L’UNPO a conclu une mission d’enquête en Mauritanie, qui s’est déroulée du 15 au 19 Mars 2015, avec pour but de rencontrer de nombreux membres du Gouvernement, des politiciens, des organisations de la société civile et des activistes pour qu’un nouveau dialogue s’engage, évaluer les efforts faits au niveau national pour combattre l’esclavage et ses séquelles et mieux évaluerla volonté politique de faire face aux nombreux défis à venir. La mission a abouti à une visite en prison des activistes anti-esclavage BiramDahAbeid et Brahim Bilal Ramdhane, détenus à Aleg, Mauritanie.
La délégation, composée des représentantes de l’UNPO Mmes Johanna Green et Iva Petkovic, a tout d’abord rencontré leCommissaire Mauritanien aux Droits de l’Homme et à l’Action Humanitaire, à la têtedu Commissariat (Ministère) en charge de formuler la stratégie de mise en œuvre de la politique du Gouvernement en matière de droits de l’Homme, de discuter plus en profondeur de la Feuille de Route pour la Lutte contre les Séquelles de l’Esclavage et du caractère participatif du processus de mise en place. Au cours de cette rencontre, le Commissaire a discuté des campagnes de sensibilisation et des programmes de discrimination positive menés à travers la Mauritanie.
La Présidente de la Commission Nationale des Droits de l’Homme a accueilli l’UNPO et reconnu la visite comme une preuve de bonne foi. Elle a présenté la composition diverse et multiraciale de la Mauritanie comme une source d’espoir. Au cours du meeting, elle a avancé que la pauvreté, l’illettrisme et les autres différences sociales continuent de poser problème dans l’entreprise d’élimination des "conséquences de l’esclavage".
Le Président de la Plateforme des Acteurs Non-Etatiques a présenté l’UNPO à plusieurs représentants de syndicats et d’organisations de la société civile (OSCs), qui ont exprimé leur volonté de trouver une solution à la question de l’esclavage ensemble et accordent beaucoup d’importance à la préservation de la cohésion sociale dans cette entreprise. Au cours de la rencontre, le Président du Forum des organisations nationales des droits humains en Mauritanie (FONDAH)a fait remarquer qu’il n’y a pas si longtemps, la culture politique de la Mauritanie n’incluait pas de dialogue fructueux sur les droits autochtones et sur la manière de répondre aux violations systématiques de droits de l’Homme. Il a toutefois reconnu que l’esclavage existait toujours et qu’il devait être combattu activement. Bien que des lois criminalisant l’esclavage aient été mises en place en Mauritanie, leur mise en œuvre n’est toujours pas effective, a-t-ilajouté.
Dans la soirée du 16 Mars 2015, le Président d’Ensemble Promouvoir et Défendre les Droits de l’Homme (EPPDHO) a organisé un diner de travail pour les divers représentants des ONGs et OSCs nationales, parmi lesquels Boubacar Ould Messaoud de SOS Esclaves, AminetouMint El Moctar de l’Association des Femmes Chefs de Famille, et Balla Touré de l’Initiative pour la Résurgence du Mouvement Abolitionniste en Mauritanie, entre autres. Cet évènement a vu survenir des débats houleux sur la diversité et la discrimination en Mauritanie, révélant une fracture majeure – y compris au sein des acteurs non-Etatiques, de façon surprenante – quant à la conceptualisation même du problème suivant : la Mauritanie combat-elle la persistance de l’esclavage ou éradique-t-elle ses séquelles ?
Au cours de son intervention, Balla Touré a abordé les sujets de l’expropriation des Haratin de leurs terreset du servage. Il a expliqué que les Haratin n’ont pas de droitssur leurs terres ni de droit depropriété, bien qu’ils travaillent et habitent sur leurs terres depuis des siècles, et qu’ils continuent à faire face à des obstacles administratifs qui ont été mis en œuvre de façonstratégique pour réduire en esclavage la communauté. Il a exprimé sa déception quant à l’emprisonnement arbitraire de ses collègues de l’IRA au cours de la manifestation pacifique de Novembre 2014, et au fait que la majorité des acteurs de la société civile n’ont pas dénoncé cet acte injuste.
