Mauritanie : Le passif humanitaire au cœur d’un débat national inédit

9 December, 2025 - 23:41

Pour la première fois depuis 1987, le paysage politique et médiatique mauritanien a été le théâtre d’un phénomène inédit : une libération soudaine, massive et spontanée de la parole autour des exécutions de soldats et de fonctionnaires négro-africains survenues entre 1987 et 1990. En l’espace de quelques jours, ce dossier s’est imposé au centre de l’actualité nationale, bousculant les équilibres politiques et ravivant une douleur collective jamais vraiment apaisée.
Sur les réseaux sociaux, les accusations à l’encontre de dignitaires de l’époque ont rapidement émergé, tandis que d’anciens militaires — acteurs, témoins ou simples contemporains des faits — se sont publiquement exprimés, chacun livrant sa version des faits. Cette brusque effervescence a placé la commémoration du 28 novembre, fête de l’Indépendance, au cœur d’une controverse d’une intensité rare. Pour certains, son symbole demeure sacré et intangible ; pour d’autres, il porte la marque indélébile du sang des victimes et doit devenir un moment de recueillement, de mémoire et de tristesse.
Face à cette montée en puissance du débat, le pouvoir est apparu en décalage, optant pour la voie la plus aisée et la plus contestée : la répression des manifestations organisées par les veuves et orphelins des martyrs. Une décision perçue comme une véritable dissonance dans un contexte où l’opinion, nationale comme internationale, semblait plus attentive que jamais au sort des victimes du passif humanitaire.
Dans ce climat tendu, il faut souligner la solidarité active des militants haratines de l’IRA, autour du député Biram Dah Abeid, qui n’ont pas hésité à soutenir publiquement les familles endeuillées. Une prise de position risquée, au regard des accusations récurrentes de communautarisme portées contre le mouvement par le pouvoir et ses relais et une bonne partie de la communauté beydane.

 

Un pays fragmenté
La Mauritanie apparaît aujourd’hui politiquement et ethniquement fragmentée. Certes, la confrontation demeure contenue dans le cadre de manifestations pacifiques, de débats médiatiques et d’échanges parfois virulents sur les réseaux sociaux. Mais jamais, depuis les événements tragiques de la fin des années 1980, le passif humanitaire n’avait été aussi fortement remis en avant, ni aussi largement discuté.
Selon plusieurs sources concordantes, le pouvoir du président Mohamed Ould Ghazouani aurait engagé des pourparlers discrets avec certains représentants des victimes. Ces derniers, usés par des décennies d’attente et de promesses non tenues, auraient accepté d’écouter les propositions de l’exécutif. L’État aurait évoqué une enveloppe de 27 milliards d’ouguiyas, destinée à solder le dossier.
Cette information a immédiatement suscité un tollé au sein des militants et organisations engagés dans la défense des victimes. « La paix ne s’achète pas », ont-ils martelé, rappelant que toute solution durable doit reposer sur un ensemble cohérent : reconnaissance officielle des faits, établissement de la vérité, enquêtes, identification des responsables, justice — ou, à défaut, un processus national de pardon et de réconciliation. L’indemnisation financière, insistent-ils, ne peut intervenir qu’après.
Ainsi, un dossier longtemps considéré comme clos ou marginal s’impose désormais comme l’un des enjeux centraux de la vie politique mauritanienne. Entre mémoire, justice et réconciliation, la nation se trouve face à un tournant historique : celui de regarder enfin son passé en face, pour espérer construire un avenir apaisé.

Imam Cheikh