
En cette commémoration de l’indépendance, trois scènes parallèles ont attiré mon attention. Ces scènes, qui mêlent espoir et critique, fierté et inquiétude reflètent tel un miroir fidèle ce que nous sommes et ce que nous aspirons à devenir.
1. La spontanéité de la fête : le renforcement de l’esprit populaire
Il est réellement stimulant de constater que la célébration spontanée de la fête de l’indépendance s’affirme davantage chaque année.
Car malgré la crise de confiance envers la gouvernance, malgré la lassitude politique, les soupçons de corruption et la multiplicité des injustices, des foules de citoyens ont célébré cette date mémorable dans toutes les régions du pays.
Par des multiples manifestations de joie populaire, les Mauritaniens semblent dire que la fête de l’indépendance leur appartient. Elle n’est pas la propriété d’un pouvoir en place, ni l’héritage d’un régime passé, ni une promesse pour un régime à venir.
C’est la fête de la Nation — la fête du peuple — et il nous incombe de l’enraciner comme l’un des plus beaux héritages à transmettre aux générations futures.
Ce jour doit unir notre peuple malgré les blessures et offrir l’occasion de dépasser les douleurs du passé, dans un esprit positif, cherchant les voies de la réconciliation, de la restauration des droits et du réunification de la mémoire nationale sur la base de la justice et de l’équité.
2. Le défilé militaire : une armée républicaine qui protège sans gouverner
Par ailleurs, j’ai suivi avec un sentiment d’admiration le grand défilé militaire et de ferveur patriotique. Cet événement grandiose a renforcé en moi le rêve national d’une armée professionnelle, forte, consciente de sa mission et s’y consacrant pleinement — une armée qui se tient à l’écart des tiraillements politiques et qui incarne l’idéal républicain d’un État fondé sur le droit et les institutions.
En effet, l’avenir de la Mauritanie doit être, nécessairement, préservé contre tout retour à la spirale des coups d’État qui ont marqué notre histoire et contre les règlements de comptes qu’ils ont entraînés en laissant derrière eux des drames et des tragédies dont le pays paie encore le prix.
Mon souhait est que l’armée demeure au-dessus des rivalités politiques en tant qu' institution imposant le respect par son professionnalisme, non par sa présence dans l’arène politique.
Bien entendu ce rôle exige une conscience véritable et un sens aigu du danger, face à une partie de la classe politique qui ne trouve ses intérêts personnels que dans des ruptures autoritaires ouvrant la voie à la flatterie, au culte de la personnalité, à l’applaudissement opportuniste et à la résurgence des clivages tribaux.
L’armée mauritanienne doit rester une armée respectable, protectrice de la Nation et de sa sécurité, laissant aux politiques la responsabilité de leur réussite… ou de leur échec.
3. Le protocole d’État : quand la faille devient un message
Enfin — last but not least- je pense, sur la base d'un constat sans cesse renouvelé, que la fête de l’indépendance doit être l’occasion de corriger les fautes et autres maladresses protocolaires lesquelles deviennent, malheureusement, trop visibles. Car un Etat, lors de sa fête nationale comme dans son fonctionnement quotidien, est un État lorsqu’il respecte un strict protocole unanimement reconnu, ou n’est pas.
Or malgré mon respect pour ceux qui gèrent le domaine du protocole ou y travaillent et malgré ma compréhension des difficultés auxquelles ils font face sur le terrain — difficultés aggravées par certaines attitudes d’arrogance, d’ignorance appuyée ou d’indiscipline — liées aux mentalités, les erreurs répétées ne sont plus anecdotiques.
Elles révèlent un désordre, une improvisation, et une absence d’esprit d’organisation et de modernité.
Le moment est venu d’adopter des règles clairement institutionnalisées et de les appliquer avec rigueur, afin de préserver l’image de l’État, sa dignité et la cohérence minimale entre la forme et le fond.
Au total, ces réflexions sommaires m’ont conduit à penser qu’il est nécessaire de consolider le sens de la fête de l’indépendance laquelle puise son âme dans les aspirations des Mauritaniens, et dans la conception que le citoyen se fait de son État.
À ce propos, m’est revenue en mémoire le célèbre poème intitulé la joie de la fête « Farhat al-‘Id » d’Ahmedou Ould Abdel-Kader, notamment ces vers : > Nous te donnerons inévitablement un sens,
Celui pour lequel sont nées ces vastes étendues.
Nous t’approcherons de toutes les significations,
Et unirons tes attributs à tes valeurs.
Nous donnerons du pain aux affamés,
Et étancherons la soif de la terre asséchée.
Nous donnerons savoir et foi aux ignorants,
Héritiers sages de leurs vertueux ancêtres.
Tu es ma fête, si tu deviens ainsi ; sinon,
Tu n’es pas ma fête, ni celle de mes semblables.
Il me semble que ce cri poétique résume ce dont nous avons besoin aujourd’hui.
Il s'agit de retrouver le sens de l’indépendance à travers une compréhension juste de nos mutations sociales et une conduite lucide qui renforce l’État de droit et les institutions, sur la base d’un contrat social fondé sur la citoyenneté —afin que la fête demeure pour toujours, une fête pour tous les Mauritaniens.
Abdel Kader Ould Mohamed




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