Trois questions à Moustapha Ould Abeïderrahmane, président du Renouveau Démocratique, membre du FNDU :

7 May, 2015 - 02:41

‘’Les intégristes, qui prétendent nous «ré-islamiser» à leur manière, ne cherchent qu’à imposer leur conception pétrie de xénophobie, de haine et de violence’’

 

Le Calame : Vous avez été entendu, plusieurs fois, vous élever contre une opinion qui cherche à imposer, à notre pays, une conception très rigoriste de notre sainte religion. Pouvez-vous vous en expliquer auprès nos lecteurs ?

Moustapha Ould Abeïderrahmane : Vous faites allusion, sans doute, à la clameur des apprentis daéchistes qui exigeaient la peine de mort contre les militants anti-esclavagistes et Ould M’Khaïtir. En effet, j’ai dénoncé et continue à dénoncer l’acharnement obscurantiste d’appel au meurtre, par lynchage pur et simple, ou à l’exécution, par voie soi-disant judiciaire, contre les militants des droits de l’homme, anti-esclavagistes comme monsieur Biram ould Abeïd et ses compagnons de l’IRA, ou madame la présidente d’AFCF, Aminetou mint El Moctar, la militante respectée qui se bat contre toute injustice et, notamment, contre les multiples oppressions de la femme dans notre pays (violences, viols, répudiation sans droits, abandon, par les maris, des enfants à la charge de la mère répudiée, etc.)

Je rappelle ici que, pour l’écrasante majorité de notre peuple musulman et de nos oulémas, l’islam, notre religion vénérée, a toujours été vécue de manière modérée. L’extrémisme obscurantiste n’est venu qu’avec l’argent et l’idéologie wahhabite des pays du Golfe. A ce propos, on doit remarquer, sinon l’opacité, en tout cas, la non-traçabilité de ces ressources, souvent utilisées à des fins d’enrichissement personnel, par ceux qui se les procurent, soi-disant au nom des pauvres ou en vue, prétendent-ils, de libérer des esclaves. Un argument qui confirme, soit-dit en passant, leur idéologie esclavagiste. En fait, ces ressources dont l’origine reste douteuse – elles sont souvent fruit de la corruption – ne servent, chez nous, qu’à accroître l’influence sociale de ceux qui les détiennent. Un tel obtient de l’argent pour construire une mosquée au bénéfice de telle ou telle communauté. Mais celle-ci en dispose déjà d’une et le montant ne va servir qu’à bâtir villas ou lieux de commerce, à des fins strictement privées, la nouvelle mosquée n’étant là, en réalité, que pour le prestige personnel et la justification de nouvelles demandes auprès des réputés bienfaiteurs du Golfe.

Certains tenants de ce courant rétrograde qui profite, le plus largement possible, des subsides des pays du Golfe, font de la propagande haineuse, à longueur de prêche et impunément, dans nos mosquées : contre les étrangers, contre les militants des droits de l’homme, souvent accusés d’apostasie, pour les discréditer ; contre les ONG occidentales et leurs alliées locales, prétendant que les premières font du prosélytisme chrétien en Mauritanie. Des rumeurs circulent, laissant entendre que certains de ce courant sont même rétribués pour recruter des femmes pauvres, afin de leur faire porter le niqab ou la bourqa afghane (voile noire que les femmes du Golfe sont obligées de porter en public). En échange de quoi, ces femmes seraient payées de dix à vingt mille ouguiyas par mois, selon leur origine statutaire ou ethnique (haratine, négro-mauritanienne ou beydhane) : le conservatisme rétrograde dans toute sa laideur !

Notre peuple, à 100% musulman, est celui qui vit et pratique, le plus honnêtement, notre sainte religion, selon les préceptes du Saint Coran et de la Sunna du prophète Mohamed (PBL) et suivant les enseignements de nos grands et nombreux oulémas, chefs spirituels de la Qadirya et de la Tijaniya, dans leurs diverses branches qui couvrent, fort heureusement, tout le pays et fortement implantées dans toutes nos communautés nationales.

Malgré cet état de fait, ils prétendent nous « ré-islamiser » à leur manière, en imposant, à notre sainte religion, faite d’ouverture au monde, d’amour du prochain et de modération, leur conception pétrie de xénophobie, de haine et de violence. Le mode de vie, d’habillement et de comportement que l’argent porteur du wahhabisme cherche à imposer, chez nous, vise, d’abord et avant tout, à supprimer tout espace de liberté et, spécialement, pour les femmes. En ce sens, rien ne les distingue, d’un point de vue idéologique, des terroristes jihadistes takfiristes. En ce sens, ils constituent le terrain parfait, le milieu naturel favorable à l’émergence, que dis-je, la prolifération des terroristes armés d’El Qaïda, Daech et consorts. Qu’Allah nous en préserve !