Le 17 Mars 2015, les représentantes de l’UNPO ont rencontré l’Agence Tadamoun, une agence autonome financée par le Gouvernement et mandatée pour contrôler la lutte contre les derniers vestiges de l’esclavage, et répondre aux problèmes d’intégration sociale et de pauvreté. LeDirecteur Général de l’Agence Tadamoun a expliqué comment l’agence mettait en place des mesures et programmes concrets visant les pans défavorisés, ruraux, isolés et pauvres de la société, et a fait part de quelques-unes de leurs réussites au cours de l’année passée, notamment dans leur travail avec les jeunes, les réfugiés et les ex-victimes d’esclavage.
Mmes Johanna Green et Iva Petkovic ont aussi eu l’honneur de rencontrer le Président du Parlement Mauritanien, qui a reconnu que "dire que [l’esclavage] n’existe plus serait hasardeux" et qu’"il y a une forte volonté politique de combattre les vestiges de l’esclavage". Il a maintenu que l’esclavage était un problème de sous-développement, fondamentalement économique. Bien que le Parlement soit en charge de superviser rigoureusement le travail et la mise en œuvre de la Feuille de Route par le Gouvernement, il pense que la branche exécutive répond au problème de façon appropriée en consacrant des parts du budget national à la lutte contre la pauvreté et aux programmes d’empowerment économique, à la construction de logements, et à l’amélioration des écoles et hôpitaux. Au cours d’une rencontre avec le Ministère en charge des Relations entre le Parlement et les OSCs, la délégation de l’UNPO a aussi entendu parler de programmes de renforcement des capacités pour les OSCs et les ONGs. De plus, les déléguées ont eu l’opportunité de visiter un centre de réintégration pour les enfants en conflit avec la loi. Le centre offre une alternative aux enfants qui sinon écoperaient de peines équivalentes a celles d’adultes dans des maisons correctionnelles, tout en leur offrant la possibilité de développer des compétences artistiques et artisanales.
Le Vice-Président du Sénat a trouvé que la visite de l’UNPO était une initiative louable, mais a réitéré que plutôt que l’esclavage, la pauvreté et le sous-développement étaient les problèmes clés. Le rendez-vous a aussi été l’occasion pour les divers Membres du Sénat Mauritanien d’exprimer leurs points de vue sur les politiques de race et de culture, de discrimination et d’égalité. Ils partageaient tous un point de vue commun sur l’esclavage, le décrivant comme un "phénomène historique", qui est maintenant inscrit dans le système légal Mauritanien en tant que crime contre l’humanité.
Au cours de la visite de l’UNPO à la Direction de l’Agriculture le 18 Mars 2015, la délégation a entendu parler des stratégies participatives et debusiness plans innovants pour améliorer le rendement agricole, équilibrer les partenariats entre investisseurs et fermiers, et s’adresser aux populations vulnérables. La Direction de l’Ecole Élémentaire et Secondaire a également présenté ses initiatives de discrimination positive dans l’optique de rendre l’éducation accessible à tous, et tout particulièrement aux habitants des zones défavorisées de Mauritanie. Cependant, et au regret
desreprésentantes de l’UNPO,le Directeur Général a aussinié que l’esclavage était une réalité patente dans le pays. Nier cela freine les efforts nationaux pour assurer une éducation à tous, puisque les enfants nésde parents esclaves n’ont souvent pas de papiers d’identité et ne peuvent donc pas s’inscrire à l’école.
Les représentantes de l’UNPO ont aussi rencontré M. Ekkehard Strauss, du Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de l’Homme. Ils ont discuté des progrès positifs observés par l’institution dans leur suivi des activités liées aux droits de l’Homme, tout particulièrement dans le domaine de la lutte contre l’esclavage, la torture, la violence judiciaire, faite aux femmes et liée au genre, et la pauvreté. La délégation de l’UNPO a questionné le représentant de l’HCDH au sujet de leurs expériences en tant qu’observateurs du processus de mise en œuvre de la Feuille de Route. Une des conclusions tirées du rendez-vous a été que malgré la volonté politique, il y a une tendance générale à sous-estimer le temps nécessaire à la mise en place d’un plan d’action aussi complet et étendu.
