Auréolé de son tout récent Prix Nobel de la Paix et quelques années avant l’obtention, à titre posthume, de son prix de l’ONU pour les droits de l’homme (oui, oui, le même que celui qu’arbore notre compatriote, Biram Dah Adeid), le pasteur Martin Luther King essaye de contenir sa nervosité lors de l’audience que lui a accordée le président Johnson dans le bureau ovale de la Maison blanche.
- Johnson : Alors, King, que voulez-vous exactement et est-ce que vous voulez nous aider ?
- King : Je veux que s’établisse la justice et l’égalité entre tous les Américains ;
- Johnson : Nous y travaillons, avec toute mon équipe ;
- King : Commençons par le droit effectif de vote pour les Noirs ;
- Johnson : C’est d’accord, mais faisons-le de façon intelligente, progressive. Nous commencerons par la lutte contre la pauvreté. C’est la pauvreté qui est l’origine de tous nos malheurs. Quand le niveau de vie montera, le niveau d’instruction suivra et avec lui la jouissance des droits effectifs ;
- King : Non, Monsieur le Président. Nous ne pouvons pas attendre. Les Noirs veulent participer aux choix des personnes qui les dirigent et ne voudront pas attendre ;
- Johnson : Ce n’est pas dans cet ordre que je compte procéder. Ce n’est pas ma stratégie.
King, découragé, rejoint ses amis et les informe de l’échec de la démarche. Cap donc sur Selma, petite bourgade de l’Alabama (Sud des EU) située à 85 Km de la capitale de l’Etat, Montgomery où des luttes antiségrégationnistes commencent à s’organiser depuis plusieurs années.
Allez voir SELMA, le film de la réalisatrice afro-américaine Ava Duvernay, pour voir King se faire gifler en public par un militant ségrégationniste deux fois moins lourd que lui sans qu’il réponde et en empêchant ses amis de répondre.
Allez voir les deux marches réprimées dans le sang et dans les volutes de gaz lacrymogène par une police à cheval sans que les manifestants ripostent ou désarçonnent le moindre membre de la « formation légale des imbéciles casqués », comme disaient les Kadihine en parlant des « flics ».
Allez voir et entendre cet autre dialogue entre le gouverneur de l’Alabama, George Wallace, et le président Johnson. Wallace avait sollicité une audience auprès de Johnson dans une ultime tentative pour empêcher le vote de la loi dite « Voting Rights Act » qui rendit le droit de vote effectif aux Noirs américains.
- Wallace : je suis venu vous demander de renoncer au « Voting Rights Act » ;
- Johnson : Pourquoi ? Vous qui passez votre temps à lutter contre la pauvreté, pourquoi empêcher les Noirs de voter ?
- Wallace : Le droit de vote est inscrit dans la Constitution. Ils ont le droit de voter ;
- Johnson : Vous savez pertinemment que ce n’est pas vrai ;
- Wallace : Moi, je n’ai aucun pouvoir sur l’administration de l’état civil. Ces gens ont leur règlement intérieur et je n’y peux rien…
- Johnson : Mais qu’est-ce que vous avez contre les Noirs ?
- Wallace : J’ai contre eux qu’ils ne se contenteront pas de peu. Aujourd’hui le droit de vote, demain les bus, après-demain ils voudront que nous partagions les parcs, les écoles…Je suis le représentant d’une population qui ne veut pas de ça… c’est la démocratie…mes électeurs ne veulent pas que cette situation change.
En regardant SELAM, j’entendais en écho les discours officiels des autorités mauritaniennes qui nous servent à longueur d’argumentaire la lutte contre la « pauvreté » comme panacée capable d’éradiquer et l’esclavage et le racisme en Mauritanie. J’entendais aussi, en écho, les répliques de dizaines de Wallace Bidhane qui vous mettent en garde, sans ciller, contre le risque que les Hratîn les submergent si, par malheur, ils accédaient à l’instruction et à la liberté.
Pourtant, aujourd’hui, il paraît inévitable de faire voter une « Voting Rights Act » en faveur des Hratîn en Mauritanie. Inévitable que les esclaves et les anciens esclaves accèdent à l’exercice plein et entier de leur citoyenneté. Inévitable parce qu’ils n’acceptent plus qu’il en soit autrement, parce qu’ils vont en prison, se font gazer et tabasser pour le faire comprendre.
King était un pasteur, se trouve-t-il un Imam révolté par l’injustice qui se fait au nom de sa religion, choqué par la déshumanisation de ses semblables pour lancer un appel aux autres Uléma pour qu’ils se joignent à lui dans une marche de SELMA à Montgomery ou l’équivalent en Mauritanie? Ou alors faudra-t-il attendre que ce soit un imam hartany ? Pour la stabilité en Mauritanie, j’ose espérer que non.
Mohamed Baba Ould Said