A ce sujet, on ne peut qu’observer la passivité, voire la complicité des autorités avec ce courant extrémiste dont l’activisme, soutenu par l’argent venu des pays du Golfe, arrive à inhiber, sinon intimider, nos intellectuels démocrates et, pire encore, nos militants politiques progressistes.

Tous doivent, cependant, comprendre qu’il ne peut y avoir de compromis avec un tel courant. Ceux qui n’en professent pas les mêmes idées, n’en entretiennent pas le type de barbe, n’obligent pas leur épouse, fille, sœur ou mère à porter le hijab, le niqab voire la burqa, sont suspectés de pratiques contre l’islam, en attendant d’être traités en ennemis, pour être, ensuite, purement et simplement liquidés.

Il va sans dire, mais il vaut mieux le dire clairement, qu’il ne saurait être question, pour moi, d’établir un amalgame entre ce courant obscurantiste, gangrené par les services de renseignements, et les militants du mouvement politique et démocratique qui se réclame de l’islam, aujourd’hui représenté par le parti Tawassoul envers qui j’ai toujours eu une grande considération, étant donné son combat permanent pour les libertés, en général, et l’émancipation des couches opprimées, en particulier.

 

- On vous a reproché d’avoir présenté, aux négro-mauritaniens, des excuses publiques pour les exactions commises, contre eux, sous le régime d’Ould Taya avec qui vous avez collaboré. Pouvez-vous éclairer nos lecteurs à ce sujet ?

- Tout d’abord, il convient de rectifier l’idée selon laquelle les ministres sont toujours au courant de toutes les actions du régime auquel ils participent. C’est déjà une fausse idée dans les systèmes démocratiques ; à plus forte raison, quand il s’agit de régime autoritaire, voire autocratique. Dans ce type de régime, les ministres sont, au mieux, associés à l’action dans leur secteur mais, plus souvent, de simples exécutants, au jour le jour, « des instructions » du chef du moment et, parfois même, de ses hommes de main. C’est malheureux mais c’est ainsi.

De plus, dès qu’il s’agit de questions touchant le domaine, plus que réservé, de la sécurité, seul le tout petit groupe de courtisans à toute épreuve peuvent être associés. Un apanage qui réunit les affaires militaires, y compris les affectations d’officiers, les renseignements intérieurs et extérieurs, les campagnes de répression, etc. Cet ordre d’action de l’Etat est toujours entouré d’un halo de secret, quasi-pathologique, caractérisé par une opacité, démesurée, dans l’action, la prise de décision et le processus de transmission des instructions. Il en résulte, naturellement, une quasi-impossibilité d’en appréhender les mécanismes et les résultats dans un délai raisonnable. La règle principale de survie des régimes autocratiques repose sur de tels postulats.

Pour ma part et compte tenu de mon expérience personnelle de lutte pour les libertés et des conditions de permanence de cette lutte, je me suis toujours tracé une ligne de conduite m’éloignant de ce secteur dont je devine l’ultra-sensibilité. Cette attitude, souvent considérée, par le noyau dur du régime, comme de la quasi-défiance, m’a toujours valu une certaine marginalisation, au sein des régimes autoritaires auxquels j’ai participé. N’étant pas naïf et ayant accepté, en conscience, ma collaboration à ce type de pouvoir, je me suis astreint à m’occuper des secteurs dont on m’a confié la charge et, contrairement aux responsables, en général, dans ce genre de régime, j’ai toujours assumé et exercé pleinement les responsabilités dont je me considérais comptable, en bien et en mal. Malgré cela, il est évident que toute concours à un pouvoir conduit, certes à des degrés divers, à prendre sa part des acquis d’un tel régime, en bien ou en mal, là encore !

On peut me rétorquer : pourquoi alors participer à ce type de régime ? C’est ici l’occasion de faire état de la thèse que je défends, depuis le milieu des années 70, et qui, me semble-t-il, a caractérisé, pour l’essentiel, ce qu’on appelé la tendance « chartiste », au sein du mouvement des Kadihines. Cette thèse soutient que l’Afrique, voire le Tiers Monde et, en tous les cas, notre pays, ne sont pas mûrs pour une révolution, étant donné la fragilité et l’émiettement extrême de notre tissu social, dû à notre retard historique, en matière de développement et, plus grave encore, d’expérience étatique : seulement une cinquantaine d’années, aujourd’hui, en tant qu’Etat indépendant et à peine un siècle, en tant qu’ensemble unifié ; par une administration coloniale, qui plus est.

