Le Calame : Lors d’une récente émission sur une télévision privée, vous avez déclaré que la responsabilité de ce qui s’est passé à la Maurisbank incombe d’abord à la Banque centrale. Où est-ce que vous voulez en venir ?
Abdallahi Mohamed Awah : Effectivement, j’ai déclaré que la BCM est la principale responsable de ce qui est arrivé en particulier aux déposants de la Maurisbank et cela pour les raisons suivantes :
- L’octroi de l’agrément à la Maurisbank est déjà à la base discutable car elle n’a pas libéré l’intégralité de son capital en numéraire soit 6 milliards d’ouguiyas, qui sont l’une des conditions majeures pour l’agrément d’une banque en Mauritanie. En effet, la grande majorité du capital libéré par la Maurisbank l’a été sous forme d’immobilisation (immeuble du siège).
Par conséquent, une banque qui n’a pas déposée un capital en numéraire est déjà, de façon congénitale, très fragile. Elle l’est d’autant plus que, comme toutes les banques islamiques, elle n’a pas recours au refinancement de la Banque centrale, basé sur un taux d’intérêt de 8%.
- Etant donné que la BCM connaissait très bien comment le capital de la Maurisbank a été libéré, elle devrait la suivre de prés comme toutes les nouvelles banques islamiques créées depuis 2011 qui, à l’exception d’une seule, sont dans le même cas de figure que la Maurisbank. Il s’agit ici d’un suivi exceptionnel en raison de l’extrême fragilité de ces banques qui vient s’ajouter au suivi ordinaire que la BCM exerce quotidiennement dans le cadre de sa mission classique de supervision des banques primaires qui vise principalement à protéger les déposants de tout dérapage éventuel dans la gestion du système bancaire.
- En vertu de la loi, il incombe à la BCM de désigner un administrateur pour toute banque qui est exclue de la chambre de compensation trois semaines de suite afin de protéger en particulier l’intérêt des déposants. Or dans le cas d’espèce de la Maurisbank, la BCM est restée silencieuse pendant plus de 8 mois, alors que cette banque ne compensait plus et cela suffit amplement pour mettre en jeu sa responsabilité dans ce qui est arrivé aux déposants de la Maurisbank.
Est-ce que le fait que les raisons politiques transcendent les raisons économiques n’ouvre pas la voie à de futurs dérapages de la sorte ?
Avant de parler des conséquences de la transcendance de raisons politiques, il serait bien de rappeler le principe de base sur lequel repose le fonctionnement normal du système bancaire : la bonne marche de ce système dépend essentiellement de la confiance des épargnants dans les banques. Or la liquidation de la Maurisbank a ébranlé cette confiance car elle a mis en évidence le fait que la BCM n’est pas la garante des dépôts des épargnants une fois la banque est en faillite, contrairement à ce que croyaient la majorité écrasante des déposants.
La conséquence directe de cette confiance ébranlée est que l’on assiste actuellement à un retrait significatif des dépôts au niveau de toutes les banques et cela ouvre la voie à toute sorte de dérapages dans le futur qui seront d’autant plus rapides et accentués si la politique s’en mêle.
Avec près d’une quinzaine de banques et un taux de bancarisation des plus faibles, ne risque-t-on pas d’assister à la chute d’autres banques dans un futur proche ?
Oui le risque de la chute d’autres banques à l’avenir est probable pour les raisons suivantes :
- Le capital de 6 milliards exigé pour ouvrir une banque est très faible pour couvrir tous les risques liés à l’activité bancaire (crédit, investissement,….).
- Il y a 16 banques qui se disputent un marché très étroit (moins de 5% de taux de bancarisation) dans lequel les déposants commencent à douter du système bancaire en général depuis la chute de la Maurisbank.
- Les principaux dépôts des banques sont des dépôts à vue qui sont par essence volatiles. En outre, ces dépôts sont très concentrés sur un petit nombre de déposants, ce qui fragilise davantage les banques. Enfin, les crédits sont également concentrés sur une population restreinte de la clientèle, ce qui va à l’encontre du ratio de division des risques et constitue un élément central de fragilisation des banques.
En conséquence, pour prévenir ce risque de chute de nouvelles banques, il est urgent que les autorités monétaires envoient un signal fort qui redonne la confiance aux déposants et prennent rapidement toutes les mesures nécessaires pour renforcer la légitimité et la stabilité du système bancaire national.
Propos recueillis par AOC