La Mauritanie est toujours spéciale. Atypique. Un pays à part. Avec des choses bien à elle. La Mauritanie : des chiffres spéciaux. Des tribus spéciales. Des communautés itou. Même son thé vert est spécial. Incomparable, le thé vert spécial. N’y a que 8147 qui le concurrençait, un peu. Après, comme d’habitude, il s’est formé un camp spécial qui n’aime que le wargu’e spécial et chante ses vertus, un autre pour qui quiconque apprécie autre thé vert que l’indéboulonnable 8147 n’est pas un connaisseur. Les journalistes sont spéciaux. Même le président est spécial. Ici, le spécial n’est pas roi, il est président. Nous connaissions des chiffres et des lettres. Voici des chiffres tout court. Pas erronés. Mais spéciaux. Un mois ou deux mois après sa fondation, le parti du Président comptait déjà sept cent mille adhérents. Les ministres, les directeurs, les sous-directeurs, les chefs de service, les chefs de division, les fonctionnaires, les proches du président du parti et de ses proches collaborateurs, leurs familles et les voisins de leurs familles, les généraux et leurs amis, les notables et chefs de tribus, les promoteurs des initiatives de soutiens à l’action du Président non compris. Après plusieurs années et des poussières, le parti est normalement à sept à huit millions d’adhérents. La preuve, les quatre visites des deux Hodhs, de l’Assaba et du Gorgol. Un autre chiffre spécial : neuf milliards d’ouguiyas pour construire un tronçon de 46 kilomètres de goudron. Deux cents millions le kilomètre. Chiffre spécial : Un kilomètre vaut dix V8. Il faut autant d’argent pour construire un kilomètre de goudron que d’argent pour bâtir dix villas de vingt millions. Les salaires de cent cinquante cadres de la fonction publique nationale permettent, juste, de construire un seul kilomètre de goudron. Vingt-cinq mille dollars ! C’est combien en ouguiyas ? A la vente ou à l’achat ? Vers les sept millions. C’est un chiffre spécial. C’est une longue histoire avec les chiffres spéciaux. Pas question de faux chiffres ou de chiffres erronés. Des spéciaux, comme on n’en voit qu’en Mauritanie. Quatre cents milliards. Quinze milliards. Deux millions d’euros, dans un sac à main pour femme spéciale, sur le bord de la Seine ou sous le pont Mirabeau. Des journalistes spéciaux qui sont contre les intérêts nationaux. Une racaille de pique-assiettes dans les ambassades. Pot-aux-roses découvert. Vendre la nation pour des salaires, des voyages, des faveurs. Renseignements et journalisme. : les techniques sont si proches ! Un journaliste spécialisé est un homme du renseignement ordinaire de premier degré. Dans la poche. Directement dans la poche, comme disait un célèbre artiste de la place. Spécial Président. Surtout envers la presse. Avec la presse. Deux conférences de presse en un mois. Qui dit mieux ? C’est un chiffre spécial. Pour dire quoi ? Heureusement qu’il y a eu ce journaliste qui ne voulait pas obtempérer. Sinon, quoi d’autre de nouveau ? Une conférence pour donner ordre de fermer sa gueule et sa TV ? C’est vraiment du spécial. C’est à mettre dans les réalisations présidentielles. Ce n’est pas tous les jours qu’un président a le temps de consacrer trois à quatre heures pour se fâcher. Très transparent. La preuve. Heureusement, d’ailleurs. Services spéciaux. Chiffres spéciaux. Agents spéciaux. Journalistes spéciaux. C’est assemblable. Spéciales tribus. Des milliers. Au moins. Déjà pour quatre visites. Reste, encore, au moins une dizaine de visites. Et à faire le compte, ça fera une bonne petite dizaine de centaines des Oulad ceci ou Oulad Cela et des O’don et O’don (ceux-là et ceux-là). Les centaines de postes de santé, les milliers de classes et les dizaines de projets. Les équipements. Les financements. Les arrangements. Les mises en scène. Les centaines. Des chiffres spéciaux. Spécialement destinés à des supercheries spéciales, sur fond de mobilisation populaire tout aussi spéciale. Le budget national, pour l’année 2015, est de plus de quatre cents milliards. Spécial. Salut.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».