Comme le dit si joliment un internaute mauritanien sur FB : « Il paraît qu'on est, désormais, le pays le plus romantique du monde, avec un cumul exceptionnel de dîners à la chandelle ! ». Faut dire que, côté coupures électriques prolongées et à répétition, c'est la catastrophe... Entre panne géante, arrêts intempestifs, coupures annoncées à telle date mais qui arrivent plus tard ou plus tôt, quartiers plus « coupés » que d'autres – habitants de Dar Naïm, vous avez toute ma compassion ! – Nouakchott-Plage se la joue « Jour/Nuit ».
Et tout le monde de râler. Ça on sait faire : râler. D'ailleurs, c'est tout ce qui nous reste : râler. Râler que rien ne va, que tout fout le camp, que rien ne marche... Râler comme, ailleurs, on serait heureux.
Le Nous Z'Autres, pourtant connu, dans les temps reculés et fort archaïques d'avant la modernité apportée par la mondialisation, comme un joyeux drille, enclin à la bonne humeur et à l'humour, est devenu un personnage râleur. Lui qui vivait de peu – très, très peu, à la limite du chiche – qui se contentait du minimum syndical, en matière de survie : à savoir de l'eau, un peu de viande, du lait, des céréales, une femme ou plus, selon affinités, dans son lit, des enfants gambadant un peu partout, des alliances avec les voisins, histoire d'éviter de se faire razzier ou ratatiner ; qui possédait, fier et heureux, trois chamelles, quatre vaches, deux moutons, six poules et un coq, quelques chèvres contorsionnistes, dix vipères à cornes, quelques arpents de champs, cinq palmiers, un seroual pour la semaine et un autre pour la prière du Vendredi, accessoirement pour son mariage, voilà donc ce marathonien de la survie, hilare et poète, devenu râleur à temps plein, syndicaliste chevronné, querelleur et colérique.
Il faut qu'il râle contre tout. Parfois il râle, parce que, c'est ainsi, on râle. Pas besoin de savoir pourquoi. Il râle au travail, il râle chez les amis, il râle sur FB, il râle à la télé, il râle à la maison. Il râle même en dormant. Il drague même en râlant. Et ça marche, bizarre, mais ça marche. Au lieu de regarder le verre à moitié plein, lui, il ne voit que le verre à moitié vide. Un peuple de dépressifs râleurs.
En ce moment, il en a après la SOMELEC, monument historique en grand péril. Faut dire que la Somelec fait fort, non ? Il paraît qu'on vend, qu'on va vendre, ou qu'on aimerait vendre – je n'ai pas encore bien compris le truc – à nos voisins sénégalais, de l'électricité made in Nous Z'Autres, version moderne de la lampe à pétrole de notre enfance. Il paraît... Je suis heureuse, pour nos voisins qui se verront électrifiés par notre électricité nationale et patriotique. Mais, en attendant, nous, les vendeurs de « jus », nous en sommes à la bougie, à la chandelle, à la lampe-torche, au feu de camp, à la flamme du briquet...
Sans voir tout le charme de ces heures sans la fée Electricité.... D'un, comme le dit notre facebookeur rieur, nous devenons de vrais romantiques... Quoi de plus sympa qu'un repas aux chandelles ? En Occident, certains hurluberlus coupent eux-mêmes leur courant, pour manger à la bougie. C'est très apprécié par les amoureux. Oui, oui, ils éteignent leurs lumières pour manger dans la pénombre. Truc étrange, je sais. Mais il paraît que ça marche, la drague ou le papouillage, à la lueur de la chandelle. Ok, dans nos familles à l'africaine – c'est à dire qu'autour du plat, se disputent nombres d'humains d'âges et de taille différentes, chacun affublé d'un solide appétit – le romantisme de la chose est loin d'être ce qu'il paraît. Je ne peux que conseiller, au plus malin, de profiter de la chandelle pour piquer le morceau de viande de l'autre côté du plat, dans la zone culinaire que la politesse interdit de prendre à l'abordage et que, la plupart du temps, nous regardons d'un œil envieux mais fataliste.
