Nouvelles d’ailleurs : On s’accommode de la honte...

10 June, 2015 - 23:36

Au bout de vingt et quelques années de chroniques pour cet auguste journal, monument national (tout comme moi !), j'en suis à me dire que j'ai fait le tour de tout ce dont on peut parler chez nous.

La Mauritanie est comme une vieille femme qui radote, qui ressasse, qui recycle ses souvenirs, les fragmentent, les arrangent un peu, les ressort dans le désordre. J'ai suivi, d'un regard fatigué, les « Visitations » présidentielles et me rappelais d'autres « Visitations », avec les mêmes intermittents du spectacle, toute cette basse-cour politique, de fonctionnaires, de militants, de militaires, de courtisans, les adeptes des grandes transhumances royales, toutes celles et ceux qui désertent leurs postes, pour aller participer au gigantesque concours de youyous et de « Oh la belle bleue, oh la belle rouge !!! », chacun voulant montrer la force de son gosier louangeur et la robustesse de ses mollets. A chaque Visitation quasi divine, les mêmes scènes, les mêmes chants. Les paroles sont bien rodées ; il a juste fallu changer le nom du roi du moment.

Ceux qui acclamaient Taya, sont les mêmes qui acclament Aziz. Ils acclameront le prochain, si ce n'est eux, au moins leur descendance, car la louange s'apprend et se transmet, visiblement. Les mêmes scènes d'hystérie... Je ne dis pas que rien n'a changé, dans nos contrées sablonneuses et abandonnées par Dieu. Certaines lignes ont évolué : au chef la gestion de l'économique, aux religieux, de préférence les plus rigoristes et fondamentalistes, le soin de s'occuper de nos morales et de nos âmes... Chacun sa sphère : l'une ultra libérale (l'économie), l'autre occupée à enfermer notre pays dans une vision wahhabiste, bien que, parfois, les frontières soient fort ténues, entre ces deux mondes...

A part ça, il y a toujours autant de pauvres, de plus en plus d'analphabètes sortis des rangs de notre Éducation dite nationale, grand échec devant l’Éternel, tâche honteuse. Mais on s’accommode de la honte. On s’accommode de tout. Même de fabriquer des générations d'ignares. Tant que les fils de ceux qui nous gouvernent trouveront une place à l'école française, tout ira bien. Ils seront, ces nantis, ces privilégiés, les décideurs de demain. A eux le savoir, aux autres le temps perdu à l'école. Chacun à sa place, comme plus haut. On a fabriqué des fractures sociétales gigantesques. Notre pays se recroqueville dans la haine de l'autre. Nous sommes devenus une nation unilingue, uni couleur....

On s’accommode de la honte, n'est-ce pas ?

Nous goudronnons à tout va, nous désenclavons, nous « électrifions », nous sommes « visités »... mais nous ne pourrons offrir du travail à tout le monde. Nos pauvres sont toujours là. Ils ont envahi les quartiers périphériques, vastes ghettos. Ils sont haratines ou anciens agriculteurs, anciens nomades ou anciens éleveurs. Ils survivent. Comme ils peuvent. Mais on s’accommode de la honte, non ? A la télé officielle, on commence toujours les journaux télévisés par l'emploi du temps, déroulé ad nauseam, du Chef : « Son Excellence, le Président de la République, Vlane ould Vlane, etc., etc. »

Toujours. La Cour du Roi Soleil français à la mode des Nous Z'Autres. « Il a dit, Il a fait, Il a inauguré, Il a félicité, Il a visité, Il a grondé, Il a promis, Il a écrit, Il a froncé les sourcils. « Il » a montré l'étendue de ses colères. « Il » a fait monter la côte de tel ou tel ou, au contraire, « Il » a décidé de la mort politique de tel autre. « Il » gère, « Il » gère tout, tout le temps.

« Il » a un Premier ministre. Mais on ne le voit jamais. C'est le grand absent, il est là, celui-là, juste pour faire comme si. Tandis qu’« Il » reçoit les allégeances des tribus, de tous ces ancêtres à la barbe parfois tremblotantes, de tous ces vestiges d'une Mauritanie passée mais qui s'accrochent à notre âge d'or à nous, le merveilleux temps de La Tribu. On s’accommode bien de la honte...

Depuis 1978, nous cooptons, parfois pacifiquement, parfois plus violemment, nos militaires en politiques. La Grande Muette comme seule alternative, on s'y est habitué. Colonels, généraux. Nous n'avons pas encore testé le Sergent-président, comme dans certains pays africains. Mais, peut être qu'un jour, la « démocratie » politico-militaire cooptera un sous off, on s’accommode si bien de la honte.

On détruit notre mémoire. On fait sortir de terre des immeubles affreux, pensant qu'un jour, sûrement , nous aurons le charme de certaines villes du Maghreb. Incha Allah ! On a fait, de notre capitale, un gigantesque marché du Temple, une ode à la boutique, au commerce, un royaume du tcheb-tcheb, de l'argent roi. Tout se vend, tout s'achète, surtout à crédit.

Nous sommes devenus les champions hors catégorie de la construction de mosquées. Nous avons, sûrement, le plus fort taux de mosquées au mètre carré. Une vraie cacophonie communautarisée. Dans certains pays, on construit des écoles, aussi. Pas chez nous. Chez nous, nous construisons de la mosquée au kilomètre, une vraie industrie. Pourquoi des écoles, quand, pour la sphère qui s'occupe de nos âmes, seule compte l'éducation religieuse et, surtout pas, l'enseignement de la philosophie, des sciences, de la littérature (hou, le vilain mot !), on s’accommode bien de la honte.

On nous a fait découvrir des fruits que nous ne connaissions pas. Du coup, certains mangent des fraises. Ben oui, des fraises... On nous a copié tout et n'importe quoi, surtout la mode marocaine, en matière culinaire. On trouve toutes les boissons les plus dégueulasses, des laits dont on ne connaît même pas l'origine. Nos supermarchés regorgent de tout ; à prix faramineux, certes, mais de tout. Faut bien que la bourgeoisie mange et joue à la bourgeoisie. On s’accommode de tout....

On a vieilli mais mal. Nous n'avons pas ne serait-ce que le début d'une conscience de notre environnement. Le sport national, pour tout automobiliste ou passager d’une voiture, qui se respecte c'est le lancer d’ordures par la fenêtre. Pourquoi ne jetterait-on pas les bouteilles de verre, les emballages de pizzas, les paquets de cigarettes et tout ce qui se jette ? On vit dans une poubelle à ciel ouvert. Mais on en est fier : on s’accommode de la honte.

On pinaille sur les degrés de mauritanité. On décide qui est et peut être mauritanien, qui ne l'est pas. Malheur aux métis, comme moi. Régulièrement, on met en doute leur part de Mauritanie. Quand le racisme est devenu une vision à long terme... On s’accommode de la honte. Et moi, je me rappelle d'autres temps, d’autres hommes et femmes, nos parents et nos grands-parents qui tentaient de nous léguer une certaine vision de notre pays.

Je me souviens de ces femmes et hommes qui éprouvaient un amour, immense, pour ce pays, qui rêvaient d'une Mauritanie autre. Je me souviens de leurs paroles, de leur simplicité, de leur quasi-ascétisme d'alors. Ils dorment, aujourd'hui, dans nos cimetières-poubelles –  même nos morts sont mal lotis, enterrés dans des terrains vagues qui sont une insulte aux disparus. Même nos cimetières ont honte. Nos devanciers y versent certainement des larmes de sang. Oui, des larmes de sang... Salut.

 

Mariem mint Derwich