Guinée : Un long chemin vers la liberté

25 March, 2015 - 14:16

L’anecdote peut prêter à sourire mais elle est symptomatique de la situation que vivait la Guinée, il y a à peine trois ans. Lorsqu’il débarqua, pour affaires, à Conakry, ce banquier mauritanien, à la recherche d’un hôtel décent, ne pensait pas qu’il allait avoir affaire à un désert. Le seul hôtel digne de ce nom, le Grand hôtel international – ancien Novotel – affichait tout le temps complet. Ce n’est qu’après moult acrobaties qu’on put lui dénicher une chambre.  Installé depuis en Guinée, il vit, en temps réel, la mutation que connaît cette jeune république, strictement abonnée, jusqu’en 2010, aux dictatures, civiles ou militaires, avec, pour clore ce long cheminement vers la démocratie, le régime ubuesque du capitaine  Moussa Dadis Camara.

Arrivé au pouvoir en 2010, au terme d’une élection dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle fut houleuse, avec deux tours de scrutin à plusieurs mois d’intervalle, l’opposant historique Alpha Condé a hérité d’un pays où tout était, non pas à refaire, mais à faire. Celui qui avait fui son pays pour des décennies d’exil avant de connaitre les geôles de Lansana Conté (1), savait qu’on ne lui faisait pas de cadeau, en l’élisant à la magistrature suprême. Son premier geste ne fut-il pas d’inviter son challenger, Cellou Dalein Diallo, devenu, depuis lors, son plus farouche opposant, à former, avec lui et toutes les autres forces politiques, un gouvernement d’union nationale, parce que, « notre pays », expliqua-t-il, « a besoin, dans cette conjoncture particulièrement difficile, de tous ses fils ». Une invitation jamais honorée,  Cellou Dalein Diallo ayant mal digéré de se faire coiffer au poteau, à l’issue du second tour, après avoir caracolé loin en tête, au premier tour. Les reports de voix ne sont jamais automatiques, pas plus en Afrique qu’ailleurs, et beaucoup d’eau avait coulé, sous les ponts, entre les deux tours… Les candidats ayant rallié Cellou Dalein Diallo (Sydia Touré, Abe Sylla) n’ont pas été suivis par leur électorat.

 

Un pays qui revient de loin

A sa mort, en  décembre 2008, le général Lansana Conté avait laissé, derrière lui, un pays exsangue, sur tous les plans. Pourtant, avec près de quatre mètres de pluviométrie annuelle, deux grands fleuves, des centaines de rivières et des ressources minières (fer, or, bauxite, diamant…) à la pelle, la Guinée  pouvait bien vivre, à moindre effort, à l’abri du besoin. Mais la mal-gouvernance, l’absence de vision de ses dirigeants, la gabegie et le népotisme érigés en règle, l’absence d’administration digne de ce nom et la restriction des libertés avaient tué, dans l’œuf, toute velléité de développement.  Lourdement affaibli par la maladie au cours des dernières années de son long pouvoir – 24 ans – Lansana Conté s’était retranché, par crainte d’un coup d’Etat, dans une sorte de quartier de luxe fortifié, et laissait le pays partir en vrille. Le code minier, par exemple, qui pouvait permettre, à la Guinée, de s’assurer une rente confortable, grâce à une exploitation judicieuse des potentialités de son sous-sol, se négociait à la tête du client. Huit cents permis miniers avaient été ainsi délivrés dans l’opacité totale. Le pays traînait plus de trois milliards et demi de dollars de dettes, l’inflation frôlait les 25%, les relations avec les institutions de Bretton Woods étaient suspendues et, plus grave, la monnaie était fabriquée en dehors des circuits de l’Etat.

Sans préparer sa succession ou mettre en place un système démocratique capable de prendre la relève, Conté décède subitement, en décembre 2008, laissant, derrière lui, un vide abyssal. Un sombre capitaine, sorti du ventre encore fécond de la bête immonde, s’empare du pouvoir. La Guinée devient la risée du Monde. Comme aux pires moments de la dictature, l’opposition est pourchassée. En septembre 2009, plus d’une centaine de ses militants sont lâchement assassinés au stade  du 28 septembre de Conakry. Dadis, c’est Sékou Touré et Lansana Conté réincarnés. Une balle en pleine tête met fin à la malheureuse expérience du capitaine Ubu, en Décembre 2009. Coopté par les militaires, le général Sékouba Konaté, prend les choses en main et, avec l’appui de la Communauté internationale, décide de mettre la Guinée sur le chemin de la démocratie véritable.

Une commission électorale avait déjà été mise en place, dès 2007, après les  grèves qui avaient secoué le pays. Composée de dix représentants de la majorité, dix de l’opposition, trois de l’administration et deux de la société civile, elle facilita beaucoup la tâche du nouveau pouvoir. Avec des démembrements dans les 342 communes que compte le pays, elle fut chargée de tout le processus électoral.  L’élection est gérée par un groupe de contact, composé de l’Union Africaine, l’Union Européenne, les Nations Unies et la Cedeao prit alors le relais. Le malien Toumani Sangaré fut même désigné président de ladite commission.

