
Dans le paysage politique mauritanien, un constat s'impose : la tribu, structure sociale ancestrale, s'est progressivement transformée en une force politique qui reconfigure les équilibres du pouvoir. Loin des menaces conventionnelles, c'est de l'intérieur que le danger guette l'État mauritanien, à travers une production du pouvoir qui érode progressivement le contrat social.
Le système politique mauritanien fonctionne selon une logique préoccupante : tous les cinq ans, lors des échéances électorales, la structure sociale se mue en une machine à recycler la légitimité étatique. Les tribus deviennent des partis politiques informels, où les voix se comptent en "poids tribal", les alliances en "intérêts familiaux", et où l'identité nationale se réduit à une simple équation de rapports de force coutumiers.
Ce phénomène génère trois dangers stratégiques majeurs :
-La "marchandisation" de la victimisation, où chaque groupe social marginalisé devient une réserve de colère prête à s'enflammer ;
-La guerre narrative sur les réseaux sociaux, où les discours tribalistes servent de munitions à des conflits d'influence ;
-L'infiltration des institutions sécuritaires, qui menacent de se fragmenter en "îlots" d'allégeances communautaires.
Face à ce constat, une question cruciale se pose : comment se désengager progressivement de l'emprise tribale tout en préservant ses aspects positifs ? La tribu, en effet, n'est pas en soi un phénomène négatif. Elle constitue un pilier de solidarité sociale, un gardien de la mémoire collective et un cadre de protection pour ses membres. Le défi n'est pas de la détruire, mais de l'empêcher de cannibaliser l'État.
Transition délicate
La solution réside dans une transition délicate qui consiste à canaliser la tribu vers la société civile tout en renforçant l'État de droit. Concrètement, cela implique :
1. Transformation des solidarités tribales en capital social : Les mécanismes d'entraide traditionnels pourraient être intégrés dans des programmes de développement local, où les anciennes structures serviraient de relais à des initiatives économiques modernes.
2. Séparation des sphères d'influence : Alors que la tribu pourrait conserver son rôle dans la régulation des conflits sociaux mineurs et la préservation du patrimoine culturel, l'État affirmerait son monopole exclusif sur la production des normes collectives et la distribution du pouvoir politique.
3. Reconversion des élites tribales : Les leaders communautaires traditionnels devraient être progressivement intégrés dans des institutions républicaines où leur influence servirait des objectifs nationaux plutôt que particuliers.
La mise en œuvre de cette transition nécessite une approche pragmatique :
• Réformer le système électoral pour favoriser l'émergence de projets politiques transcendant les affiliations tribales.
• Créer des espaces de dialogue intercommunautaire institutionnalisés, où les différentes composantes sociales apprennent à négocier leurs intérêts dans le cadre républicain.
• Lancer un programme d'éducation civique qui enseigne l'histoire nationale comme récit commun, sans pour autant nier la richesse des diversités culturelles.
• Établir un observatoire des fractures sociales capable d'anticiper les crises et de proposer des médiations avant que les tensions ne dégénèrent.
Comme on a toujours vu, "la Mauritanie est aujourd'hui vaincue dans le récit, pas sur les champs de bataille". L'enjeu fondamental est donc de construire une nouvelle narration nationale inclusive, où chaque citoyen se reconnaisse sans avoir à renier ses affiliations particulières.
Le pays se trouve à la croisée des chemins. Soit il parvient à transformer sa diversité tribale en une richesse culturelle au service de l'unité nationale, soit il s'enlise dans des divisions qui menacent à terme son existence même. La voie étroite consiste à honorer la tribu comme patrimoine tout en la dépassant comme principe d'organisation politique.
La réussite de cette transition déterminera si la Mauritanie du futur sera un État-nation moderne ou une simple fédération de tribus qui coexistent. Le temps presse, mais l'espoir reste permis pour peu que la volonté politique s'allie à la sagesse sociale.
Seyid Mohamed Beibakar, colonel à la retraite




.gif)








.gif)