Est-il quelque part écrit que nous sommes un peuple maudit ? Que la flagornerie est inscrite dans nos gènes ? Que nous applaudirons éternellement le premier venu ? Que nous ne tirerons jamais les leçons du passé ? Que notre mode de pensée restera perpétuellement incompatible avec la notion d’Etat ? Rien qu’à voir les images des accueils du Président, diffusées, en boucle, sur nos chaînes de télévision, on en éprouve nausée pour la vie. Des notables, des cadres, des chefaillons, des citoyens ordinaires, serrés comme des sardines, toute honte bue, pour un salut qui durera à peine une seconde. Mais en donnant, toujours, l’impression d’avoir enfin découvert le Saint Graal. Les ressortissants des wilayas visitées ont accouru de partout, de l’intérieur comme de l’extérieur, pour ne rien rater du spectacle. Tous étaient là, poitrine bombée, regard haut, voiture rutilante, pour que personne ne dise qu’ils n’y étaient pas. C’était la course aux « meilleures » places, dans la longue procession des accueillants, le marathon pour assister à la réunion des cadres, s’y faire voir, lever la main, toute la soirée, pour prendre la parole et, au cas, peu probable, où elle vous serait accordée, tresser des lauriers au maître du moment, comme vous en avez fait de même aux autres avant lui, et finir par des insanités.
C’est, succinctement résumé, ce qui s’est passé dans les six régions déjà visitées par notre guide éclairé, « sans lequel la Mauritanie allait basculer dans le néant, en 2005 et 2008 », pour reprendre les termes d’un député qui n’est pourtant pas élu de son parti et ne doit son élection à personne, si ce n’est ses électeurs. Si les parlementaires s’expriment ainsi, que dire alors du petit peuple ? De ce député, il a ri, en tout cas, et fini par le huer. Si bien qu’Ould Abdel Aziz, qui ne déteste pourtant pas qu’on dise du bien de lui en public, a fini par le rabrouer. Ce qui n’a pas découragé et ne découragera pas d’autres apprentis flagorneurs. Avec le risque qu’Ould Abdel Aziz, comme Maaouya avant lui, ne prenne goût à la dithyrambe et finisse par se convaincre qu’après lui, ce sera le déluge.
Enfermé dans sa tour d’ivoire et aveuglé par les projecteurs, il risque alors de ne plus se rendre compte du désarroi d’un peuple confronté aux dures réalités de la vie : des prix qui flambent, une éducation moribonde, une santé agonisante, un fossé qui ne se cesse de se creuser entre riches et pauvres, une communautarisation rampante. Et ce n’est pas une visite de quelques minutes, dans une salle de classe ou un centre de santé équipé, pour l’occasion, qui lui donnera une idée de l’ampleur du gâchis.
Le mal est profond, monsieur le Président. Il faut réagir avant qu’il ne soit trop tard. Et ce n’est pas de votre pouvoir dont il est question. Certes, l’apparente facilité qu’on vous sert, dans vos visitations, lui est une pente glissante. Mais elle entraîne, avec lui, le pays tout entier. Est-il quelque part écrit que nous sommes un peuple maudit ? Il vous reste quatre années pour le convaincre du contraire. En faisant en sorte que l’Etat ne soit plus vous, ni quiconque d’autre. Plus jamais mais un corps vivant dont le changement de tête, tous les cinq ou dix ans, renforcerait toujours la vitalité. On pourrait, alors, enfin, vous applaudir. En reconnaissance d’un mandat justement accompli.
Ahmed Ould Cheikh