Un de mes amis, professeur de son état, avec lequel, l’autre jour, je discutais de choses et d’autres, me lança soudain : « Utilises-tu souvent Internet ? ». Surpris, je baragouinai : « Souvent, en effet ; dans mon travail, il m’est indispensable, comme d’ailleurs je suppose, pour énormément de gens aujourd’hui…. Pourquoi ?»
Hilare, mon interlocuteur répliqua : « Dans ce cas, prends garde ; je vais te raconter la mésaventure qui est arrivée à mon frangin ». Passablement intrigué, je prêtai l’oreille. Voici, grosso modo, sa relation des faits.
« Elève au collège, mon jeune frère m’appela après son retour de classe et me dit tout de go : mon professeur de français m’a traité aujourd’hui de singe ».
– Ah, bon ? Et quel mal y a-t-il à ça, si c’est pour ton intérêt ? Ne dit-on pas, d’ailleurs, que l’homme est un singe évolué ?
– Le problème, est qu’il n’y a pas de raison à ce qu’il me traite ainsi.
– Raconte…
- Il nous avait donné un devoir à préparer à la maison, par groupe de quatre élèves. Le sujet porte sur les effets de la désertification en Mauritanie. Un membre de notre groupe nous a proposé un document qu’il avait, dit-il, tiré d’Internet, et qui nous a semblé excellent. Après remise du devoir au professeur, celui-ci, deux jours plus tard, nous interpella devant nos camarades et nous dit : « Votre groupe triche très mal. Le texte que vous m’avez remis, est relatif à un autre pays dont vous avez « oublié » de supprimer le nom. Dès que j’ai saisi la première phrase sur un moteur de recherche, tout votre texte a défilé devant mes yeux. Il est clair donc que vous n’avez fourni aucun effort. Vous vous êtes contentés de copier et coller une analyse se rapportant à un autre pays, qui a son environnement et ses spécificités propres ».
Et notre professeur d’ajouter : « Ce que vous ignorez, c’est qu’un enseignant préfère un mauvais travail mais personnel qu’un excellent travail mais copié. Ce n’est pas grave de commettre des fautes ou faire des erreurs – personne ne peut y échapper -, ce qui est grave et inadmissible, c’est d’essayer de faire croire qu’on a fait un bon devoir alors qu’en réalité, il est « pompé » chez quelqu’un d’autre ». Et, l’air contrarié, il termina par cette phrase : « Il n’y a que les singes pour singer ; vous êtes donc des singes ».
J’éclatai de rire et postulai : « Il est manifeste que quelque chose a cloché dans ce que vous avez « rédigé » ; peut-être, pour réussir votre tentative de camouflage, auriez-vous dû « biffer » le nom de ce fameux pays, mais même ce faisant, un enseignant méticuleux aurait découvert la supercherie. Bon, qu’est-ce qui s’est passé ensuite ? ».
– Nous avons passé un mauvais moment sous les huées et sarcasmes de nos camarades. Ce fut une mésaventure désagréable ».
Le jeune garçon marqua une pause puis me dit : « Mais il y a une question qui me taraude, je sais ce que c’est qu’un singe, mais je ne savais pas qu’il y avait aussi un verbe « singer »…
Je me précipitai sur le dico et y découvris plusieurs synonymes de ce verbe : copier, pasticher, plagier, avec en filigrane une idée de mauvaise copie, à l’image de ce que peut faire un singe…
« C’est probablement, lui indiquai-je, dans ce dernier sens que votre professeur l’a utilisé. Bon, après, qu’est-ce qu’il vous a dit ? »
- Il nous a imposé un long exposé sur les avantages et les inconvénients d’Internet. Il nous a dit que c’est un outil très utile si on s’en sert à bon escient. Par exemple, il n’a pas son pareil si on veut disposer rapidement d’une information quelconque, sans recourir à des recherches fastidieuses dans des ouvrages. Ou encore, si on souhaite trouver une citation ou le sens d’un mot, sans être obligé de fouiller dans de la paperasse…
- Tout cela est fort intéressant, dis-je ; et pour ce qui est des inconvénients ?
- Là, il nous a mis en garde contre la violence et autres dérives sur Internet. En plus, il nous a appris une chose que personnellement je ne savais pas : Internet, dit-il, n’encourage pas la réflexion et peut même inhiber tout effort de production intellectuelle. Car, on est toujours tenté de « pomper » ce qu’il y a sur la Toile, sans réel changement et donc sans apport propre. Et là, le professeur nous a conseillé de prendre au moins la précaution de mettre des guillemets lorsqu’on veut reprendre un passage ou même un texte. Cette simple formalité dénote déjà, précise-t-il, d’un souci de franchise et d’honnêteté intellectuelle en indiquant que ce qui est repris ne nous appartient pas et que c’est donc quelqu’un d’autre qui l’a écrit.
Enfin, le professeur a souligné que de plus en plus, de nombreux sites protègent leurs informations et clament que toute reproduction, même partielle, devra être autorisée. C’est là une toute autre dimension de la problématique qui pourrait, ajoute-t-il, procurer quelques ennuis aux contrevenants… ».
Ayant fini de me « restituer » la mésaventure du jeune élève, mon ami dit : « Je pense que son prof a bigrement raison. Qu’en penses-tu ? ».
- Eh bien, commençai-je, je pense que ce professeur est sans doute une espèce en voie de disparition. A classer d’urgence comme patrimoine mondial de l’humanité…Plus sérieusement, en toute objectivité, il est difficile d’exiger une originalité sans failles de jeunes élèves du secondaire. Déjà, pour nous, adultes….
Néanmoins, bien que je ne sois pas le moins du monde pédagogue, il est crucial d’attirer l’attention de ces enfants sur le meilleur parti à tirer de cet outil merveilleux qu’est Internet. Ce n’est qu’ainsi, qu’ils parviendront à affermir petit à petit leurs premiers pas sur le sentier tortueux de la recherche. »
Ishaq Ahmed Cheikh Sidia ([email protected])