La Mauritanie va comme elle peut. Les chameaux de la visite de 1985 que le putschiste de l’époque, Maouiya ould Sid‘Ahmed Taya, fit à Néma ressemblent, étrangement, aux chameaux que les gens de Cheggar ont mobilisés pour la visite que le rectificateur Mohamed ould Abdel Aziz vient d’achever au Brakna. Trente ans plus tard, on en est encore aux visitations. De quoi allons-nous parler ? Tout autour, c’est rien que de la visitation. Visitation ici. Visitation là-bas. Visitation encore. La mort parmi les dix est une sinécure. Pas de hors sujet. Faisons donc comme tout le monde. Allons là où va le pays. Et le pays va là où va son président. C’est toute la présidence, avec ses ministres-secrétaires, ses conseillers, ses chargés de mission, sous les hangars de fortune de Bouratt, sous les arbres de Wothie ou quelque part entre deux hameaux, vers Dar El Khadra ou Waboundé. C’est tout le monde. C’est le Messie. La Mauritanie tourne et retourne au gré des visitations. Tantôt, elle est à l’Est. Tantôt, elle est au Nord. Ou au Sud, vers le Trarza. C’est toute la Mauritanie. C’est, en tout cas, quatre-vingt-dix virgule quatre-vingt-dix pour cent de la Mauritanie. Reste plus que les huit pour cent et poussière de Birame. Et là, ils ont été à Aleg. Pour y accomplir leurs coutumières turpitudes. Ils ont même failli fâcher le Président. C’était de justesse. Allez, « volez d’ici ! ». Vous savez, la Mauritanie est dans un cycle. Au tout début, vers la fin des années cinquante, c'est-à-dire, juste après que les colons français soient partis de chez nous, c’était encore la tribu des Oulad ceci ou des Oulad cela. C’était encore les grosses cases. Comme ça. Les campements. Ah oui, impossible, quand même, d’un coup de baguette magique de tout défaire ! Comme cela. Sans préalables. Exactement comme ce que réclame maintenant l’opposition. Une certaine opposition. Les premiers gouvernements nationaux, c’était quoi ? Y avait pas n’importe qui, dé ! Nous sortions encore à peine la tête de l’eau ; ou du sable, plus exactement. Puis, hop, les années soixante-dix ! Tentative de tout mélanger. Malaxage sociétal. Tribus, classes, émirs et autres, tous dans le même sac ! C’est tout le monde avec tout le monde. C’est la révolution. C’est la contestation contre les préjugés, les pesanteurs et les anachronismes. Tout le monde danse. Tout le monde chante. Tout le monde conteste. Dix-huit ans de tout. De hauts. De bas. D’atermoiements. Mais pas de tribus. Les lycéens des années quatre-vingt n’en connaissaient pas. Les habitants des Médina 3, des Médina R et des îlots de Nouakchott n’en connaissaient pas. Ni de couleurs, ni de tribus, ni de régions. Ould Taya ne connaissait pas sa tribu. Pour lui, les tribus constituaient le pire ennemi, avant de devenir le meilleur allié, pour régenter, réguler et sévir. La grande tente militaire. La plus grande tribu. Les dosages ethnico-socio-régionaux. Plus rien ne marche sans ça. Adieu les parchemins ! C’est le fils de quelle tente ? De quelle case ? C’est quelle région là-bas ? Plus équilibriste que le Président, tu meurs. Ça pèse. Ça sous-pèse. C’est les ministres des tant. C’est les membres du bureau national des tant. C’est la banque des tant. C’est les assurances des tant. C’est les hommes d’affaires… C’est les généraux….c’est la radio… c’est la télé… Comme au temps où les bêtes étaient marquées au fer rouge, pour ne pas les perdre. Il faut poser le feu de la tribu sur ses biens, pour ne pas les confondre avec les biens des autres tribus. Marquer au feu les cadres de chaque tribu. Comme ça, ses cousins le reconnaîtront d’office. Pas la peine alors de demander de qui il est : sa marque est claire. Apposer le feu sur le front. Un Oulad ceci reconnaîtra facilement son parent. Un non-Oulad cela reconnaîtra son cousin. Exactement, comme nous enseignaient nos maîtres d’école, à mettre les unités sous les unités, les dizaines sous les dizaines et les centaines sous les centaines… Pour ne pas se tromper. A voir les visitations comme elles se passent aujourd’hui, il est clair que le cycle a repris. En-deçà des indépendances. Nous en sommes presqu’aux années 20. Du temps de la « Seïba » et de la loi de… Salut.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».