Transition démocratique : obstacles et perspectives

8 December, 2025 - 23:42

Le processus de transition démocratique en Mauritanie peut être attribué à plusieurs facteurs ; les plus décisifs relevant du cadre interne lié au système politique en place, d'autres relatifs à celui externe, international : fin de la Guerre Froide et effondrement de l'Union soviétique, mouvement vers la démocratie et appel aux droits de l'Homme… De fait, les réformes et la transition démocratique se sont surtout déroulées, après l'Indépendance, dans un contexte de difficultés internes économiques, politiques, sécuritaires et culturelles. L'incapacité du gouvernement à assurer, entre 1991 et 2019, le développement du pays est devenu manifeste et c’est une des principales motivations de l'adoption d'une politique de libéralisation et de transition démocratique. L’échec gouvernemental a engendré des crises internes et une menace pour la légitimité de tous les régimes en place, provoquant des manifestations, dont les plus marquantes furent les manifestations du 25 Février 2011 qui réclamaient des réformes et un changement.

L’analyse du processus de transition démocratique en Mauritanie, de 1991 à 2019, révèle des résultats globalement limités. Bien que notre pays ait reconnu l’importance de cette étape et cherché à la réaliser au mieux, elle n’a pas atteint ses objectifs. Plusieurs obstacles s’y sont opposés. Notamment, la nature du régime : conjugués à l’oppression et à la tyrannie exercées à l’encontre de ses opposants, le système de parti unique et son maintien prolongé au pouvoir, de 1991 à 2005, ont fait qu’en dépit de divers avantages acquis dès 1991, le processus n’a pas abouti à un véritable changement du système de gouvernance. Dès le départ, le régime d’Ould Taya n’a pas cherché à instaurer des changements fondamentaux dans les structures politiques, laissant l’Armée exercer son contrôle sur les centres de décision et intervenir dans les affaires politiques.

C’est sous ces contraintes que la corruption s’est généralisée aux niveaux administratif, financier et politique, laissant des individus abuser de leur position pour s'enrichir. Le tout compliqué par la diversité linguistique, ethnique et tribale du pays qui a engendré les évènements du « passif humanitaire » et entravé les projets de développement, notamment en incitant des minorités à la violence, soutenue par des forces extérieures. Il s’agit maintenant de chercher la manière la plus pertinente de sauver notre fragile démocratie.

La plupart des chercheurs s'accordent à dire que la pensée politique, en tant qu'activité humaine, est le produit d'une réalité à la fois objective et subjective, résultant d'un processus interactif entre le penseur et son environnement. Partant de ce constat, le sauvetage de notre démocratie contemporaine et de ses concepts associés réside dans notre capacité à refléter la réalité mauritanienne et dans notre légitimité à parler d'une démocratie mauritanienne spécifique. Nos leaders initiaux nourrissaient des visions précises de la réforme politique et du modèle constitutionnel à adopter pour organiser le pouvoir. Cela a engendré des divergences entre eux et les militaires, d'une part, et, d’autre part, entre les leaders du mouvement eux-mêmes. Toutefois, la tendance générale était à l'adoption d'un système politique et constitutionnel dans le cadre d'une Mauritanie moderne, la démocratie signifiant « pouvoir du peuple » ou, comme l'a dit Abraham Lincoln, le « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ». Une telle démarche ne peut être le fruit que de transformations profondes et de longue haleine, s'enracinant dans le progrès de la société et évoluant avec son développement, précisément adapté aux changements économiques et culturels.

 

Que faire ?

Pour sauver notre démocratie de l’effondrement, je propose, entre autres, outre l’établissement d'un environnement économique, social et culturel favorable, un cadre politique et institutionnel régulant et encadrant l'organisation, la distribution et l'exercice du pouvoir. Il s’agit surtout d’empêcher la concentration de celui-ci entre les mains d'une seule entité et cela implique d’en définir précisément les mécanismes d'octroi et de transfert, afin de toujours préserver la paix et la cohésion sociale, compte-tenu de l'importance et de la sensibilité de cette question. Quiconque suit la vie politique mauritanienne constatera que notre pays connaît un climat politique singulièrement uniforme, caractérisé principalement par le déséquilibre, l'ambiguïté et l'absence d'une véritable pratique démocratique. Cela se manifeste clairement dans la nature du système et la répartition du pouvoir qui ne garantissent ni équilibre, ni contrôle, ni responsabilité. Cela transparaît également dans le niveau de pluralisme politique et la réalité de l'opposition. Tous ces éléments contribuent à l'instabilité politique, une caractéristique marquante de notre pays, car cette situation ne résulte pas simplement de déséquilibres temporaires du paysage politique mais découle de failles structurelles inhérentes aux fondements mêmes de ce champ dans son ensemble.

Je propose donc de consolider l'État de Droit et de garantir les droits et libertés des citoyens ; de mettre en place une commission indépendante, avec mission de formuler des propositions pour réviser la Constitution afin de garantir le renforcement des droits fondamentaux, l'équité, la justice sociale, ainsi que la participation active des citoyens à la gestion des affaires publiques. Je trouve que cette réforme constitutionnelle contribuera à consacrer la séparation des pouvoirs et à consolider les principes de gouvernance participative.

 

Obstacles à une démocratie participative

Mais la mise en œuvre de la démocratie participative ne peut pas se faire seulement à travers des normes et des réformes. Il s’agit également de lutter contre les déficits qui pourraient empêcher la promotion de cette construction : chômage, pauvreté, accès limité à la santé, etc. Un processus démocratique pleinement participatif doit donc aller de pair avec un développement socio-économique centré sur la lutte contre les inégalités structurelles et les déséquilibres du développement territorial, la précarité économique, le chômage élevé et la méfiance persistante envers les institutions. Par ailleurs, la promotion de ce système repose sur la consolidation des acquis et la levée des obstacles structurels et sociaux qui entravent encore son établissement.

Ici, je vous suggère divers horizons afin d’orienter les actions futures. En commençant par renforcer l’inclusion et la participation des citoyens : une démocratie durable repose sur l'implication active de ceux-ci dans la prise des décisions publiques. L’adoption de mécanismes de consultation citoyenne et l'amélioration de l'accès à l'information publique constituent des leviers essentiels pour renforcer la confiance envers les institutions. Il s’agit également de dynamiser l’économie en vue d’un développement équitable : la croissance économique doit être accompagnée de mesures réduisant les inégalités socio-économiques. Tout en renforçant les institutions et la transparence : il faut énergiquement poursuivre les réformes visant à améliorer la transparence et l'intégrité dans l'administration publique, notamment par la mise en place de systèmes efficaces de lutte contre la corruption et de reddition des comptes. Ainsi pourra-t-on promouvoir une culture de la gouvernance démocratique : une démocratie respectable et solide repose sur une éducation civique adaptée et la sensibilisation des citoyens à leurs droits et devoirs dans la vie politique. L'éducation et l'engagement des jeunes pourrait être, à cet égard, un levier d’amélioration du système.

En définitive, notre pays a certes entrepris des avancées importantes vers une gouvernance démocratique moderne mais le chemin reste semé d’embûches. Alliant volonté politique, engagement citoyen et transformation institutionnelle, l’approche globale et concertée que je propose demeure essentielle pour faire aboutir un modèle de gouvernance équilibré et inclusif au service du développement durable et de la justice sociale.

Cheikh Ahmed ould Mohamed

Ingénieur

Chef du service « Études et développement »

Établissement portuaire de la Baie du Repos (Nouadhibou)