Pour le camp progressiste dont je me réclame, il ne reste plus, en matière de perspective de lutte, que de se battre pour faire aboutir les réformes possibles de progrès. Pour cela, il convient d’encourager la partie la moins conservatrice du pouvoir en place et de chercher, avec ce secteur, à fonder une alliance visant à élargir, chaque jour davantage, le champ des libertés et du progrès social, tout en luttant pour un réel Etat de droit, pour plus d’égalité entre les diverses couches sociales et ethnies du pays, pour la permanence et la stabilité de l’Etat mauritanien.

Il est évident qu’une telle attitude conduit, nécessairement, à des compromis qui peuvent, parfois, se transformer en compromissions, hélas ! En ce qui me concerne, je ne considère pas l’action politique comme infaillible. C’est pourquoi, agissant toujours de bonne foi, je tiens, s’il m’arrive de me tromper, à dresser, publiquement, mon autocritique ; d’abord pour moi-même, pour mes amis politiques et, surtout, pour le peuple mauritanien. Je sais que, chez nous, peu de gens apprécient un tel comportement. Mais il se trouve que, pour moi, l’action politique, sans le minimum nécessaire de morale, n’a aucun intérêt !

On est loin de Machiavel dont je connais, pourtant, les principaux préceptes et enseignements. C’est ce qui explique que j’ai toujours pris des risques, en militant pour des causes que je crois justes, souvent à contre-courant de l’opinion dominante dont je sais qu’elle est, la plupart du temps, manipulée par le courant conservateur, lui-même actionné, en sous-main, par les services de renseignement du pouvoir du moment.

Ce fut très tôt, pour moi, mon opposition à l’esclavage, y compris dans ma propre famille, puis contre la colonisation ; ensuite contre le néocolonialisme et, depuis les années 70, pour l’égalité des ethnies et la reconnaissance constitutionnelle de notre pluralité ethnique et culturelle, pour la nécessaire mise en place, par l’Etat, d’une politique systématique de discrimination positive, en faveur des couches sociales historiquement opprimées (esclaves à libérer ou récemment libérés, Haratines et diverses autres castes de la société traditionnelle, les femmes, etc.).

Aujourd’hui, je demeure, à ma connaissance,  une des rares voix à demander, au plan de l’humanisme, la suppression de la peine de mort et, en attendant, la mise en œuvre d’un moratoire, officiel, contre l’application des peines avilissantes ou dégradantes pour l’homme ; de même pour demander, sur le plan de l’intégration de nos diverses communautés, ethniques ou autres, la promotion, par l’Etat, à travers des politiques spécifiques, des métissages biologiques et culturels, en encourageant la mixité matrimoniale, la mixité dans l’éducation, la mixité résidentielle, etc.

Il ne s’agit pas de chercher à assimiler l’autre mais de s’enrichir de sa culture et, en définitive, renforcer notre unité nationale ; notre diversité ne constitue pas un handicap, comme le pensent les racistes et les conservateurs de tous poils, mais une vraie richesse que nous devons cultiver d’autant plus que notre sainte religion, l’islam, nous invite à vouloir, pour notre frère, ce que nous voulons pour nous-mêmes.

Un tel combat pour le progrès et la justice ne s’est jamais arrêté, pour moi, même s’il peut subir, pour un moment ou un autre, les inflexions qu’exigent les conjonctures spécifiques. C’est pourquoi, s’agissant de graves atteintes aux droits de l’homme, notamment les expulsions, massives, de citoyens négro-mauritaniens et les exécutions extrajudiciaires, opérées au sein de nos forces armées contre des compatriotes, négro-mauritaniens là encore, et, puisque je n’ai pas pu, par manque d’information, m’exprimer à ce sujet, au moment des faits, je juge nécessaire, chaque fois que j’en ai l’occasion, de présenter mes excuses et toute ma compassion aux intéressés. C’est là la moindre des choses !

Je profite ici de l’occasion pour rappeler que, selon moi, le règlement définitif de ces graves questions ne peut voir le jour qu’à la suite d’une enquête minutieuse, sérieuse, opérée par une Commission nationale indépendante qui aura pour tâches de faire la lumière sur ces années de braises et de proposer, à la Nation, les moyens, procédures et solutions pour faire en sorte que de tels événements ne puissent plus se répéter dans notre pays et que notre unité nationale en soit renforcée.

 

- Revenons à l’actualité. Après l’importante manifestation pour les droits des Haratines, après les visites du Président à l’extérieur et à l’intérieur du pays, pensez-vous que le dialogue, entre le pouvoir et l’opposition, va enfin avoir lieu ?

