmes de prévention et de plaidoyer, le lobbying. L’AMSME a également touché à la révision des textes réglementaires, en élaborant une proposition de loi sur les violences sexuelles qui a été remise aux autorités, en vue de son adoption par le Parlement. Avant de déposer ce document, nous avons fortement sensibilisé et mobilisé les parlementaires, la société civile, les syndicats et divers partis politiques. Enfin, le Centre El Wafa dispose d’une base de données fiable qui peut faire référence, à défaut de données nationales, pour évaluer des chiffres sur les violences sexuelles en Mauritanie.
- Combien y a-t-il de jeunes emprisonnés en Mauritanie ? Quelles sont les causes qui les y conduisent ? Que faites-vous pour les aider à en sortir ?
- Pour une réponse précise à cette question, il faut s’adresser aux ONG spécialisées, comme l’AFCF. En ce qui nous concerne, nous recevons surtout des travailleurs domestiques violés, sur leur lieu de travail ou en cours de route. Nous traitons les cas de viol et orientons les autres vers l’AFCF, le plus souvent, qui dispose de projets en rapport. Pour ce qui est de nos actions en milieu carcéral, l’AMSME dispose d’une autorisation d’accès à la prison des femmes depuis 2003. Nous y effectuons des visites régulières, pour nous enquérir de la situation de nos cibles et nous suivons, par le canal de nos avocats, leurs dossiers de demande de liberté provisoire, jusqu’à libération. Nous produisons également des rapports de plaidoyer que nous envoyons aux autorités. Mais, dans l’ensemble, les interventions dans les prisons des OSC restent insuffisantes, à mon avis, et nous ne sentons pas de grands résultats à ce sujet.
Propos recueillis par DL