De deux, ne pas avoir de courant, c'est faire des économies sur la facture (salée) d'électricité. Pour une fois, les agents releveurs de compteurs, ces zélotes du « coupage » électrique, dès le moindre retard de paiement, vont se retrouver le bec dans l'eau ! Bon, je ne suis pas sûre que ces releveurs-là pointent leur nez quand il n'y a pas d'électricité... Eux aussi sont en train de tester les joies du dîner à la chandelle, avec leurs douces moitiés. De trois, se retrouver sans électricité est une cure de masse de désintoxication aux réseaux sociaux et aux portables. Je comprends le désespoir qui s'empare de certains, devant leurs téléphones déchargés ou leur ordinateur plongé dans le coma : le silence qui remplace le vide, c'est perturbant... De quatre, la nuit, tous les chats étant gris, vous vous rendez compte de tout ce que vous pouvez faire sans qu'on vous voit ? Je laisse marcher vos imaginations... C'est beau, une ville plongée, dans le noir, pendant des heures ! Ces nuits d'obscurité contrainte et forcée deviennent un monde à part, empli de fantômes arpenteurs, ombres furtives, rencontres encore plus furtives... une véritable aubaine pour les amoureux !
Vous pourriez aussi en profiter pour écrire vos mémoires, « Moi, par lui-même, ou les mémoires d'un âne », romantiques à souhait, penchés sur vos cahiers, éclairés par une lampe à pétrole... Je ne sais pas, moi, tentez des choses, pendant ces longues, longues heures de coupures : préparer un plat que vous n'avez encore jamais préparé, histoire que le dîner aux chandelles se passe bien. Zut, j'oubliais que vos frigos et tout ce qui se trouve dedans, à savoir les dizaines de choses identifiables et non identifiables qui y ont installé leurs bagages, ont l'aspect peu ragoûtant du comestible qui a pris un coup de chaud ! Beurk !
Ce qui se passe dans les congélateurs n'est pas mieux. Il ne vous reste plus que les yeux pour pleurer devant ces kilos de viande et de poisson en train de pourrir, bons à jeter à la poubelle. Mais soyez optimistes : quoi de plus romantique de dîner, à la bougie, autour de quelques biskits sarakollés et de thiaf ? Eux ne pourrissent pas. Si vous n'aimez pas ces deux aliments-phares de notre culture, serrez-vous la ceinture et dormez. Ne dit-on pas « qui dort, dîne » ? »
Autre idée de détente pendant ces heures de coupure : aller à la plage. Oh, re zut ! Il y a une marée noire ! Les Z'Autorités officielles et compétentes l'ont décrété : hors la Plage des Pêcheurs, le bord de mer est interdit aux Nous Z'Autres.... Pas de chance, hein ? Entre la SOMELEC qui s'enrhume et le littoral qui dérouille, nous voilà bien ! Je n'ai plus d'idées à vous offrir. Ah, si, quand même, j'en ai une ! Elle vaut ce qu'elle vaut, mais peut être que... : Et si les usagers de la Mère Électricité – chez nous, on ne parle pas de fée Electricité, parce que, d'abord, les fées, ça n'existe pas chez nous ; ensuite, parce que, dans nos cultures, on dit toujours de quelque chose de grand « Le Père de…. » ou « la Mère de.... » – et si les usagers de la Mère Électricité, disais-je, décidaient de ne plus payer pour un service qu'ils n'ont qu'en pointillé ? Une grève géante du paiement des factures ! Je dis ça, moi, je ne dis rien, hein ? Je n'ose même pas penser à dans un mois, quand ce sera le Ramadan et les grosses chaleurs, si ces coupures continuent... On vit dans un monde merveilleux, non ?
Salut
Mariem mint Derwich