Second du premier tour, loin derrière Cellou Diallo, comme on l’a dit tantôt, le professeur Alpha Condé réussira un miracle au second, en retournant la situation à son profit grâce au ralliement autour de lui de toutes les forces vives, parcourant le pays, presque portes à portes. L’opposition criera au vol, à la fraude et au bourrage des urnes. Mais, après plus de quarante ans d’exil, Alpha Condé pouvait savourer sa victoire. Jeté en prison de décembre 1998 à mai 2000, pourchassé, diabolisé, l’opposant historique prenait ainsi sa revanche sur l’histoire, en réussissant le pari d’être le premier président élu démocratiquement  à la tête de la Guinée. L’homme, pour qui la vie n’avait pas toujours été un long fleuve tranquille, récoltait les fruits de la persévérance et d’un combat inlassablement poursuivi, depuis son accession, au cours des années 60, à la direction de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire En France (FEANF). Car Condé, disent ceux qui le connaissent bien, est un « tenace » que les obstacles ne rebutent pas. D’autres, devant tant d’adversités, auraient probablement jeté l’éponge ou seraient allés à la soupe. Mais, avec en ligne de mire l’ambition qu’il avait pour son pays, il ne démarqua jamais des principes qui guidaient son action. Et qu’il veille à appliquer, depuis son accession aux plus hautes charges.

 

Au boulot !

Rencontré fortuitement dans les couloirs de l’hôtel, Issam se définit comme libanais, français et guinéen en même temps. Homme d’affaires présent dans plusieurs domaines, il a, selon ses propres termes, cru en la Guinée. « Ceux qui sont partis ont raté le train », dit-il. « Si Condé avait été élu en 2000, pour quatre mandats, la Guinée serait loin maintenant. Malheureusement, entre ceux qui veulent avancer et ceux qui freinent, des quatre fers, pour que le pays stagne ou recule, la Guinée perd du temps. Mais la roue de l’histoire avance, elle. Je vais vous donner un exemple très simple : il y a un an ou deux, lorsqu’on encaissait de l’argent en francs guinéens, la première chose à laquelle on pensait, c’était de le convertir en devises pour le garder. Maintenant que la parité avec l’euro est fixée et que les relations ont été rétablies avec les partenaires techniques et financiers étrangers, les cambistes nous appellent pour les devises mais on n’achète plus que ce dont on a besoin pour les fournisseurs étrangers. C’est un signe de confiance qui ne trompe pas ».

Attablé juste à côté, un guinéen, qui écoutait la conversation avec l’air de s’y intéresser, se joint à nous.  « Vous êtes journaliste, si je ne me trompe ? Moi, j’ai été longtemps militant de l’opposition et je n’ai pas soutenu Condé mais  il y a des vérités qu’il faut reconnaitre », affirme-t-il d’emblée. Et la conversation s’engage. « A présent, vous voulez avoir une idée de ce que a été réalisé, en matière de liberté d’expression, depuis l’arrivée au pouvoir du président Condé ? », propose-t-il, « Hé bien, figurez-vous qu’à la minute où je vous parle, il n’y a aucun prisonnier d’opinion en Guinée. Mieux, le Président a tenu à ce qu’il y ait un ministère chargé spécifiquement des Droits de l’Homme. L’espace médiatique a été ouvert. Trente-neuf radios privées et cinq chaînes de télévision émettent, en plus d’une centaine de titres de journaux dont seule une vingtaine paraît. Le délit de presse a été dépénalisé. Le Président est attaqué tous les jours, par voie de presse, mais il a toujours refusé de porter plainte, considérant que les Guinéens sont en train de faire l’apprentissage de la démocratie et qu’il faut les laisser s’exprimer librement », ajoute-t-il. L’homme sait apparemment de quoi il parle. Ce qui ne semble pas surprendre Issam : « Il y a toujours eu des cadres de valeur, dans ce pays, mais le népotisme et le laisser-aller qui prévalaient les ont découragés et leur écrasante majorité est soit restée à l’étranger, soit s’est exilée ».

Pour ceux qui ont connu les années de braise des régimes précédents qui avaient fait, de la Guinée, une prison à ciel ouvert, avec les privations des libertés, les arrestations arbitraires, la torture et autres exactions extrajudiciaires, il règne, incontestablement, une atmosphère nouvelle. Celui qui a passé la plus grande partie de sa vie à combattre les régimes d’exception ne pouvait se permettre de tomber dans les mêmes travers. Démocrate convaincu, il aspirait à faire de la Guinée un havre de paix et de démocratie, un exemple pour le reste de l’Afrique. Le chemin est encore long mais ce n’est pas la volonté qui manque.

 

Ahmed Ould Cheikh

Envoyé spécial à Conakry

 

 

  1. Le président Alpha Condé a passé l’essentiel de sa vie et carrière professionnelle en France, il n’a pas vécu sous le régime de Sékou Touré, se contentant de quelques passages au pays, avant que le régime ne se durcisse, il est même condamné à mort par ce régime à l’époque où il est maitre assistant à la Sorbonne. Il retourne définitivement en Guinée en 1991 où il organise le 17 mai, le premier meeting pour la légalisation des partis politiques. Il est poursuivi par les forces de l’ordre et se réfugie pour 45 jours à l’ambassade du Sénégal à Conakry, avant d’être exfiltré grâce à l’intervention du président Abdou Diouf. Mais les partis politiques sont légalisés en 1992. En 1998, il est accusé d’atteinte à la sécurité de l’Etat et emprisonné avant même la proclamation des résultats du scrutin présidentiel auquel il était candidat.