L’homme est-il uniquement mû par son propre intérêt ? Reste-il encore des principes non altérables par les vicissitudes de l’existence ? Peut-on de nos jours compter sur des amitiés sûres ? Les alliés d’aujourd’hui ne sont-ils que ceux d’un jour, le temps d’une embellie ? Et les « ennemis » du moment sont-ils aussi irréductibles qu’ils veulent bien le faire croire ?
« L’intérêt est le rocher contre lequel se fracassent tous les principes », disait Tawfiq El Hakim. Force est de constater que bon nombre de nos actes lui donnent raison. Le tableau féérisant qu’il nous est parfois donné de voir (ou de deviner) est malheureusement peu reluisant. Certaines « vertus » que nous nous plaisons à véhiculer sont sans réelle consistance et dénotent d’une vacuité sidérante. Leur « crédibilité » vole en éclats, si on prend un tant soit peu la peine de les soumettre à un examen incisif. C’est un calvaire constant que d’avoir à ingurgiter les navets obsédants de la routine réflexive. Il est vrai qu’il est toujours ardu d’exhumer du vide quelque chose de substantiel, du moins sous une forme intelligible.
Bédéphiles, le buffet est servi !
Ainsi donc, cette phobie (au sens psychiatrique du terme) du partage, dialectiquement liée à l’intérêt personnel minimal, devient non pas une seconde mais une première nature. Elle nous gangrène, altère notre affect, déforme nos actes, et inhibe notre réflexion. A telle enseigne, qu’elle peut engendrer, dit-on, la folie via la niaiserie. Mais les images et attitudes changeantes ne sont-elles pas in fine la preuve de « la permanence de l’être » (Bachelard)? A chacun ses constituants. Cependant, on peut mesurer l’évidente précarité de cette posture. L’hyène, ce carnassier qui représente dans notre imagerie populaire le summum de la sottise, incarne maladroitement ce genre d’attitudes. Dans notre enfance, on nous racontait l’histoire suivante : « C’est jour de grand rassemblement chez le roi des animaux. Celui-ci, qui fête comme il se doit la naissance d’un petit, a invité toute la gent animale. On crie, on mange, on danse. Une valse attire particulièrement l’attention et cristallise tous les regards : celle de l’autruche. Cet oiseau à l’élégance naturelle, étale toute la panoplie de ses talents.
Opportuniste, l’hyène qui, il n’y a pas si longtemps n’était pas en odeur de sainteté auprès du roi, tenta de s’attirer sa sympathie : « tu vois ce bel oiseau qui danse, c’est mon cousin ! ». « Ah, bon ? fit le lion, peu convaincu ; tu as une sacrée chance ».
Malheureusement, la valseuse piétina par inadvertance le nouveau-né tout fragile. Celui-ci ne survécut pas au coup de patte ravageur.
C’est la stupeur dans l’assistance. Profitant de la pagaille généralisée, la coupable prit la poudre d’escampette. On tenta un moment de la rattraper. Peine perdue. « Au lieu de poursuivre une sprinteuse aussi rapide, attrapez son cousin », suggéra une voix sournoise. Tout le monde tourna le regard vers l’hyène. Paniquée et se sentant perdue, celle-ci n’eut d’autre défense que d’essayer de se démentir elle-même, de renier ce qu’elle vient à l’instant de clamer et eut cette réplique dérisoire : « Hé, attendez, dites-moi qu’y a-t-il donc de commun entre un oiseau et un carnassier ?! ».
La valse continue.