- Pour les déplacements du chef de l’Etat à l’intérieur du pays, il est étonnant que personne ne puisse savoir quel est l’objet de ces tournées, en dehors du folklore populiste et des inaugurations, souvent pour la troisième fois, des mêmes projets dont les financements ont été décaissés et dépensés, alors que les projets en question ne sont pas encore terminés. Il est plus que regrettable que les autorités continuent de cautionner, à l’occasion de ces visites, les rassemblements tribaux, les revendications tribales, en somme le retour du tribalisme le plus diviseur et le plus archaïque. Il est particulièrement malheureux que le chef de l’Etat n’ait, à aucun moment, essayé de faire œuvre d’éducation, pour élever le niveau de conscience de nos citoyens, notamment à propos des questions de la lutte contre l’esclavage ou, simplement de ses séquelles, comme ils disent.

En ce qui concerne les voyages à l’étranger, le seul méritant qu’on s’y arrête est la visite en Arabie saoudite. Comme d’habitude, hélas, avec le pouvoir personnel, il n’y a d’information que pour alimenter la propagande populiste. On est donc réduit à commenter les rumeurs. Celles-ci laissent entendre que le chef de l’Etat aurait conclu un marché avec l’Arabie saoudite qui lui apporterait une aide substantielle (dépôt à la BCM, aide budgétaire et soutien à l’armée) contre l’envoi de deux mille hommes de nos forces armées, pour participer à la guerre des pays du Golfe contre le Yémen. Si ces rumeurs se vérifient, il est évident, pour moi, que notre pays aurait été entrainé dans une guerre d’agression injuste dont le succès est, pour le moins, aléatoire : aucun pays au monde n’a jamais pu occuper le Yémen durablement. De ce point de vue, ce pays, essence de l’arabité, ressemble fortement à l’Afghanistan. Cette guerre d’agression que certains, chez nous, veulent absolument ériger en guerre préventive, contre le chiisme représenté par l’Iran, cette guerre, donc, non seulement ne peut être gagnée contre les Yéménites mais elle divise, encore plus, les musulmans, au profit des intérêts occidentaux compris. La propagande qui veut faire, de l’Iran chiite, l’ennemi principal des Arabes sunnites, est, non seulement, passéiste mais, aussi, obscurantiste et dangereuse. Comment peut-on soutenir que l’Iran, puissance régionale, n’ait pas des intérêts à défendre dans la région ? Est-ce que l’Egypte, la Turquie ou, même, l’Arabie Saoudite n’ont pas des intérêts de puissance à défendre dans leur région ? On peut dire, d’ailleurs, encore la même chose de tous les Etats qui ont les moyens d’entretenir une ambition de puissance. Voyez celui du Qatar, avec une population autochtone de moins de 300 000 personnes et un territoire à peine égal à celui de Nouakchott !

Sunnite et fier de l’être, comme tous les Mauritaniens, je ne peux, tout de même, qu’observer que les musulmans chiites du Golfe ont été, jusqu’à présent, opprimés ; parfois même dans des pays où ils sont majoritaires, comme à Bahreïn ou, hier, en Irak. Ce qui, évidemment, ne peut justifier l’oppression des sunnites de ce pays, depuis son occupation et sa désorganisation, criminelles, par les USA. En tout état de cause, pour moi, soutenir, relancer, favoriser les conflits, entre musulmans, sur la base sunnite-chiite, ne peut servir, au plan interne, que l’extrémisme des mouvements takfiristes du type Al Qaïda, Daech et leurs semblables et, au plan extérieur, les intérêts des puissances hégémonistes notamment occidentales pour le moment. Pour notre pays, autant il est plus que souhaitable de demeurer uni, par notre sainte religion, l’islam modéré sunnite malikite, autant l’hystérie d’un certain courant ultra-conservateur, contre une soi-disant invasion chiite, me semble suspecte et sûrement manipulée à des fins peu avouables.

S’agissant de la grande marche du 29 Avril pour les droits des Haratines, il est à noter que par son ampleur, la présence massive, en son sein, de toutes nos communautés, son caractère démocratique et pacifique, cette manifestation mérite d’attirer l’attention des autorités, pour s’engager, rapidement, dans un dialogue sérieux avec l’opposition ; dégager, entre autres, le consensus nécessaire autour des perspectives de règlement des grandes questions nationales dont celle de l’esclavage et des droits des Haratines ; définir, ensemble, un processus consensuel, pour des élections honnêtes, transparentes et, donc, crédibles, afin de pouvoir assoir, enfin dans notre pays, un régime réellement démocratique.

Tel est mon souhait. Malheureusement, tel que le pouvoir personnel actuel agit et se comporte, je ne crois pas qu’il puisse établir le minimum acceptable de conditions d’apaisement, afin que le dialogue, tant attendu par tout le pays, puisse s’engager et aboutir favorablement.

Propos recueillis par DL