Le Mauritanien est attaché au droit de propriété. Il ne rêve que d'avoir sa maison, ses chamelles, ses vaches, ses moutons ; sa terre, s'il est paysan. Le Mauritanien est attaché à l'héritage ; il veut pouvoir transmettre, à ses enfants, tout ce qu’il a acquis. Si l'on interroge les Mauritaniens sur les hommes qui les gouvernent, ils les disent médiocres et corrompus. Ces hommes se connaissent trop ; il y a des haines et des rancunes qui les séparent et, sous l'uniformité subie, grande est leur diversité d'opinion. De l'extérieur, on ne voit que leurs têtes alignées. Eux connaissent leurs divergences et leurs rivalités, de telle sorte que la promotion des médiocres est, souvent, le commun dénominateur. Ce qu'ils savent les uns des autres, et qu'ils redoutent que l'on sache, les divise mais les maintient ensemble. Trop de raisons commandant les carrières s'entrecroisent ainsi pour que les capacités intellectuelles ou la fermeté de caractère y gardent les meilleures places. On croit la corruption généralisée. Or il y a des corruptions vite décelées et d'autres que nulle trace, jamais, ne vient révéler. Et il ne suffirait pas d'étudier la corruption, sa gravité, son étendue : il faudra observer, aussi, les phénomènes de rejet, leur fréquence, leur intensité et, encore, les forces qui empêchent la corruption d’être réparable. De telle sorte qu'une réflexion sur la corruption serait peu distincte d'une réflexion sur l'Etat, sur la Police, sur la Justice, sur la Douane, sur la Société tout entière.
Encore faudrait-il tenter l'inventaire des formes de la corruption. Il en est de simples et d’autres compliquées. Un ministre qui reçoit une enveloppe, en échange d'un service ; un parlementaire qui fait payer une intervention ; ne témoignent que de modalités sommaires et, sans doute, rares de la corruption. Il n'y a pas que l'argent pour acheter l'influence ou arracher une décision. Les hommes politiques peuvent se vendre pour des honneurs ou de petits et grands plaisirs : quelques chamelles, voyages à l'Etranger ou filles aimables. Moins l'argent est présent ou ostensible, plus la corruption est facile. C'est que la bonne conscience s'arrange des formes déterminées de la corruption. Celui qui refuserait une enveloppe accepte son équivalent en avantages ou en plusieurs. Dans une société où l'argent est à la fois souverain et suspect, la commodité est d'offrir, et de recevoir, autre chose que pièces et billets. C'est l'immense marché des services prêtés et rendus, des traites tirées et acceptées, qui constitue la voie royale de la corruption. L'argent ne sollicite des services que de ceux sont en état d'en rendre ; donc, du personnel au pouvoir. Tel paraît être, aujourd’hui, le cas.
Quantitativement, la ramasse d'argent disponible et capable de peser sur le pouvoir ne cesse de croître, dans une société en expansion. Ceci ne peut être sans effet. Plus l'argent est nombreux et fort, plus il est tenté de corrompre. Mais ce n'est pas, seulement, la masse croissante de l'argent privé qui multiplie les risques : c'est, aussi, sa plus grande mobilité. Il existe une quantité variable d'argent vagabond, maraudeur, qui cherche à s'employer et se multiplier, non pas dans des circuits lents et sûrs mais dans des « coups » rapides, parfois hasardeux. Là se peuvent espérer d'énormes profits et ces profits tiennent, souvent, à des décisions administratives : un marché, un permis, une licence. Car l’Etat, la Commune, l'Etablissement Public ne sont pas, pour l’argent, des entités abstraites. Mais nous vivons dans une société et un temps où l'argent donne accès à tout ; ou presque. Les cabinets ministériels dont l'accès est ouvert, parfois, par le mérite mais, surtout, par les relations, les grandes poussées électorales, en 2009, amenant, à proximité de pouvoir, quelques hommes de qualité et de conviction mais, aussi des opportuns pour qui la politique est un moyen, et, pour la majorité d’entre eux, un centre d'accueil. Ils font carrière. Il est donc certain, il était, sans doute inévitable que la majorité, peu à peu, grossisse ses rangs d'hommes sans foi ni loi. Car ce ne sont pas des gens de très forte conviction qu'atteint la corruption. Ce sont, toujours, des politiciens venus, aux affaires de l’Etat, comme ils seraient allés à d'autres affaires. Les raisons générales tiennent aux séductions de la société dite de consommation. Elle fait ou tend à faire, de chacun, un consommateur acharné et jamais satisfait. Les hommes politiques sont ainsi emportés par un mouvement qui les dépasse. Il y a, de la satisfaction des besoins essentiels au confort du luxe, du luxe à l'opulence, une progression ininterrompue et il faut beaucoup de lucidité et d'énergie pour la briser. Il en va d'un élu, d'un haut fonctionnaire, d'un ministre, comme de tout autre : les sollicitations du mieux-vivre ne cessent de frapper à sa porte. Ainsi la majorité a-t-elle été spécialement vulnérable aux pressions de l'argent, n'en doutons pas. Comme elle invente de nouveaux riches, la société mauritanienne ne cesse de produire de nouveaux pauvres. Quand les plus défavorisées d'aujourd'hui le seront moins, il est à craindre que d'autres le soient à leur place. Un gouvernement ne travaille pas avec l'éternité devant lui. Les hommes qu'il prend en charge ne font qu’une vie d'homme.
Promouvons une société basée sur l'éthique et le travail. Nous devons, tous, nous déterminer à débusquer et à écarter, « sans complaisance ni besoin, à punir, sans faiblesse, ceux qui ruinent ce pays ou le desservent, les corrompus, les antinationaux, les roublards et les paresseux ». II faut cultiver l'honnêteté, le courage au travail. Que chacun, au poste où il est, du ministre au planton, du chef d'entreprise au manœuvre, considère comme reposant sur ses seules épaules le destin de la nation. Et, pour que l'éthique règne, deux conditions : une justice forte et respectée, servie par des magistrats « bien traités et indépendants », et la « réhabilitation de la fonction technique, au détriment de la fonction politique ».
Ahmed Bezeïd ould Beyrouck
Chroniqueur politique