RGPH 2013/Groupes spécifiques : que d’incohérences !

4 June, 2015 - 08:35

La Convention Internationale des Personnes Handicapées (CDPH), dont la Mauritanie est Etat-partie, définit les personnes handicapées comme des personnes qui présentent des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables, dont l’interaction, avec diverses barrières, peut faire obstacle à leur pleine et effective participation à la société, sur la base de l’égalité avec les autres.

Classiquement, on distingue, parmi les personnes handicapées : Les handicapés moteurs, les déficients de la vue, les sourds et les malentendants, les handicapés mentaux et psychiques, les victimes de la lèpre, les albinos, les nains et autres personnes de petite taille, etc. En d’autres termes, tous ceux qui éprouvent des difficultés à bouger, marcher, voir, entendre, toucher, parler, comprendre, lire, écrire, apprendre, etc.

L’Office National de la Statistique (ONS), dans le cadre du Recensement Général de la Population et de l’Habitat (RGPH) de 2013 – très crucial, pour le pays, car c’est à partir de ses résultats et données que le Gouvernement élaborera ses politique et programmes de développement – s’est-il inspiré de ces définitions pour mener à bien son travail concernant le dénombrement des personnes vivant avec un handicap, intitulées, dans son document, de référence « Groupes spécifiques » ? On peut légitimement en douter.

En effet, les chiffres avancés dans les résultats du RGPH 2013 sont loin de refléter la réalité. Ils se prêtent à des contorsions équivoques. Quel est le procédé utilisé, pour aboutir à ce chiffre fantomatique de 33.920 individus, pour l’ensemble des personnes handicapées de Mauritanie, soit un taux de prévalence de 0,9%, sur une population totale de 3.537.368 habitants ? On rappelle, ici, que, durant les années 80, l’OMS estimait la prévalence mondiale des personnes handicapées à 10% et 7% pour les pays pauvres. Aujourd’hui, la prévalence mondiale est estimée à 15%, en raison des divers changements sociaux. Quelle stratégie inverse de celles des autres pays de la planète, la Mauritanie a-t-elle mise en œuvre, pour que le nombre de sa population handicapée évolue, sans cesse, à la baisse, alors que la population globale augmentait ? En 1981, l’Union Nationale des Handicapées Physiques et Mentaux de Mauritanie (UNHPM) estimait en effet, dans son recensement des personnes handicapées de quelques capitales régionales du pays, leur nombre à 67.000. Qu’en aurait-il été, si l’on avait pu décompter ceux du restant des régions ?

 

Différence des chiffres

En 2000, l’Office National des Statistiques établissait, dans son RGPH ( officiel, celui-ci), le nombre de la population handicapée à 37.000 individus, alors que cette campagne, pour notamment les raisons suivantes : manque de définition des personnes handicapées, manque de sensibilisation préalable en direction des parents et des personnes handicapées, manque de formation spécifique des agents de recensement sur la problématique du handicap, non-implication de pairs handicapés, etc. ; fut jugée peu exhaustive.

Et en 2013, en lieu et place de résultats qui approcheraient la donne internationale, on tombe à moins de 1% de la population nationale ! Alors que le moindre observateur attentif compterait, en Mauritanie, au moins un handicapé pour quatre familles. Enfin, pour étayer cette observation et relever le caractère biaisé des résultats annoncés, on pourra consulter, à loisir, l’étude statistique de l’évolution de la population de la Mauritanie de 1960 à 2003, réalisée par la revue « Perspective Monde », qui indique qu’à partir de 2013, la Mauritanie a enregistré le plus haut niveau de peuplement, soit 3 889 880 habitants, alors qu’en 1960, elle en était au plus bas, avec 858 316 habitants. Quant à l’OMS, elle évaluait, en 2009, la population mauritanienne, à 3 075 267 habitants, avec un taux d’accroissement de 2,7 % par an. Au-delà de la différence des chiffres ici relevée, comment se fait-il que la population mauritanienne dépasse, à tout le moins, les trois millions et demi, en 2013, et que le pourcentage de personnes vivant avec un handicap baisse drastiquement ? D’où vient cet exploit ? Par quelle magie en est-on arrivé là ? Il serait opportun de se pencher sur tous ces différents indicateurs et de s’interroger sur le bien-fondé des résultats avancés par le dernier RGPH. En tout cas, pour ce qui concerne les personnes vivant avec un handicap.

Dans un pays encarté PPTE (Pays Pauvre Très Endetté), où l’indice du développement humain (IDH) est extrêmement faible (0,46 en 2014), chiffre des Nations unies à l’appui ; où l’on note une faible performance des services de santé et la probabilité qu’une naissance sur mille puisse déboucher sur une infirmité, soit congénitale, soit par maladie contractée ; sans parler de la fréquence des accidents de circulation et de travail ; il est difficilement concevable qu’un recensement général aboutisse à un résultat aussi aberrant et absurde.

Pire, la définition du handicap a été complètement édulcorée, dans la méthodologie de ce recensement, car le questionnaire a noyé la définition du handicap sous une nomenclature très floue : « handicaps et autres handicaps ». Ce que les agents recenseurs, en majorité de très faible niveau, ont eu de la peine à expliciter. A moins qu’ils n’aient pas bien saisi la portée de la question car leur mandataire, l’ONS, n’a pas correctement intégré, dans sa méthodologie de recensement, la définition que donne l’ONU au terme« handicap » ; ou bien, encore, le questionnaire n’a pas donné les précisions nécessaires à sa compréhension. D’où les erreurs et les approximations relevées dans les résultats, en ce qui concerne les personnes vivant avec un handicap. Il apparaît, ainsi, selon l’indication des agents recenseurs, une division des personnes vivant avec un handicap en seulement deux rubriques on ne peut plus énigmatiques : « les uns et les autres ». Alors qu’une seule définition se rapporte au handicap, la seule différence tient au critère catégoriel.

Il y a donc lieu d’admettre, avec honnêteté et humilité, que ce recensement pose des questions. Son manifeste défaut de construction paraît relever du caractère confus, dense et touffu du questionnaire de base remis aux agents recenseurs, dont la plupart, répétons-le, ont un très faible niveau de connaissances. Ce n’est pas sans conséquences, loin de là : de telles données statistiques porteraient un grave préjudice aux personnes handicapées, si elles restent en l’état, car, à l’avenir, on serait tenté de minorer leur nombre, voire leur existence, et, partant, les exclure ou reléguer au second plan, dans l’élaboration des politiques et stratégies de développement du Gouvernement. C’est-à-dire, programmer la perte, dramatique, de droits humains et sociaux durement acquis, au prix d’une longue, difficile et âpre lutte, avec le risque, aussi, que l’Etat les prive de leurs droits fondamentaux et élémentaires de citoyens à part entière.

Vivement donc un nouveau recensement spécifique des personnes handicapées, avec la participation, à tous les niveaux, des organisations des personnes handicapées, pour une rectification idoine des incohérences relevées dans les résultats du RGPH 2013. Il faut, impérativement, éviter la moindre marginalisation des personnes vivant avec un handicap. C’est un devoir citoyen, c’est une tâche politique incontournable, que de mettre en place un cadre propice à l’éclosion d’une meilleure justice sociale, qui devra aboutir à une intégration, effective et pérenne, de tous les Mauritaniens dans notre démocratie !

 

Mamadou Alassane Thiam,

Journaliste free-lance