Pauvres, pauvres langues... Entre « langage », c'est-à-dire aptitude, innée chez l'Homme, à la communication, « langue », code admis et réuni sous les mêmes critères communs, et « parole », nous en avons perdu notre...latin. Voilà donc une seconde conférence de presse où étaient invités, cette fois-ci, des journalistes de la presse francophone, journalistes dont les journaux ne sont publiés qu'en français, et où, par un coup de baguette magique, ne fut employé, quasi exclusivement, que le… hassaniya. Comme pour la première conférence de presse, exit, donc, une partie de la population dans l'entendement de ce qui fut dit.
Car, de bien entendu, tout le monde sait ça, chez les Nous Z'Autres, tout le monde, vivant et mort, comprend le hassaniya. Et quand on ne le comprend pas, il est mieux de dire qu'on le comprend, pour ne pas avoir l'air d'un âne devant son poste de télévision. Chez nous, le hassaniya est la langue commune, parlée par tout ce qui bouge et qui respire, depuis la fourmi, en passant par les moutons, jusqu'à l'homme.
Mais qu'a donc fait cette malheureuse langue française, pour ne servir que de justification de l'emploi d'encre et d'aides financières, et mourir, ainsi, à chaque fois, de sa plus vilaine mort ? Pourquoi des journalistes qui ont fait le choix de n'écrire qu'en français, de publier en français, de se vendre en français, décapitent-ils le français à la moindre occasion ? Mystère et boule de gomme...
Mais quand on sait que, pour une partie des joyeux citoyens de ce pays, le français est une langue compréhensible, ce qui n'est, pour eux, ni le cas ni de l'arabe ni celui du hassaniya, on tombe dans le vaste domaine du politique... J'aime ces conférences de presse à l'usage, exclusif, d'une seule partie des citoyens. Les autres, pendant ce temps, sont priés d'aller voir chez les papous s'ils y sont... Déjà que ce système boiteux de conférences unilangue m'horripile...
Pourquoi ne sommes-nous pas capables d'avoir, dans une seule conférence de presse, toutes les langues nationales, ou, tout au moins, deux langues, le français et l'arabe ou l'arabe et le français ? Je dis ça car j'entends, déjà, les cris d’orfraie des arabisants purs et durs qui protesteront contre le fait que j'ai cité le français en premier... Au royaume de l'absurde, il faut toujours faire attention ! Il suffit de traducteurs pour que tout le monde comprenne. Car, le but premier, corrigez-moi, si je me trompe, c'est que toute la populace joyeuse et trépidante comprenne ce que le Sultan veut dire.
Mais non… Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Bref, en deux conférences de presse, seuls les arabisants et les hassanophones ont pu comprendre les questions et les réponses.... Exit nos concitoyens halpulaar, soninkés, wolofs. Ceux-là mêmes qui achètent et lisent la presse francophone, donc qui permettent, aux journaux en français, de survivre... et aux journalistes francophones de pouvoir gagner un (maigre) salaire chaque mois.
A force de tuer nos langues et les langues internationales, nous en arriverons à nous tuer nous-mêmes, cannibales, occupés que nous sommes à nier nos histoires et nos cultures. Une société qui mange ses citoyens est appelée à mourir. Une langue, en elle-même , est inoffensive. Elle est juste un ensemble de codes et de règles admises qui codifient un langage. En s'étoffant de règles, elle acquiert, alors, une autre dimension.
Elle ne sert plus seulement qu'à communiquer. Elle permet, dès l'introduction d'un corpus de règles, d'une ossature codifiée, de transmettre une façon de penser le monde, de se penser soi, une culture, un regard sur ce qui nous entoure. Elle génère, ainsi, son propre vocabulaire, adapté à une vision du monde bien spécifique. Par là, elle devient une arme politique. Les groupes dominants cherchent, alors, à imposer leur langue et, au travers de son usage, leurs manières de penser le monde.
Une langue ne se développe pas parce qu'elle est riche et variée. Elle se développe par la force militaire, par la manière forte, instrument de domination politique. Au vainqueur, la sauvegarde et l'imposition de sa langue ; aux vaincus, la perte des leurs. C'est le credo de toutes les colonisations. Cette volonté, absurde, de n'avoir qu'une seule langue, de construire, par la force, une seule manière de penser le monde, de penser la citoyenneté, est porteuse de notre propre fin.
Nous sommes repliés sur une identité bâtarde, scarifiée depuis l'Indépendance, massacrée au moule du panarabisme sectarisé par une certaine élite... A force de détricoter l'Histoire, nous accouchons de générations d'ignorants, d'analphabètes, avec la « honte » comme seul héritage... Nous sommes des acculturés dans notre propre pays. Aussi bien les tenants d'une arabisation à outrance que les partisans d'une francophonie inégalitaire...
Acculturés arabes car nous oublions que l'arabe littéraire ne fut, chez nous, que la langue des savants et des érudits. Acculturés francisants car, pour survivre face à l'hégémonie de l'arabe imposé, les tenants purs et durs de cette langue se sont retrouvés piégés. Dans nos mondes, nous en sommes encore à nous demander quelle est, par exemple, la langue de Dieu. Comme si Dieu, Immatériel, avait une langue.
Résultat des courses : au lieu de nous ouvrir au monde, nous nous replions sur nous-mêmes. Nous sommes fades, incapables d'imagination. Nous ne créons rien, nous n'inventons rien. Nous sommes juste bons à sacrifier des générations d'écoliers, en leur offrant, comme seul avenir, une seule langue, non pas pour réunir, mais pour exclure. Au nom d'une mémoire historique que, pourtant, nous nous acharnons à tuer.
Nous n'offrons, à nos enfants, qu’une seule alternative : soit ils sont du « bon côté » et ils comprendront tout ce qui se passe et se dit dans nos media ; soit ils sont du « mauvais côté », juste bons à regarder sans comprendre. Nous n'avons jamais cherché à faire, de notre pays, une mosaïque harmonieuse où toutes les communautés vivraient en bonne intelligence, chacune respectueuse de la langue et des coutumes des autres.
Nous aurions pu construire une nation au moins parfaitement bilingue. Cela nous aurait permis de partir à la conquête du monde. Non. Nous, nous nous arc boutons sur une identité fabriquée, fantasmée. J'ai un rêve : qu'on inscrive, au-dessus de chaque tableau noir, dans chacune de nos écoles, au-dessus de chaque bâtiment public, ce merveilleux proverbe arménien qui dit ceci : « Autant tu connais de langues, autant de fois tu es un homme ». Un Homme...
Salut
Mariem mint Derwich