Le 19 Mars 2015, les déléguées de l’UNPO ont rendu visite à leurs collègues de l’IRA Biram Dah Abeid et Brahim Bilal Ramdhane à la prison d’Aleg afin de se rendre compte de leurs conditions de détention. Au cours de la visite, qui a duré trois heures, les deux activistes emprisonnés ont mentionné le fait que ce dont on les accuse a été fabriqué et par conséquent manipulé politiquement par les médias. Ils ont dénoncé la négation de l’existence de l’esclavage et de l’apartheid institutionnalisé en Mauritanie :
"Nous n’avons jamais dit qu’il y avait des chaines et des marchés aux esclaves, mais il y a de l’esclavage ! Pourquoi l’IRA peut-elle rassembler autant de monde ? Parce que cela affecte autant de gens !"
Ils ont exprimé leur inquiétude, partagée par les déléguées de l’UNPO, au sujet de la propagande et de l’attisement de la peur orchestrés par l’Etat, qui promeut l’idée que la Mauritanie n’a que deux options : l’esclavage ou la guerre civile. BiramDahAbeid a soutenu :
"Je ne suis pas contre le pouvoir du Président Aziz ou qui que ce soit d’autre… mais il a organisé la guerre contre nous. Nous n’acceptons pas de vivre et céder à la peur !"
Bien que Mr Biram Dah Abeid et son collègue aient eu l’air de bien se porter, ils ont tout de même noté que la salle des visiteurs avait été nettoyée par plusieurs gardiens la veille de la visite de l’UNPO. Ils ont également remarqué que pour la première fois, les portes de la salle étaient fermées pour leur permettre un peu d’intimité et leur nourriture n’avait pas été grossièrement examinée comme d’habitude.
Il est évident que la question de l’esclavage est un sujet clivant et sensible, marginalisant certains acteurs non-Etatiques ouvertement critiques, qui sont mis à l’écart, empêchant tout dialogue politique significatif, participatif et efficace.
Au cours de la visite, il a été confirmé à l’UNPO que bien que l’esclavage soit un crime de jure, cela n’a que peu d’implications pratiques pour les esclaves et leurs maitres, en particulier du fait du déni de la part du Gouvernement de l’existence-même de l’esclavage. La délégation de l’UNPO a également observé une réticence à s’opposer au message officiel de l’Etat, "zéro pourcent d’esclavage", ce qui crée une atmosphère de faux "consensus national sur l’esclavage". Un des plus gros problèmes observés au cours de cette mission d’enquête est le manque de données sur la nature et l’incidence de l’esclavage en Mauritanie.
Au cours de la visite, les déléguées de l’UNPO en sont arrivées à la préoccupante conclusion selon laquelle le Gouvernement se sent profondément menacé par le large soutien que le mouvementabolitionniste a rassemblé au niveau international, comme le prouvent les arrestations arbitraires très politisées.
A la suite de longues consultations avec les membres de l’IRA Mauritanie, l’UNPO a décidé d’accepter l’invitation de l’ONG EPDDHO à se rendre en Mauritanie, bien consciente que la couverture médiatique qui en résulterait serait non seulement sélective, mais également qu’elle détournerait l’attention des véritables problèmes en jeu. Néanmoins, l’UNPO a accueilli de manière très positive l’opportunité qui lui a été offerte de rendre visite à Mr Biram DahAbeid, membre de la Présidence de l’UNPO, en prison, et interprété ce geste des autorités Mauritaniennes comme une volonté – bien que timide pour le moment – d’ouvrir la voie à un dialogue constructif et honnête avec l’IRA et les autres ONGs dans le cadre de l’élaboration d’une réponse a l’esclavage et à ses séquelles.
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